À la (re)conquête de l’hydrogène
Le terme écologie a été construit du grec au XIXème siècle et veut dire la science de l’habitat. Réduire notre impact sur cet habitat demande parfois de revenir à la simplicité au sens de la nature. L’hydrogène est le plus simple des atomes qui nous est donné et nous l’utilisons actuellement comme engrais. Demain, de grands projets dans le monde veulent diversifier son action en ouvrant la voie sur des technologies de tous les jours. Un si grand changement pour une si petite molécule demande beaucoup de préparation, d’innovation et de volonté. Bientôt les avions ressembleront aux nuages et feront pleuvoir de l’eau de leurs moteurs.
L'hydrogène est présent partout dans notre univers. Il est un bon combustible mais au lieu de rejeter du gaz à effet de serre, il produit de l’eau en brûlant. Aujourd’hui majoritairement utilisé dans l’industrie chimique pour les engrais, de nombreux pays dans le monde parient actuellement sur son utilisation en tant que vecteur énergétique. Un vecteur d’énergie est un véhicule qui permet de transporter l’énergie. On fait la différence entre le gaz naturel par exemple qui est une source d’énergie car on l’extrait puis on le brule, et le dihydrogène que l’on va produire grâce à une autre énergie puis que l’on va transporter vers une centrale pour enfin le retransformer en énergie – le tout avec un minimum de pertes. Pourquoi le dihydrogène H2 est-il devenu en quelques années l’espoir d’un revirement écologique ? Quels sont encore les contraintes de son utilisation et les prochains projets internationaux des pays et des industriels ? C’est ce que nous allons voir dans cet édito.
1- Comment expliquer l’engouement pour l’hydrogène ?
L’hydrogène est un atome très simple. C’est même le plus simple de toute la table périodique des éléments : un électron et un proton - il ne faut cependant pas confondre l’hydrogène, l’atome et le dihydrogène, la molécule, composée de deux atomes d’hydrogène. Le premier est un élément chimique qui constitue environ 92% du nombre total d’atomes dans l’univers. Le deuxième est un gaz dans les conditions normales de température et de pression. Ce dernier est par exemple l’élément principal de la combustion des étoiles grâce à la fusion nucléaire dont nous avons déjà parlé dans un précédent édito. Bien que l’atome soit extrêmement présent dans l’univers, le gaz lui n’est disponible qu’en très faible quantité dans l’atmosphère, il est donc impossible de le pomper. Pour l’utiliser il faut le produire via diverses techniques.
Bien que cet édito parle d’hydrogène, nous allons plutôt nous concentrer sur le dihydrogène - l’amalgame est souvent fait entre les deux termes. Dans les conditions qui sont les nôtres, la molécule existe sous forme de gaz. À -252.76°C, ce gaz se liquéfie (soit environ 20°C au-dessus du zéro absolu). Il est très intéressant par exemple de transformer ce gaz en liquide pour le stocker et le transporter : il perd alors environ 800 fois son volume. Mais garder une température aussi extrême demande beaucoup d’énergie. Une autre manière de le stocker facilement est d’en augmenter la pression. Ainsi, à 700 bars (soit 700 fois la pression atmosphérique), on peut stocker 5kg de gaz dans une voiture ce qui lui permet d’avoir une autonomie de 600 km. Cependant, ces conditions requièrent à nouveau des matériaux très résistants qui ne se fissurent pas sous peine de rupture du contenant.
L’hydrogène a beaucoup d’avantages. On peut en particulier mettre en avant l’énergie qu’il transmet lorsqu’il est brulé (son pouvoir calorifique). Si l’on compare les chiffres avec les autres combustibles classiques, on remarque tout de suite ses caractéristiques hors normes.
