CO2 sous le tapis
Le CO2 est l’un des gaz responsables de l’augmentation de la température moyenne sur Terre car il stocke la chaleur du soleil sans la renvoyer dans l’espace. Il est la cause de nombreux changements et le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) tire la sonnette d’alarme. Que nous reste-t-il à faire ?
Nous produisons beaucoup de dioxyde de carbone (CO2) et c’est un constat que l’on peut aujourd’hui appuyer par des relevés scientifiques précis. Nous savons où il est produit, à quelle vitesse et où il va. Regroupé dans l’hémisphère Nord, ce gaz à effet de serre peut rendre plus difficile notre vie de demain. En Chine, il est à l’origine de la mort de quatre mille personnes par jour. Des initiatives se présentent pour tacler notre sur-émission mais arriveront-elles à temps ? Entre impacts, technologies et financiarisation de l’économie du carbone, à quoi peut-on s’attendre dans les prochaines décennies ?
Production excessive et scénarios pessimiste
Le dernier rapport du GIEC pointe déjà que sur les cent dernières années, le monde a connu un réchauffement global de 1°C. Ce chiffre n’est pour le moment pas alarmant en tant que tel car notre planète a déjà vécu par le passé des périodes de forte chaleur et d’autres de glaciations de manière cyclique. Néanmoins, un autre constat peut être fait, depuis les années 1920, la Terre n’a jamais respiré autant de dioxyde de carbone CO2 que par son passé. Comptabilisé en partie par million (ppm), notre décennie à vu dépasser la barre symbolique des 300 ppm de CO2 dans l’air. Aujourd’hui, avec notre production et notre consommation, l’Homme est responsable de l’éjection de dizaines de gigatonnes (1012 kg) de CO2 chaque année. Ce gaz à effet de serre qui se répartit sur l’ensemble du globe mais en particulier dans l’hémisphère Nord, est très stable chimiquement et absorbe la chaleur venant du soleil. À force, celle-ci ne peut donc plus être rejetée dans l’espace – c’est l’effet de serre. En 2020, la NASA entre autres, via des analyses satellites précises, a permis de montrer que l’atmosphère contenait en moyenne 410 ppm de CO2, soit 3 200 milliards de tonnes augmentant d’environ 1% par an.
Il est intéressant de noter que bien que ce mix ait changé de visage durant les précédents siècles, il est actuellement très bien reparti quant aux causes de production de CO2. Comme vous le voyez, il n’y a pas de secteur prédominant et tout notre mode de vie s’y retrouve. L’électricité qui nous éclaire la nuit, l’alimentation de tous les jours, les transports que nous prenons pour aller travailler et les bâtiments que nous construisons pour nous loger, chaque action personnelle a un impact global. Par ailleurs, 75% des émissions proviennent des vingt pays les plus industrialisés.
Les prévisions ne sont donc pas bonnes et bien qu’il faudrait d’une part soit réduire notre production, soit la compenser, il faudrait d’autre part commencer à supprimer le CO2 et autres gaz déjà présents sur terre et dans le ciel.
La Terre ne nous a cependant pas attendu pour s’autoréguler et les scientifiques appellent alors des puits de carbone les différents écosystèmes qui permettent de gérer ce flux. Il en existe plusieurs comme les océans qui absorbent le CO2, celui-ci se déplace environ 1000 ans avant de ressortir à l’air libre. Pendant ce temps il est soit consommé par les planctons, soit utilisé comme base pour la calcification des coraux et autres coquillages. Il est estimé qu’environ 9 Gt de CO2 sont récupérées de l’atmosphère chaque année. Nous pouvons aussi parler des forêts et sols qui absorbent le CO2 de l’air pour le transformer en chaînes carbonées et produire du dioxygène. Ces dernières, absorbent et émettent du CO2, pour une balance annuelle de -7.35 Gt/an[5].
Comme nous l’avons vu, cela ne suffit pas, il faut donc mettre en place des technologies pour aider la Terre à s’en sortir. Techniquement, il est difficile et coûteux d’extraire le CO2 de l’air lorsqu’il est très dilué. Ainsi, dès qu’il sort des cheminées des usines par exemple, il est beaucoup plus concentré et sa récupération serait facilitée. Enfin, tout le CO2 qui n’est ni absorbé par la mer, ni par le sol reste alors dilué dans l’atmosphère, là où il piège la chaleur solaire.
