Brexit, Megxit, Scotxit ?
Après l’Union européenne et le Prince Harry, le Royaume-Uni pourrait perdre l’Écosse. Le sentiment indépendantiste y serait majoritaire selon les sondages alors qu’approchent les élections au Parlement écossais début mai. Le SNP (Scottish National Party), actuellement majoritaire, fait figure de favori et cherchera en cas de victoire à obtenir du Gouvernement britannique un nouveau referendum.
Une sécession pour l’Écosse entraînerait, tant à court qu’à moyen terme, des dégâts économiques supérieurs au Brexit qu’une hypothétique adhésion à l’Union européenne ne pourrait en aucun cas compenser mais aggraverait plutôt en durcissant la frontière entre l’Écosse et le reste du royaume.
La souveraineté politique que gagnerait l’Écosse se trouverait limitée par la rapide manifestation de sévères réalités économiques. L’indépendance n’est cependant pas l’unique réponse aux aspirations autonomistes, qui pourraient commencer à faire l’épreuve du réel à travers un approfondissement de la devolution(1).
L’économie écossaise, bien que très ouverte, demeure plus liée aux autres nations britanniques qu’à aucun autre partenaire.
L’économie écossaise est très ouverte : la province exporta à hauteur de 58% de son PIB et importa à hauteur de 60% de ce dernier en 2017.
Les exportations à destination du reste du Royaume-Uni représentent 35% du PIB, les importations qui en proviennent 36% du PIB.
Ce taux d’ouverture commerciale élevé n’est pas surprenant dans la mesure où les petites économies tendent à être plus insérées dans le commerce international que les grandes, toutes choses égales par ailleurs. Le PIB écossais n’est en effet que de £169 millions, comparable à ceux de la République tchèque, de la Grèce, de la Roumanie ou encore du Portugal.
Le reste du royaume est de loin le premier partenaire commercial de l’Écosse. Les exportations écossaises de biens et services pour 2017 représentent £98 millions dont £60 millions à destination des autres provinces britanniques, soit 61% du total. Pour les exportations de services, la part est de 67%. Ces ordres de grandeurs sont demeurés stables dans la dernière décennie.
Les autres territoires britanniques exportent vers l’Écosse 10% du total de leurs exportations et y trouvent 9% de leurs importations. La taille de l’économie britannique (hors Écosse), de l’ordre du septuple de l’économie écossaise, explique cette relation commerciale asymétrique.
Les exports de l’Écosse hors autres territoires britanniques sont destinés pour près de moitié à des États de l’UE (à hauteur de 46%). Le premier partenaire commercial de l’Écosse sont les États-Unis.
L’avantage comparatif de l’Écosse par rapport au reste du Royaume-Uni est l’exploitation pétrolière et gazière. Ce secteur représente 26% des exportations écossaises. Il s’agit de biens à relativement faible valeur ajoutée. Par ailleurs, du fait de la conjugaison de l’épuisement des ressources et des fluctuations importantes du prix du pétrole, cette ressource est volatile. Même en se concentrant sur des données antérieures à la crise de la Covid, on observe par exemple entre 2010 et 2016 une variation de 12 points de PIB des exportations pétrolières dans la composition des exportations écossaises.
Le second poste d’exportation consiste en les services aux entreprises, le troisième est la production alimentaire. Hors des exportations alimentaires, les exportations de biens manufacturés potentiellement plus porteurs de valeur ajoutée ne représentent que 30% du total des exports.
Le commerce des services se fait à hauteur de 48% pour les exportations et de 60% pour les imports avec le reste du Royaume-Uni.
Dans l’éventualité de l’introduction d’une frontière commerciale entre le Royaume-Uni et l’Écosse, la négociation d’un accord sur le commerce des services se révèlerait primordiale. Ces négociations, complexes, peuvent ne pas aboutir comme l’illustre l’exemple du Brexit.(2)
L’introduction d’une frontière nationale entre le Royaume de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et l’Écosse aurait un coût économique pour cette dernière bien supérieur au Brexit.
Les frontières internationales constituent des barrières aux échanges.
Peu importe le degré d’intégration commerciale atteint, des frictions sont inévitables qui accroissent le coût du commerce, et créent un effet de diversion au profit de biens domestiques parfois plus chers ou moins adéquats, ce qui entraîne une perte de surplus agrégé pour toutes les parties à l’échange.
