2021 : année de vérité pour le Brexit
La situation dans laquelle se trouvait le Royaume-Uni quelques jours avant Noël avait comme un parfum amer d’ironie cruelle. Le pays qui a voté en 2016 pour se détacher de l’Europe continentale était servi : les uns après les autres, les Européens ont annoncé fermer leurs frontières à leur ancien collègue. Évidemment, la raison était sanitaire, mais les conséquences de cette fermeture, notamment les craintes de pénurie alimentaire et les longues files de poids-lourds bloqués, présageaient des temps difficiles à une Grande-Bretagne qui se serait voulue souveraine au prix d’être isolée. L’accord finalement atteint le 24 décembre éloigne cette perspective, mais le sort du pays n’en est pas encore entièrement jeté.
Le 2 janvier 2020, Boris Johnson postait sur Facebook une photo de lui les pouces levés accompagnée de la légende « This is going to be a fantastic year for Britain ». Si l’année 2020 a été pénible pour la planète toute entière, on peut dire qu’elle a été particulièrement difficile pour les Britanniques. Le pays a en effet payé le plus lourd tribut en Europe dans cette pandémie et a eu son lot de scandales politiques, la légèreté clownesque de Boris Johnson étant de moins en moins tolérée, avec toujours en toile de fond le Brexit.
2021 ne commencera pas avec une amélioration soudaine de la situation, au contraire. Le 1er janvier marquera le départ définitif des Britanniques, avec la sortie de l’union douanière et du marché unique. Alors qu’une énième échéance pour arriver à un accord de sortie était dépassée dimanche 20 décembre, et que pendant quelques jours le scenario No-Deal semblait plus probable que jamais, un accord de libre-échange zéro-tarifs zéro-quotas décroché in extremis a permis d’éviter le pire. Pour autant, la situation qu’aura le royaume dans le commerce mondial, dont la détermination sera sûrement le gros chantier du gouvernement de Sa Majesté une fois la crise sanitaire passée, sera sûrement moins confortable que les partisans du Leave ne l’imaginaient en 2016.
Évidemment, les termes de la relation commerciale future avec l’UE étaient d’une importance fondamentale. Comme vu dans un précédent édito, le Royaume-Uni était particulièrement intégré commercialement, et plus largement économiquement, au reste de l’Union Européenne, résultat de décennies d’union douanière et de marché unique. Quoiqu’en disait le gouvernement Britannique, Brexit ne veut pas toujours dire Brexit. Une sortie accompagnée d’un accord était bien sûr infiniment préférable à un No-Deal, qu’il y a encore quelques mois Boris Johnson brandissait comme une menace. Dans les derniers jours, le bluff ne marchait plus, et les équipes de Michel Barnier et de son homologue Britannique David Frost ont fait tout leur possible pour éviter le No-Deal et dénouer le dernier nœud qui faisait obstacle à un accord : la pêche.
S’ils n’y étaient pas parvenus, les relations commerciales entre les deux parties seraient retombées par défaut dans le cadre des règles de l’OMC. Celles-ci prévoient des droits de douanes variés selon les catégories de produits, qui auraient pénalisé bien sûr les exportations européennes vers le royaume (10% pour les automobiles par exemple), mais surtout les exportations britanniques. Le veau par exemple, aurait été sujet à des droits de douanes autour de 45%, un coup dur pour les éleveurs. Au simple coût financier, évité grâce à l’accord, s’ajoute tout de même une épaisse couche de bureaucratie supplémentaire : des millions de déclarations de douanes et de contrôles, qui pourrait mener à des milliers de camions embouteillés. Bref, le pire est évité pour les échanges de marchandises, mais les britanniques quittent bien le marché unique, ce qui implique que le commerce sera très sensiblement moins fluide.
La sortie de l’Union Européenne a également des implications au-delà de la simple relation avec l’Europe. En effet, pendant près de 50 ans, le Royaume-Uni n’a conclu aucun accord de libre-échange, la Communauté Européenne (puis l’Union Européenne) négociait en son nom, au même titre qu’en celui des autres membres. Le pays a donc cherché à reproduire bon nombre des accords signés entre l’UE et ces pays, et ainsi les accords les plus significatifs sont ceux conclus avec le Japon et le Canada, avec qui les échanges représentaient en 2019 une trentaine de milliards de livres chacun. Or un des arguments du Leave était la volonté d’avoir une politique commerciale indépendante, et de pouvoir signer des accords de libre-échange notamment avec les États-Unis, avec qui l’UE est également dans de lentes négociations depuis quelques années. Le commerce avec l’Amérique pesant 230 milliards de livres, c’est sans aucun doute une autre paire de manche que les accords largement hérités de ceux de l’UE que le royaume a signé jusque-là. D’autant plus que seuls, les britanniques n’ont pas le même levier que le marché européen et que les Américains n’ont pas l’habitude de faire preuve de gentillesse dans ce genre de négociations, surtout quand ils ont un déficit commercial de plus de 50 milliards de dollars avec le pays en question. Liz Truss, secrétaire d’État au commerce international, a ainsi multiplié les signes de bonne volonté envers l’Amérique, comme la levée des taxes sur les avions Boeing (que l’OMC avait permises à l’UE dans le cadre d’un règlement de différends), que le royaume aurait de toute façon du lever l’année prochaine (car ces taxes étaient autorisées pour l’UE, et non le Royaume-Uni). Pas suffisant pour l’homologue américain, Robert Lightizer, qui aimerait arriver à un mini-deal dans le temps qui lui reste en fonction, notamment pour les produits agricoles, au grand dam d’une partie de l’opinion britannique qui craint de voir ses standards revus à la baisse.
De plus, le prochain locataire de la Maison Blanche ne devrait pas rendre la tâche plus facile aux Britanniques. Contrairement à Trump, qui bien qu’adepte d’une vision très transactionnelle de la géopolitique aurait pu faire un geste par sympathie pour les Brexiters, l’administration Obama, dont Biden était le vice-président, n’avait que très peu de patience pour les farces de BoJo et de la campagne du Leave et avait même appelé les britanniques à voter pour rester dans l’UE. Ajoutons à cela la fierté qu’a Joe Biden pour ses racines irlandaises et l’importance qu’il accorde au Good Friday Agreement de 1998 et à une frontière ouverte entre les deux Irlandes (pour lesquels les Brexiters ne semblent pas vraiment se soucier), et il semble clair que le gouvernement de Boris Johnson n’est pas au bout de ses peines…
Si on ne peut qu’espérer que 2021 soit meilleure pour le Royaume-Uni, l’année ne sera pas sans son lot de défis. Avec le Brexit enfin terminé, nous verrons si les promesses de redonner au royaume sa juste place dans le monde seront tenues ou si tourner le dos au continent n’aura qu’accentué l’isolement de cette île. Au vu de la position de faiblesse qui semble celle des Grands-Bretons dans les négociations pour sa future situation commerciale, il n’est pas sûr que décider seul évite de subir les décisions des autres.