Le dernier rapport du GIEC fait alors l’inventaire de plusieurs scénarios qui débouchent sur une augmentation de la température moyenne de +1.5°C à +4.5°C d’ici 2100. Parallèlement, ces scénarios calculent que l’atmosphère concentrera entre 30% et 60% du total des émissions à l’instar des 30% actuels ce qui engendrera le réchauffement. En effet, si la température moyenne augmente, les procédés chimiques de dilution du CO2 dans l’eau sont moins performants.
Pour contrer cette brusque augmentation du taux de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, de plus en plus de pays ont mis en place des législations contraignantes en parallèle de la tenue de conférences sur le climat dans le cadre des pays signataires de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (plus de 195 États participants).
La financiarisation du carbone
Aujourd’hui ce sont près de soixante-quatre initiatives qui souhaitent ouvrir la tarification du carbone[6]. Au total, 121 pays déclarent vouloir arriver à une neutralité carbone en 2050. Ce nouveau marché que nous allons expliquer rapidement génère en 2020, 53 milliards de dollars et représente en 2021 environ 22% du total des émissions mondiales annuelles[8].
Sous l’acronyme ETS (Emissions Trading Scheme – Schéma d’échange de quotas d’émission), plusieurs entités s’échangent des titres permettant de polluer. Il faut savoir qu’actuellement, il existe plusieurs marchés d’échange des ETS : l’Europe émet des EU ETS, la Chine est en phase de test avec 8 ETS, et la Californie, l’Ontario etc ont eux aussi leurs ETS (vous pouvez retrouver toutes les informations ici[7]). Au niveau de l’Europe, plus gros pollueur historique, les ETS ont été créé en 2005 et sont maintenant connectés aux ETS Suisses. Concrètement, les EU ETS couvrent actuellement 42% des émissions européennes. Pour expliquer rapidement leur fonctionnement, l’Europe fixe un quota d’émission de gaz à effet de serre qui diminue progressivement. En fonction de ce quota, il émet un certain nombre de tickets que les entreprises pollueuses peuvent acheter et s’échanger sur un marché. À la fin de l’année, l’entreprise doit pouvoir justifier que ses émissions sont proportionnelles au nombres de tickets d’émission qu’elle détient. Ainsi, si une centrale n’a pas assez de tickets, elle doit en acheter à une entreprise qui polluera moins.
Financiariser l’émission des polluants est la solution actuellement retenue en Europe et elle se répand sur les autres continents. Cependant, le prix de ces ETS varie indubitablement en fonction de la zone géographique. Ainsi, pour $60 la tonne de CO2 produite en Europe, vous ne payez que $10 la tonne en Chine[7]. Il n’y a donc pas de contrôle global de la pollution et ce système pose de nombreux problèmes tels que l’augmentation du prix de l’électricité répercutée au niveau du consommateur final.
Bien que les ETS soient là pour faire diminuer l’émission de gaz, il existe par ailleurs de nombreux projets pour capturer le dioxyde de carbone et donc réduire a posteriori sa concentration dans l’atmosphère. Sur le graphique ci-dessus, je vous ai représenté en vert le nombre de projets actuellement en développement ou en production et en rouge, la part cumulée depuis 1750 de la pollution existant sur Terre[9][10].
Ces projets visent à capturer et à stocker le CO2 pour pouvoir ensuite le réutiliser ou l’enfermer et en plus y toucher. Cependant, si l’ajout de ces procédés dans le cycle d’une usine revient plus cher que l’achat d’un ETS, alors les plus gros pollueurs chercheront toujours la facilité. En faisant les calculs, le développement de ces technologies et leur utilisation coûtent en $400 et $4000 la tonne de CO2 ce qui est bien au-delà du prix des ETS. Bien que ces projets souhaitent développer des technologies toujours plus rentables, elles ne sont pas encore matures. Pour atteindre les objectifs des <+2°C, les analyses montrent que les deux prix doivent converger vers $175.
Il est cependant intéressant de noter que ce sont les États-Unis et le Canada qui poussent le plus ces initiatives alors que l’Europe, ancien gros pollueur, est à la traine. Inversement, l’Asie de l’Est, bien que gros pollueur actuel mais qui rattrape rapidement le retard industriel des autres pays, ne se presse pas à développer une économie de décarbonation qui serait toutefois bénéfique pour le bien sanitaire de sa population. On parle tout de même de quatre mille morts par jour en Chine[11]. Toutefois, notez que l’Australie en particulier est très dynamique sur ce sujet malgré son profil déjà plus vert que les autres.
