Accord Israël-EAU : les postures politiques rattrapées par le réalisme économique ?
Le 13 aout, Israël et les Émirats Arabes Unis (EAU) ont annoncé la normalisation de leurs relations diplomatiques et la signature prochaine d’un accord de paix. L’événement est historique. Les EAU deviennent ainsi le premier État du Golfe et le troisième pays arabe (après l’Égypte et la Jordanie) à reconnaître l’État hébreu.
Certaines voix, comme l’Iran, la Turquie ou l’Autorité Palestinienne dénoncent la « mauvaise foi » de cet accord à venir. Ils considèrent que cet accord ne fait qu’officialiser une coopération officieuse en matière de renseignements et quelques bribes de liens commerciaux datant d’il y a quelques années déjà, et, bien que les Émirats aient obtenu la suspension de toute annexion supplémentaire de territoires, revient à tendre un « chèque en blanc pour la poursuite de l’occupation », pour reprendre les mots du Hamas. De quoi nuancer l’avancée que représente cette nouvelle dans la résolution du conflit opposant Israël aux pays arabes. Une chose reste cependant très claire : l’importance des retombées économiques de la paix entre les deux États, d’autant plus que ces conséquences économiques semblent étroitement liées à la pérennité de ce rapprochement.
Pour Israël, toute opportunité de commercer avec un pays de la région est bonne à prendre. En effet, de par sa taille et sa petite population, l’État hébreu est structurellement dépendant de l’extérieur pour s’approvisionner (notamment en matières premières et automobiles) et pour trouver des débouchés, son marché intérieur ne pouvant absorber toute sa production industrielle qui est pour la plupart à très haute valeur ajoutée (notamment médicaments, circuits intégrés et équipement aéronautiques). Cette spécialisation dans les industries à très haute valeur s’explique aussi par certaines données géographiques et macro-économiques : le manque d’espace et de main d’œuvre exclut toute production extensive. Cela explique le déficit commercial structurel israélien d’une dizaine de milliards pour les biens, à l’exception de quelques années d’excédent dans les années 2000. Ainsi, l’économie israélienne devrait être très ouverte, mais le commerce extérieur ne représente que 58% de son PIB (importations+exportations / PIB), la moyenne de l’OCDE. De plus, ses principaux partenaires commerciaux sont l'Union Européenne, les États-Unis, la Chine, la Turquie, Hong Kong et la Russie. A part la Turquie, aucun pays de la région. C’est donc que son économie est rattrapée par sa situation géopolitique.
Ajoutons à cela la crise économique causée par la pandémie actuelle qui a déjà fait bondir le taux de chômage de 3,4% en février à 23,5% en mai et devrait contracter le PIB de 6,2% en 2020. La normalisation des relations devrait donc aider la reprise en facilitant l’approvisionnement en pétrole émirati et en ouvrant un nouveau marché à l’important secteur touristique israélien (plus de 6% du PIB en 2019), notamment le tourisme religieux à Jérusalem. Pour les entreprises israéliennes, cela marquera également la fin de la nécessité de passer par l’intermédiaire du ministère des affaires étrangères et de sociétés basées dans des pays tiers. Selon le ministère de l’économie, les EAU pourront à terme représenter un marché d’exportation pesant 300 à 500 millions de dollars par an.
Les Émirats ont ici des intérêts convergents. Le pays du golfe à l’économie la plus diversifiée (plus de 70% du PIB vient de secteurs non-pétroliers) souffre également de la crise actuelle. Les fluctuations du cours du pétrole, le choc subi par le commerce international et l’aviation civile et surtout la disruption des flux de travailleurs étrangers causés par la pandémie devraient entraîner une contraction du PIB de 6,7% pour 2020. L’accord serait pour les EAU l’occasion, en plus de vendre du pétrole, de poursuivre la diversification de son économie en investissant massivement (jusqu’à 350 millions de dollars par an selon les prévisions actuelles) dans la tech et l’industrie pharmaceutique israélienne. Ce sera également l’occasion d’attirer des touristes israéliens qui sont, malgré la paix, peu enclins à visiter l’Égypte et la Jordanie en raison du passé difficile entre leurs pays mais qui, selon les professionnels du secteur, se réjouissent à l’idée de visiter Dubaï et Abu Dhabi. Toutes ces raisons semblent expliquer pourquoi cette année, le cheikh Bin Zayed, qui disons-le est sûrement agacé depuis quelques années par les positions tenues par les dirigeants palestiniens, a mis de côté la solidarité ordinairement affichée avec la cause palestinienne pour officialiser de lucratives relations avec l’État hébreu.
On peut donc s’attendre à ce que d’autres pays du Golfe les suivent dans cette voie. Le sultanat d’Oman, Bahreïn et l’Arabie Saoudite ont en effet déjà, comme les EUA, commencé à se rapprocher d’Israël en entretenant des liens économiques par pays interposés. Si pour les deux premiers, la normalisation des relations diplomatiques ne semble plus qu’une question de temps, le rôle tenu par l’Arabie Saoudite dans le monde musulman oblige cette dernière à maintenir sa position officielle qui veut qu’elle ne reconnaîtra Israël qu’une fois le conflit avec la Palestine réglé. Cependant, les choix politiques des palestiniens (le Hamas à Gaza et sa proximité avec le Hezbollah chiite) et leurs divisions internes (entre Hamas et AP notamment), l’alignement des intérêts stratégiques avec Israël (contre l’Iran) et le réalisme économique laissent penser que le soutien du royaume sera au mieux de plus en plus mou.
Cet accord de paix ne règlera donc pas le conflit opposant Israël à ses voisins, certains diront même qu’il est contre-productif. Il a néanmoins le mérite de souligner une chose : tant les oppositions idéologiques ou politiques sont tenaces, la prospérité qu’offre la paix semble être le seul moyen de mettre fin au conflit. Le think tank Rand Corporation, proche de l’armée américaine, estime qu’un accord de paix à deux États permettrait en une décennie une hausse de 5% du PIB israélien et de 50% pour les territoires palestiniens. Une perspective qui nous autorise un peu d’optimisme.