L’effet frontière a été modélisé en 1995 et postule qu’il existe un biais domestique aux échanges. Sur la base des données commerciales pour 1988, il a été constaté que les échanges entre provinces canadiennes et étasuniennes frontalières étaientt 22 fois moins élevé que le commerce entre provinces canadiennes, la présence d’une frontière expliquant cet écart(3).
On constate la permanence de l’effet frontière même au sein du marché unique européen, qui est pourtant un cas extrême d’intégration commerciale. On y constate un effet frontière de 12,3 à 38% selon les secteurs économiques, ce qui veut dire que la part de marché d’une région européenne est en moyenne inférieure d’autant dans un autre pays européen par rapport à son marché domestique. Cet effet est moindre quand l’établissement des frontières est relativement récent : lorsqu’il est postérieur à 1910, l’effet frontière s’établit à 28,8% au sein de l’UE(4).
L’adoucissement de l’effet frontière lorsque la barrière commerciale est récente tient notamment à des facteurs culturels.
Les frontières aux échanges entre différents pays tiennent en premier lieu aux tarifs douaniers, inexistants au sein du marché unique. Ils tiennent en second lieu aux « barrières non tarifaires », c’est à dire les obstacles juridiques aux échanges. Ces derniers sont multiples et peuvent constituer en une différence de normes ou en un coût juridique lié aux opérations commerciales dans une juridiction étrangère par exemple. Les différences culturelles représentent enfin une friction supplémentaire, qu’il s’agisse de la barrière de la langue ou de difficultés de compréhension face à une culture étrangère qui complique l’établissement d’une relation commerciale.
L’effet frontière qui pourrait suivre l’instauration d’une frontière entre l’Écosse et les autres provinces britanniques doit ainsi être apprécié à l’aune de leur proximité culturelle, langagière et juridique. On constate cependant que l’effet frontière entre la République d’Irlande et le Royaume-Uni induit en moyenne une augmentation du coût des échanges de 31%(5).
Rejoindre l’UE et son marché unique ne pourrait constituer une solution à la forte dépendance commerciale de l’Écosse à l’égard du reste du Royaume-Uni en cas de sécession.
Différents scénarios ont en effet été modélisés par les économistes de la LSE (Huang et al, op. cit.).
Le premier scénario étudie les effets à moyen-terme du Brexit et conclut à une perte de PIB par tête de 2% pour l’Irlande et de 3% pour l’ensemble du Royaume-Uni.
Le second imagine une indépendance de l’Écosse qui verrait cette dernière rester dans un marché commun avec le Royaume-Uni, c’est à dire un degré élevé d’intégration commerciale. Il prévoit une perte de PIB par tête à moyen-terme de 6,5% pour l’Irlande en cas de frontière largement ouverte, et de 8,7% en cas de frontière dure. Ce scénario prend également en compte les effets du Brexit.
Le troisième scénario suit l’hypothèse, en tenant compte du Brexit, de l’indépendance de l’Écosse et de son adhésion à l’UE. Il conclut à une perte de PIB par tête à moyen terme de 6,3% à 7,6%.
L’adhésion à l’UE n’est ainsi meilleure pour l’Écosse que sa situation au sein du Royaume-Uni qu’en cas de frontière dure, limitant la perte de PIB par habitant à 7,6% à moyen terme au lieu de 8,7%, ce qui demeure en soi un désastre pour l’économie Écossaise.
Notons que l’appartenance à l’UE implique l’existence d’une frontière dure avec le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. À court-terme, l’insuffisance du traité commercial liant le Royaume-Uni et l’UE entraînerait des frictions à la frontière RU-Écosse qui constituerait une frontière extérieure de l’Union, avec perception du Tarif douanier commun (TDC)(6) et contrôles de conformité aux normes européennes. À moyen-terme, la divergence légale et réglementaire entre le Royaume-Uni et l’UE accroîtra les barrières non-tarifaires aux échanges et donc la dureté de la frontière.
L’intensité des relations commerciales qu’une Écosse indépendante pourrait entretenir avec l’UE demeure de plus théoriquement limitée par rapport aux relations que la province, même indépendante, pourrait conserver avec les autres régions britanniques.
Le modèle de gravité(7) postule que l’intensité des relations commerciales entre deux économies est proportionnelle à leur taille et inversement proportionnelle à la distance qui les sépare. L’Écosse, enclavée tout au nord d’un Royaume-Uni étranger au marché unique et présentant un PIB relativement modeste, se trouverait en réalité à une grande distance de l’Union européenne. Il faudrait en effet aux marchandises en transit à travers l’Angleterre franchir deux frontières terrestres et un bras de mer pour accéder au marché européen.