Techniques de stockage en profondeur
Comme nous en avons parlé précédemment, le CO2 produit a plusieurs débouchés. Soit il se transfère dans l’air puis se dépose dans les océans ou sur Terre, soit il est utilisé par les industries comme produit de base, soit il est stocké. Dans le deuxième cas, l’utilisation du CO2 représente une infime partie de sa production. En effet, 0,5% du CO2 produit termine en urée, en méthanol ou finit dans l’alimentation. Cette utilisation n’allant pas augmenter dans les prochaines décennies, elle n’est pas une piste à envisager pour atteindre les objectifs. Pour ce qui est du premier cas, nous avons déjà expliqué qu’une plus grande part allait rester dans l’air et que le CO2 dissout dans les océans, allait provoquer une acidification (augmentation du cation H+) et un changement des bioclimats locaux.
Quelles sont alors les prochaines étapes de décarbonation de l’atmosphère ? Un petit nombre de startups veulent trouver le remède miracle. Je vous en ai dressé la liste sur le graphique ci-dessous[12].
On retrouve finalement un parallèle avec la précédente carte. Néanmoins, toutes ne sont pas aussi brillantes. Sur cette vingtaine de startups, la levée moyenne de fonds est de 41 millions de dollars sachant que la moitié n’a pas rendu public les levées de fonds. Parmi celles-ci, une en particulier retient notre attention, c’est une entreprise Suisse, ClimeWorks, qui a levé plus de 130 millions de dollars et a commencé l’installation de ses usines de traitement du CO2 en Islande. Avec pour objectif de capter quatre mille tonnes de CO2 par an, le CEO reste confiant et espère pouvoir capter plus d’un million de tonnes de CO2 avant la fin de la décennie.
Dès que le CO2 est pompé de l’air, il est ensuite mélangé à l’eau pour pouvoir plus facilement le transporter dans des pipelines. Plusieurs projets de déploiement de ces infrastructures sont en cours de construction. Enfin, ce liquide est ensuite stocké dans le sol, en particulier dans des anciennes cavités contenant du pétrole par exemple qui sont donc imperméables. Ce mélange d’eau et de gaz repose ensuite, mis sous le tapis et ne participant plus au réchauffement climatique. Bien qu’il existe des possibilités de fuite, les experts ne considèrent pas ces difficultés comme risquées. Par ailleurs, il existe aujourd’hui de très nombreuses poches de stockages naturelles qui permettront d’accueillir tout le CO2 produit « en trop ».
En conclusion, les experts sont alarmés. D’une part car la production est trop élevée par rapport à ce que l’on peut supprimer, d’autre part car le stock actuel de CO2 est bien trop important et commence à avoir des effets très négatifs. Menés par les institutions, de nombreux projets servent à découvrir de nouvelles technologies pour capturer le CO2 et limiter les émissions. Cependant, bien que politique, ce sujet n’est pas traité de façon homogène dans le monde. Les ETS sont-ils une solution décourageante ? C’est un des paris. Néanmoins, de nouvelles structures startups se mettent en route avec une approche industrielle qui générera certainement un marché géant dans les prochaines décennies jusqu’en 2050, date à laquelle nous ne dégazerons plus de CO2 dans le ciel. Si seulement.
Bibliographie :
[1] GIEC, AR6 Climate Change 2021: The Physical Science Basis, août 2021
[2] IPCC - The Intergovernmental Panel on Climate Change, Climate Change 2021 The Physical Science Basis, 2021
[3] Z. HAUSFATHER, Analysis: Global CO2 emissions set to rise 2% in 2017 after three-year ‘plateau’, 13 novembre 2017
[4] NASA, Graphic: Measuring carbon dioxide from space, 2014
[5] Global Forest Watch, Dashboard – world climate, 2020
[6] Carbon Pricing Leadership Coalition, Carbon Pricing Leadership Report 2020/2021, 2021
[7] International Carbon Action Partnership, Allowance Price Explorer, 30 juin 2021
[8] The World Bank, Carbon Pricing Dashboard, 1er avril 2021
[9] National Energy Technology Laboratory, CARBON CAPTURE AND STORAGE DATABASE, 2021
[10] Our World in Data, Who has contributed most to global CO2 emissions?, 1er octobre 2019
[11] F. Liang, Q. Xiao, K. Huang & others, The 17-y spatiotemporal trend of PM2.5 and its mortality burden in China, 13 octobre 2020
[12] Crunchbase, Companies related to CCUS, 2021
[13] IEA, About CCUS, avril 2021