Believe : pourquoi le marché n’a pas l’air de trop y croire…
Le groupe français de production et distribution musicale a réalisé jeudi 10 juin son introduction en bourse dans le compartiment A d’Euronext. Si l’opération est en soit réussie, toutes les actions ont pu être placées, on ne peut pas vraiment parler d’un succès : le prix d’introduction (19,50€) est le bas de la fourchette prévue et le cours a décroché de 17% dès le premier jour, finissant à 16€. Étonnant pour ce néo-label de l’âge du streaming, qui offre des solutions innovantes de marketing et de distribution aux artistes et qui semble pourtant si bien positionné pour relever les défis que le digital lance à l’industrie musicale.
Believe : pure player de la digitalisation de l’industrie musicale
Crée en 2005 par l’ancien Chief Strategy and Financial Officer de la division digitale de Vivendi Universal, Denis Ladegaillerie, Believe était dès sa création un acteur d’un genre nouveau dans l’industrie musicale. En effet, Believe a tout de suite joué le rôle de pont entre les acteurs « traditionnels » de la musique (les artistes et éditeurs) et les plateformes de streaming, un domaine dans lequel l’expertise du fondateur n’est plus à prouver, lui qui fut de 2010 à 2012 président du Snep (Syndicat national de l’édition phonographique) et qui a accéléré l’adaptation de cette institution aux transformations de l’industrie.
Depuis sa création, Believe a su croître, notamment par des acquisitions, mais aussi grâce à son statut de pure player dans une activité encore très jeune mais que les majors ne peuvent se permettre d’ignorer. Comme l’explique Denis Ladegaillerie lui-même, l’accélération de la transition vers le streaming est source d’opportunités pour les artistes, mais suppose une expertise de plus en plus poussée en marketing digital et dans les technologies de la data. Ainsi, Believe collecte et exploite les nombreuses données relatives à l’écoute en streaming et promeut ses artistes sur ces plateformes. Alors qu’on a beaucoup dénoncé des systèmes de rémunération qui favorisent largement les artistes les plus écoutés (le top 200 représente 55% des parts de marché aujourd’hui), le groupe s’attache aussi à représenter et promouvoir les plus « petits », à démocratiser en somme la distribution digitale de musique au-delà des artistes les plus populaires. Une mission en accord avec les valeurs de l’entreprise, qui se veut avant tout au service des artistes, mais aussi cohérentes avec les évolutions à venir : Denis Ladegaillerie estime que dans les prochaines années, le Top 200 passera de 55% à 40% de parts de marché.
Une introduction en bourse qui avait tout pour réussir
Déjà reconnue depuis 2018 comme l’une des futures licornes françaises (c’est aujourd’hui chose faite), les performances de Believe ces dernières années sont plus que respectables. Déjà qualifiée de leader mondial de la distribution numérique de musique et présente dans 50 pays, l’entreprise affiche en 2020 un chiffre d’affaire de 440 millions d’euros, soit une croissance de 85% par rapport à 2018. En plus d’une croissance organique (qui devrait être autour de 20-25% jusqu’à 2025), le groupe a eu recours à la croissance externe, avec à ce jour 18 acquisitions réalisées, de labels indépendants comme Naïve ou d’autres pure players du secteur, comme l’américain Tunecore, éditeur et distributeur digital pour artistes indépendants. Believe compte faire dans les années à venir 30 nouvelles acquisitions et y consacrer environ 100 millions d’euros par an, pour augmenter son chiffre d’affaires d’environ 110 millions d’euros. Cette politique d’intenses d’investissements devrait faire passer la marge d’EBIT d’environ 5-7% au niveau tout à fait honorable de 15%.
