Ce que dit le marché des taux (2/2)
Le marché nous dit que la croissance nominale américaine devrait tendre vers 3% : Ce n’est pas une mesure précise, mais une approximation utile.
Aux Etats-Unis, le 10 ans cotait le 13/07/2018 à la clôture 2,83%.
La théorie économique nous enseigne que les taux à long terme tendent vers un niveau proche de la croissance nominale (croissance + inflation) de l’économie.
Ce n’est pas une mesure précise, mais une approximation utile.
Le marché nous dit donc que la croissance nominale américaine devrait tendre vers 3% : par exemple 1,5% de croissance et 1,5% d’inflation.
L’indice des prix indique en juin une hausse annuelle de 2,8%, mais la hausse des prix du pétrole y contribue alors qu’il ne s’agit probablement pas d’un facteur structurel. L’inflation sous-jacente est estimée plutôt proche de 2,3% et attendue probablement à ce niveau au cours des prochaines années par la plupart des experts.
Avec des taux à 10 ans à 2,83%, le potentiel de croissance à long terme de l’économie américaine est donc attendu très faible par le marché, autour de 0,5 % par an.
Cette croissance pourrait même être attendue encore plus faible, proche de 0% voire négative, car il est clair que la montée du protectionnisme aux Etats-Unis aura un effet inflationniste : les marchés s’attendent très probablement à une inflation dans les prochaines années supérieure à la prévision proche de 2% des experts.
L’investisseur doit donc sérieusement se poser la question suivante : les marchés obligataires ont-ils raison de prévoir un effondrement de la croissance aux Etats-Unis ?
Si la réponse est positive, il est clair qu’il serait sage d’alléger son portefeuille et de se constituer une très importante réserve de trésorerie.
Nous devons donc nous interroger sur la valeur des taux longs comme indicateur de croissance nominale aux Etats-Unis.
Le problème est de déterminer si ces taux sont fiables ou s’ils sont biaisés :
- La banque centrale américaine (FED) n’intervient plus sur le marché de la dette à long terme, cependant elle ne réduit que progressivement la taille de son bilan : la FED a acquis pour environ 1.700 Mds$ d’obligations du trésor américain ; la duration de son portefeuille est d’environ 6 ans, donc plutôt longue, ce dont on déduit que les obligations à moins d’1 ans, celles qui arrivent à échéance en 2018, doivent représenter environ 10% du portefeuille, soit 170 Mds$. Or la FED a déclaré qu’elle ne réinvestira pas cette année de 72 à 360 Mds$ d’obligations du trésor arrivant à échéance. Admettons qu’elle opte pour l'hypothèse basse, elle réinvestira alors pour environ 100 Mds$ en obligations du trésor (170 Mds$-72 Mds$). Sauf à rallonger la duration de son portefeuille, ce qui serait le contraire du mouvement qu’elle mène puisqu’au cours des deux dernières années la duration a baissé de 2 ans, elle ne devrait donc consacrer que 10% au plus de cette somme à l’achat d’obligations à 10 ans, soit 10 Mds sur un an, soit 833 Ms$ par mois. On en déduit que les interventions de la Fed sur le marché obligataire dans le cadre de la gestion de son portefeuille obligataire peuvent être considérées comme faibles. Ce n’est donc probablement pas ces interventions qui biaisent le prix des obligations à 10 ans.
- Dans le monde entier, des investisseurs sont à la recherche de placements obligataires rentables dans le cadre de la gestion de fonds de pension, de réserves techniques des compagnies d’assurance, de fonds obligataires.
Le réceptacle naturel de ces placements sont les marchés obligataires mondiaux qui offrent simultanément une sécurité juridique, grâce à un état de droit solide, et une profondeur de marché : le marché de la dette en Yen, en €, en £, en US$.
Or on constate que sur les trois premiers marchés, les politiques monétaires des banques centrales ont porté les taux à 10 ans à des niveaux qui n’offrent pas ou très peu de rentabilité :
10 ans Japon 0,04%
10 ans Allemagne 0,30%
10 ans France 0,65%
10 ans Royaume Uni 1,29%
Il est donc très probable que, dans le monde entier, des investisseurs obligataires achètent des obligations américaines dans des proportions supérieures à ce qu’ils feraient naturellement parce que c’est le seul grand marché obligataire qui offre un peu de rentabilité.
Les politiques monétaires au Japon, en Europe et au Royaume Uni ont donc un impact sur les taux américains et les maintiennent certainement à un niveau inférieur à ce qu’ils seraient dans un marché obligataire mondial qui ne serait pas manipulé.
Essayons de réfléchir à partir de cette hypothèse :
Vous êtes un investisseur obligataire nippon. Vous avez intérêt à acheter de la dette américaine à 10 ans tant que le différentiel de rentabilité sur la période compense la dépréciation monétaire éventuellement attendue sur le $.
Pour faire simple, les taux sur le 10 ans sont à 0% au Japon et à 2,8% au Etats -Unis. Le marché anticipe donc une dépréciation sur la période de 2,8% par an du $.
Théoriquement une dépréciation monétaire est égale sur longue période à un écart de productivité qui lui-même se traduit dans l’indice d’inflation sous-jacente.
L’inflation sous-jacente au Japon est un peu en dessous de 0% (-0,3%) et un peu au-dessus de 2% (2,3%) aux Etats-Unis. L’écart d’inflation sous-jacente est donc proche de l’écart des taux d’intérêts à 10 ans. Cela est donc cohérent.
Au global, on peut donc considérer que les prix sur les marchés obligataires mondiaux sont faussés par les politiques accommodantes en œuvre sur un certain nombre de grandes monnaies mondiales. Cela entraîne les conséquences suivantes :
- Le prix du 10 ans américain est plus bas que ce qu’il devrait être, probablement de 1, 2 ou même 3%. On ne peut donc pas s’appuyer sur son niveau pour prévoir l’activité à venir et il n’est donc probablement pas, à lui seul aujourd’hui, un indicateur de baisse d’activité.
Même si on prévoit, à la suite de la mise en place de mesures protectionnistes aux Etats-Unis, une inflation plus proche de 3% que de 2%, il reste probablement encore une marge de croissance pour l’économie américaine.
- Les prix sont faussés sur tous les grands marchés obligataires mondiaux. L’allocation de capital est donc mauvaise partout. Plus cette situation durera, plus les conséquences seront importantes pour la croissance à long terme au niveau mondial.
En effet, des taux anormalement bas favorisent des investissements peu productifs et détériorent donc les perspectives de croissance longue. Cela est d’autant plus préoccupant que les taux bas favorisent simultanément une dette excessive. Cet excès de dette ne peut ensuite être résorbé par une croissance forte qui n’est plus possible. La résorption de la dette passe alors soit par une sévère crise financière lorsque les taux reviennent à leur niveau naturel, soit par une inflation plus forte que l’objectif affiché par les banques centrales. On remarquera d’ailleurs que la subvention à des entreprises non rentables par des taux bas est un facteur permissif de développement de cette inflation, surtout s’il existe des barrières douanières.
En conclusion, l’investisseur :
- ne possèdera aucune obligation dans aucun pays.
- Pourra rester investi en actions ; mais étant donné les risques qui pèsent à moyen terme sur les entreprises endettés et peu rentables, il se concentrera exclusivement sur des sociétés ayant une rentabilité élevée des capitaux propres, une forte génération de cash, un bilan avec pas ou peu de dettes.
Hiboo recommande à l’investisseur la lecture de ses analyses sur les valeurs recommandées pour trouver un échantillon de sociétés répondant à ces critères.