Brexit et Italie : les nœuds gordiens
UK, Italie : dans les deux cas le deal ne peut se faire. Mais la loi du marché est la nouvelle ligne de force dans le monde et remplace progressivement le multilatéralisme supranational, fruit des deux guerres mondiales. Toute la question est donc désormais de savoir si, dans les cas qui nous occupent, l’Europe sera suffisamment souple pour laisser une porte de sortie honorable au Royaume Uni et à l’Italie.
Le Brexit
Le Royaume Uni a voté pour ne plus dépendre des lois européennes, c’est-à-dire pour retrouver sa pleine souveraineté : cela correspond à l’ADN de ce peuple insulaire qui a mis en œuvre très tôt la démocratie et qui a dominé le monde.
En contrepartie, la sortie de l’Union Européenne revient à réinstaurer le blocus continental : au début du 19ème siècle, l’Angleterre s’est battue - et ruinée (la dette résultant de la guerre contre Napoléon ayant dépassé 200% du PNB) - pour empêcher ce blocus car elle est, dans son ADN, une puissance maritime et donc marchande ; la situation est aujourd’hui encore plus délicate pour la grande île en raison de l’imbrication internationale, et particulièrement européenne, de ses processus de production.
Le Brexit renferme donc une contradiction majeure pour le Royaume Uni.
Ce que voudraient en réalité les Anglais, c’est l’accès au marché européen sans l’Europe politique, c’est-à-dire un vaste traité de libre-échange comme celui qui a été signé entre le Canada et l’Europe.
Et pourquoi pas ?
Le Royaume Uni représente, en 2017, 9% des importations intra communautaires et 5,6% des exportations (source Eurostat) : cela signifie premièrement que le marché britannique bénéficie plus à l’Europe que le marché européen aux Britanniques, et deuxièmement que le Royaume Uni est un client très important pour les pays européens.
En contrepartie, le marché européen totalise, toujours en 2017, 50% des exportations britanniques (source Eurostat) : il est donc plus vital pour le Royaume Uni que le Royaume Uni n’est vital pour l’Europe ; on notera cependant que le Royaume Uni est de loin le pays de l’Union Européenne le moins dépendant du commerce intracommunautaire, certains pays comme la Hongrie ou la République Tchèque y étant exposés à près de 80%.
Il n’est donc pas rationnel pour les Européens de refuser le deal recherché par le Royaume Uni, même si l’Europe est en position de force, et le non accès aux marchés réglementés, comme celui de la finance, devrait être une sanction suffisante au divorce.
L’explication de l’attitude de refus de l’Europe réside dans la volonté des Européens de bâtir une zone unie par des liens qui ne soient pas seulement commerciaux, mais également politiques : dans ce cadre, l’économique a pour vocation de fonder l’Union politique, et la demande du Royaume Uni est donc contraire à l’ADN de la construction européenne.
Les Anglais ont été probablement très surpris de l’unité européenne à l’égard du Brexit : ils pensaient sans doute que le poids de leur marché dans les économies d’un certain nombre de pays, en particulier la Hollande, la Belgique et l’Allemagne, joint au caractère naturellement anglophile d’autres comme l’Italie et le Portugal, et à la concordance de vue sur l’Europe avec des pays comme la Hongrie ou la Pologne, joueraient à leur avantage.
C’était oublier l’ADN européen.
- On peut se poser la question de savoir pourquoi les pays du Nord de l’Europe, qui sont très exposés à l’économie du Royaume Uni, ne militent pas pour un accommodement : la réponse tient probablement en ce que le marché européen est vital pour ces pays, mais n’est véritablement exploitable que si les pays latins, naturellement instables politiquement, économiquement et monétairement, sont soumis à des règles et à une discipline européennes. Les pays du Nord ont donc un intérêt majeur à consolider la construction européenne et les règles de fonctionnement qui y sont attachées et ils ne peuvent pas laisser les Britanniques y porter atteinte.
- Quant à l’Italie et au Portugal, leurs situations financières les laissent aujourd’hui à la merci de l’Europe : ils ne sont pas en position pour monter au front, d’autant que leurs populations sont trop défiantes de leurs pouvoirs politiques pour ne pas être farouchement attachées à l’€.
- Les pays de l’Est européen enfin, où les Anglais auraient pu espérer trouver un appui idéologique, ont une main d’œuvre fréquemment employée en Angleterre, contre laquelle justement une partie des Britanniques a voté en choisissant le Brexit, et ont une dépendance, cette fois presque totale, aux économies les plus développées d’Europe.
Tout cela n’avait pas été anticipé par l’actuel gouvernement britannique.