L’entreprise a donc déjà une certaine taille, et un certain niveau de rentabilité. C’est pourquoi pour financer les projets futurs, ses dirigeants ont préféré, plutôt que de procéder à une nouvelle levée de fonds auprès de fonds de capital-risque (notamment leur actionnaire historique Technology Crossover Ventures, qui a aussi aidé à se lancer Netflix et Spotify), s’introduire en bourse, afin de conserver une certaine indépendance et d’offrir de la liquidité à ses investisseurs historiques. Plutôt que le Nasdaq à New York, Believe a choisi la bourse de Paris. C’est sûrement pour l’entreprise un moyen de garder ses racines françaises et, à en croire certains experts, de bénéficier d’un certain effet de rareté. En effet, la dernière introduction d’une valeur de la tech dans le compartiment A d’Euronext Paris remonte à celle de Worldline en 2014. De plus, l’engouement que connaissent à la fois la place de Paris pour les introductions en bourse en 2021 (17 depuis le début de l’année et une trentaine dans les tuyaux, contre seulement 23 sur l’ensemble de 2020), et le secteur du streaming et de la distribution numérique de musique, auguraient le meilleur pour l’IPO de Believe.
Comment expliquer ces débuts décevants ?
Tout d’abord, il semblerait que les conditions du marché en général soient difficiles ces dernières semaines, particulièrement pour les IPOs. C’est la raison qu’ont prétexté Parts Holding Europe et Marex Spectron (qui devaient respectivement s’introduire à Paris et à Londres) pour repousser leurs IPOs. Des plus, ces difficultés boursières semblent frapper particulièrement les valeurs de la tech. Déjà en mars, Deliveroo vivait à Londres une introduction en bourse difficile, perdant 26% dès le premier jour. Plus récemment (en mai) et toujours à Londres, c’était Alphaware qui chutait de 21% le premier jour. Le phénomène ne semble pas propre à l’Europe, à New York aussi l’enthousiasme que suscitaient il y a encore quelques mois les IPOssemble s’être dissipé. Alors qu’en janvier et février on assistait (en excluant les SPACs) à un « pop » moyen de 40%, celui-ci n’était plus que de 20% en mars et avril, et de seulement 18% en mai. On a également assisté à des chutes le premier jour de trading courant mai, ici encore pour des valeurs technologiques. Ce fut le cas pour Waterdrop (-19%), Vaccitech (-17%). Certains observateurs expliquent ces conditions difficiles par la forte valorisation des actifs, qui incitent les investisseurs à la prudence quant aux nouvelles valeurs, et à l’approche très court-termiste de certains fonds alternatifs qui s’empressent de revendre les titres.
Il semblerait qu’il y ait aussi des raisons propres à Believe. Évidemment, le marché a sûrement jugé la valorisation trop élevée, bien que le prix d’introduction fût le bas d’une fourchette allant de 19,50€ à 22,50€, Believe a ainsi levé 300 millions d’euros plutôt que les 500 espérés quelques jours plus tôt. De plus, la proportion de flottant, seulement 15%, a pu inquiéter les investisseurs quant à la liquidité du titre. Enfin, bien que Believe soit leader sur son créneau, l’entreprise ne fait pas (encore) le poids face aux poids lourds de l’industrie musicale, et bien que son business model semble intéresser et intriguer les investisseurs, il reste assez atypique et beaucoup de ces derniers sont sûrement tentés de faire preuve d’attentisme.
C’est donc un parfum aigre-doux que laisse l’introduction en bourse de Believe. La première IPO de la tech française depuis 7 ans a beau augurer un passage à l’étape supérieure pour les entreprises innovantes françaises et s’inscrit évidemment dans une dynamique plus agressive de la bourse de Paris, mais beaucoup s’attendaient à mieux pour cette pépite si bien positionnée pour profiter au mieux des évolutions de l’industrie musicale, qui renoue enfin avec la croissance après deux décennies de déclin. Le futur s’annonce tout de même prometteur pour Believe, qui a quand même levé assez de fonds pour mener à bien ses projets et qui ne s’interdit pas de procéder prochainement à des augmentations de capital.