Accroître la dévolution pourrait tout à la fois répondre aux aspirations autonomistes et en révéler les coûts économiques.
Dans le cadre du Scotland Act de 2012 fixant l’actuelle administration territoriale de l’Écosse, le Parlement écossais vote un budget dans les matières relevant de ses compétences. Ses ressources sont allouées par le Parlement britannique lors du vote du budget national, ses possibilités d’emprunt si bornées qu’elles en sont négligeables.
Dans cette situation, le budget du Gouvernement écossais est nécessairement équilibré : ses ressources sont exogènes et limitées et sa capacité d’emprunt quasi nulle. La proposition et le vote du budget jouant un rôle fondateur et majeur dans les régimes parlementaires, la responsabilité politique du Gouvernement d’Écosse se trouve ainsi diminuée. Sa responsabilité économique l’est également : l’absence de ressource d’emprunt l’empêche de lisser le cycle tandis que son appartenance au Royaume-Uni agit comme une assurance de dernier ressort.
Le pouvoir de lever l’impôt, compétence régalienne par essence, échappe enfin en grande partie au Gouvernement écossais. Ce dernier contrôle 69% de la dépense publique dans le territoire, mais seulement 15% de la recette fiscale, le reste étant financé par l’allocation britannique c’est à dire par l’impôt levé dans l’ensemble du royaume ainsi que la dette publique.
Afin de répondre aux aspirations autonomistes, la dévolution pourrait-être approfondie en accroissant d’une part la compétence fiscale du Gouvernement écossais et d’autre part sa capacité d’endettement. Ce dernier se trouverait ainsi en mesure de mettre en œuvre un début de politique économique et de la financer. Les capitaux d’emprunt ainsi levés ne devraient pas bénéficier de la garantie du Gouvernement britannique, afin de révéler la valeur de la signature écossaise et le coût potentiel de financement sur les marchés d’une Écosse indépendante(8).
Un accroissement de la dévolution pourrait tout à la fois accroître la responsabilité du Gouvernement écossais, répondant ainsi aux revendications autonomistes, et commencer à révéler le coût économique du projet indépendantiste.
« Le jour n’est pas loin où les problèmes économiques retrouveront leur place sur la banquette arrière (…) et où le cœur et les esprits seront occupés à nouveau par les problèmes de la vie et des relations humaines(9) », écrivit Keynes.
Le projet politique indépendantiste que nourrissent une partie des Écossais entraînerait une dégradation objective de la situation économique de l’Écosse. Pour autant, les études macroéconomiques ne peuvent constituer un argument d’autorité ; elles ont pour rôle d’éclairer la décision politique, qui appartient en dernier ressort au Parlement de Westminster, d’autoriser ou pas un referendum sur l’indépendance si le SNP gagne les élections de mai. Les députés britanniques pourraient également explorer une troisième voie entre le statu quo et la sécession et accroître les compétences et la responsabilité politique du Gouvernement écossais. Ce faisait, ils répondraient aux aspirations d’une grande partie de l’électorat écossais tout en le renseignant sur le prix de son autonomie.
(1) Organisation décentralisée du Royaume-Uni, qui demeure un État unitaire, organisant le partage des compétences entre les institutions nationales et locales. Date, pour l’Écosse, de 1998.
(2) Disunited Kingdom? Brexit, trade and Scottish independence, Hanwei Huang, Thomas Sampson and Patrick Schneider, Center for Economic Performance, LSE, 2021.
(3)National Borders Matter: Canada-U.S. Regional Trade Patterns, John McCallum, American Economic Review, 1995.
(4) Borders within Europe, Marta A. Santamaría, Jaume Ventura, and Uğur Yeşilbayraktarr, NBER Working Paper No. 28301, 2020.
(5) The gains from economic integration, David Comerford, José V Rodríguez Mora, Economic Policy, Volume 34, 2019.
(6) Droit de douane perçu à l’entrée dans le marché unique et reversé à l’UE moins 10% conservés par l’État percepteur pour couvrir ses frais.
(7) Jan Tinbergen, 1962.
(8) Devolution within the UK, Angus Armstrong and Monique Ebell, National Institue Economic Review No. 230, 2014
(9) “The day is not far off when the economic problem will take the back seat where it belongs, and the arena of the heart and the head will be occupied or reoccupied, by our real problems — the problems of life and of human relations, of creation and behaviour and religion.” John Maynard Keynes, First Annual Report of the Arts Council (1945-1946).