Que ce soit la biomasse, le charbon, ou n’importe quel hydrocarbure, le dihydrogène est bien plus puissant[5]. Pourtant, aujourd’hui, il n’est pas majoritairement utilisé dans la chaine énergétique car sa production n’est pas rentable. L’industrie chimique et pétrolière exploitent ce gaz dans les engrais, la métallurgie, la plasturgie, la verrerie ou encore l’électronique. En Europe, les acteurs importants sont Air Liquide, Linde, Total, Shell, Statoil, Norsk Hydro et Energetrec.
Entre meilleure empreinte écologique et nouvelles technologies de production, le dihydrogène est de plus en plus mis en avant dans les pays occidentaux. L’Allemagne a cette année présenté un plan d’investissement de neuf milliards d’euros pour développer l’infrastructure et les technologies liées à l’hydrogène. En France, Airbus a présenté un concept d’avion à hydrogène dont le décollage est prévu en 2035. En Asie, les constructeurs automobiles conçoivent de plus en plus de voitures et de moteurs à hydrogène.
Bien que cet engouement soit mondial, les technologies liées à ce gaz ne datent pas d’aujourd’hui. Depuis 1992, le CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives) a développé des réservoirs en fibre de carbone pouvant résister à des pressions de 1 800 bars (soit deux fois et demie plus que les seuils des réservoirs utilisés pour les voitures à hydrogène). Ce sont ces types de réservoirs qui sont installés dans les voitures de quatre constructeurs automobiles. Nous n’allons pas rentrer dans les détails techniques des méthodes de production mais plusieurs d’entre elles ont évolué pour proposer une production du gaz moins cher avec de meilleurs rendements.
Enfin, faisons un rapide calcul de ce que représenterait le dihydrogène dans un A320. Pour parcourir 5 000 km, un A320 rempli a besoin de 200 109J (formules usuelles). En considérant l’utilisation de moteurs à hydrogène avec un rendement parfait (non encore développés), il faudrait à l’avion 1,4t de carburant. Comparé au kérosène, un même trajet brûlerait environ 5t. On obtient alors une réduction de la masse totale de l’avion d’environ 5%. Sous forme gazeuse, il faudrait 28m3, sous forme liquide, plus que 20m3. De nouveau, le kérosène demande actuellement 24m3. On rentre dans les clous. Évidemment ce calcul est simpliste et très théorique. Il faudrait prendre en compte le poids des réservoirs qui doivent soutenir les 700 bars de pression ou alors les boucles fermées de régulation de la température pour maintenir le carburant sous forme liquide. Cependant, la technologie thermique est proche d’atteindre les meilleurs rendements théoriques alors que la technologie hydrogène a encore beaucoup de marge de manœuvre.
Les voyants semblent tous être au vert pour le développement de ces technologies.
2- L’hydrogène, un eldorado ?
L’Allemagne veut devenir le numéro 1 de l’hydrogène, ce qui est assez déroutant aux vues de l’ouverture la semaine dernière d’une usine à charbon de 1.1GW à Datteln. La France, elle, est assez frileuse dans le domaine. En effet, avec un des mix énergétiques les plus décarbonés du monde (premier mix décarboné des pays du G20), notre pays attend l’émergence de solutions stables avant d’investir des sommes qui seront considérables au vu de la logistique à mettre en place. L’hydrogène est certes un projet d’avenir mais il requiert d’abord une grande motivation.
Une des premières difficultés de ce gaz est son transport. En effet, si une voiture, un avion ou un train veut faire le plein, il faut réfléchir à l’infrastructure logistique d’approvisionnement. Actuellement, il est assez peu probable que se développent des pipelines de dihydrogène partout en France à cause de son coût et de sa maintenance. Le compromis est alors de créer du dihydrogène localement en installant des centrales électriques. Le prix est aussi élevé mais, tout comme les nouvelles technologies telles que les batteries automobiles, il va progressivement baisser.