De plus, le Royaume Uni aborde profondément divisé cette échéance historique, ce qui je crois, face à un tel péril extérieur, ne lui est arrivé à aucun autre moment de son histoire. Il y a ceux qui soutiennent l’indépendance du Royaume et ceux qui soutiennent le caractère maritime, marchand de leur économie. Il existe également une division avec l’Ecosse, pro-européenne, et qui pourrait à nouveau revendiquer son indépendance. L’Angleterre n’est que la tête du lion, et sans le corps, il est impuissant.
L’addition de ces contradictions forme un nœud gordien : il ne s’agit pas d’une affaire de politique intérieure britannique ou de frontière irlandaise, mais d’un enjeu beaucoup plus profond.
Logiquement, les deux issues les plus probables devraient être le retour du Remain, le nœud ne pouvant être dénoué, ou le No Deal, le nœud étant tranché.
- Le Remain est difficile à rétablir : d’une part, le processus est enclenché au niveau européen, et a priori irrévocable, et d’autre part les Britanniques sont très attachés à la valeur du vote des citoyens et à la légitimité qui en découle.
- Le No deal pourrait donc s’imposer, d’autant qu’on dit Teresa May particulièrement têtue et capable d’assumer cette extrémité. Mais conservera-t-elle alors une majorité pour la suivre ? Ce n’est pas probable, à cause précisément des divisions britanniques évoquées plus haut.
On ne voit donc aucune issue.
L’Italie
Pour l’Italie, la situation est également complexe :
- L’Europe recommande à l’Italie de réaliser un ajustement structurel de 0,6 point de PIB (i.e. une réduction du déficit structurel entre 2018 et 2019 de 0,6 point) pour se conformer aux dispositions du Pacte de stabilité et de croissance. C’est incompatible avec le programme sur lequel a été élue l’actuelle majorité et avec le projet de budget italien.
- D’autre part, l’Europe conteste le calcul du déficit italien, dans le cadre de son projet de budget, en arguant que ses prévisions de croissance pour la péninsule sont de 1% en 2019 et non de 1,5% comme le pense l’Italie.
En réponse, le gouvernement italien a proclamé son attachement à la zone € et s’est engagé à respecter le seuil de déficit de 2,4%, quelles que soient les circonstances, ce qui revient à contrecarrer la contestation européenne du taux de croissance retenu pour l’établissement du budget italien.
Dès lors, il est difficile pour la Commission européenne de s’opposer à un programme qui découle d’élections démocratiques sans remettre en cause la souveraineté italienne. Cette difficulté est aggravée et par le souvenir des conséquences sur l’économie grecque du diktat européen, et a contrario par la réussite du Portugal qui a adopté une politique d’expansion budgétaire contre l’avis des eurocrates.
Mais l’Europe ne peut pas non plus laisser l’Italie violer délibérément les règles de fonctionnement de l’€ : la Commission a donc refusé le budget présenté par Rome et lui a donné trois semaines pour revoir sa copie. La Commission bénéficie dans ce bras de fer de la dépendance de l’Italie aux marchés financiers : le trésor italien doit émettre en 2019 plusieurs centaines de milliards d’€ d’obligations pour refinancer la dette, et l’impact budgétaire de la hausse des taux en cours pourrait empêcher le bouclage du budget et donc l’application du programme de gouvernement.
D’un côté, l’Europe ne peut pas lâcher les règles de fonctionnement qui fonde sa construction, de l’autre les Italiens ne peuvent pas se laisser enfermer, avec une dette publique abyssale, dans une stratégie économique malthusienne : la réduction des dépenses publiques ne fonctionne que si elle est accompagnée par une dévaluation qui permette simultanément de relancer l’économie.
Il n’y a donc pas d’issue.
Conclusion :
UK, Italie : dans les deux cas le deal ne peut se faire.
Mais la loi du marché est la nouvelle ligne de force dans le monde et remplace progressivement le multilatéralisme supranational, fruit des deux guerres mondiales.
La Chine, le Royaume Uni, l’Italie font l’apprentissage de ce nouvel ordre mondial : les Etats-Unis et l’Europe tiennent les marchés et donc le monde.
Toute la question est donc désormais de savoir si, dans les cas qui nous occupent, l’Europe sera suffisamment souple pour laisser une porte de sortie honorable au Royaume Uni et à l’Italie.
hiboo pense que c’est le plus probable : le Royaume Uni comme l’Italie seront contraints à des renoncements susceptibles dans les prochaines semaines de trouver, dans les deux cas, les bases d’un accord imparfait, de façade, mais qui permettra de gagner du temps.
Les marchés n’en demandent pas plus pour arrêter de corriger.