Lorsque la logistique est en place, il faut alors produire ce gaz. De nombreuses techniques existent telles que le vaporeformage d'hydrocarbures (environ 50% de la production mondiale) mais sont très gourmandes en énergie et rejettent du CO2. De nouvelles technologies sont en développement pour améliorer le rendement écologique de conversion. Par exemple, un projet de 15M€ a permis l’installation près de Limoges d’une usine à hydrogène qui utilise les sources renouvelables comme le vent [3] et la méthode de l’électrolyse (non polluante) pour le produire.
De la Chine aux États-Unis en passant par l’Europe et le Moyen-Orient (où Air Liquide a installé la première station de production d’hydrogène de la région en 2017), tous ces pays ont des projets d’investissement mais sont-ils réalistes ? Si l’on se concentre en France et que l’on compare l’engouement pour le tout électrique et celui pour l’hydrogène, les chiffres sont clairs.
On remarque bien sûr le graphique de gauche que l’infrastructure électrique peu exigeante a pu se développer à la même vitesse que le nombre de voitures en circulation mais que pour l’hydrogène le fossé est grand. Les prévisions de vente sont totalement décorrélées du nombre de bornes de recharge en projet. Aujourd’hui, les trois constructeurs à s’être lancés dans l’aventure sont Hyundai, Toyota et Honda mais le prix des voitures est affolant : en moyenne 65 000€ pour 600km d’autonomie (les voitures électriques étaient à leur lancement environ deux fois moins cher).
De plus, en continuant la comparaison avec l’électrique, le coût du plein n’est pas non plus un argument de vente. En effet le dihydrogène coûte actuellement 15€/kg et une voiture stocke 5kg en moyenne ce qui revient au même prix qu’un plein d’essence alors qu’une recharge de batterie coûte environ 25€. Les nouvelles technologies tendent à faire baisser ce coût de production de 6€/kg à 2€/kg d’ici 2030. Cela rééquilibrerait la balance si les voitures électriques n’ont pas déjà inondé le marché.
Vélo hydrogène, tramway hydrogène, voiture hydrogène et maintenant avion hydrogène, les projets fusent dans toutes les directions à horizon plus ou moins lointain. Pour ce qui est de l’avion dont nous avons déjà parlé rapidement avant, Guillaume Faury (CEO d’Airbus) présentait le projet la semaine dernière comme un réel défi technique. Il va falloir en effet développer les technologies dans les cinq prochaines années pour développer ensuite l’industrialisation du système dans les dix années suivantes. Alors un avion à hydrogène pourra s’envoler en 2035.
L’argent mondial promis au secteur de l’hydrogène se comprend comme une course à l’énergie. De nombreux acteurs se positionnent déjà sur des marchés prometteurs dont plusieurs compagnies françaises. Il faut continuer à innover et le tissu universitaire français permet de mettre en place les briques de demain. Développer de nombreuses technologies dans l’espoir de réduire nos émissions de gaz à effet de serre sera un grand pas pour le climat mais à quel prix ? Ne nous rapprochons pas trop du soleil ou nos plumes bruleront. Utilisons la technologie lorsqu’elle sera ancrée dans nos modes de vie et privilégions nos atouts historiques. Nous n’avons pas besoin de nous précipiter.
Bibliographie :
[1] AFHYPAC, Mémento de l’Hydrogène, août 2019
[2] VIG’HY, https://www.vighy-afhypac.org/
[3] La Tribune, Première mondiale : Smurfit Kappa s'équipe d'un démonstrateur à hydrogène, 11 juin 2020, https://objectifaquitaine.latribune.fr/business/industrie/2020-06-11/premiere-mondiale-smurfit-kappa-s-equipe-d-un-demonstrateur-a-hydrogene-849878.html
[4] Ministère de la transition écologique et solidaire, Plan de déploiement de l’hydrogène pour la transition écologique, 2019
[5] Air Liquide, Cap sur l’hydrogène, 2018
[6] AFHYPAC, Développons l’Hydrogène pour l’économie française, 2019