Comprendre la bulle des SPACs
En 2020 et dans les premiers mois de 2021, on a beaucoup entendu parler des SPACs. Derrière cet acronyme, qui signifie Special Purpose Acquisition Company, se trouve un type de véhicule d’investissement assez particulier. Les SPACs existent depuis les années 1990, mais c’est véritablement depuis un an qu’ils occupent le devant de la scène financière, si bien qu’on parle désormais aux États-Unis d’une bulle qui aurait déjà éclaté, mais qui pourrait bien trouver un second souffle en Europe.
Le principe
Un SPAC est avant tout un véhicule d’investissement. C’est une société sans activités opérationnelles, dont le seul but est de lever des fonds lors d’une introduction en bourse afin de réaliser une acquisition. À l’exception parfois des sponsors, les fondateurs du SPAC, les investisseurs qui achètent des parts d’un SPAC fraichement émises sur le marché ne savent pas quelle sera la société acquise (d’où le surnom blank cheque company), sinon peut-être un thème ou un secteur en particulier (comme le sport, la transition énergétique…). Ils savent simplement que leur investissement sera placé sur un compte en fiducie portant intérêts qui ne pourra être ouvert que pour réaliser ladite acquisition dans un délai prédéterminé (en général un ou deux ans) à la fin duquel, si aucune acquisition n’est réalisée, le SPAC sera liquidé. Cela implique qu’avant une acquisition, la valeur d’une part est théoriquement au moins égale à la valeur d’une part de la fiducie, c’est à dire au prix d’émission plus intérêts. Ainsi, c’est un investissement assez sûr pré-acquisition, même en cas d’effondrement du marché, sauf pour les sponsors et investisseurs en risk capital, dont l’investissement est consommé par les besoins du SPAC. C’est en quelque sorte une IPO inversée : plutôt qu’une société opérationnelle cherchant à lever des fonds en s’introduisant en bourse, il s’agit ici de fonds qui cherchent une activité opérationnelle.
Évidemment, tous les SPACs ne parviennent pas à remplir leur fonction. En juillet 2020, un peu moins de 40% des SPACs lancés depuis 2015 avaient réalisé une acquisition. Dans beaucoup de cas, les fonds levés se révèlent insuffisant pour acquérir la société cible, ce qui pousse les sponsors à lever des fonds supplémentaires à l’aide de PIPEs (Private Investment in Public Equities), des investisseurs institutionnels achètent de nouvelles parts du SPAC (d’actions ordinaires ou de dette convertible) en placement privé, à un prix en général inférieur au prix de marché. Au plus haut de la bulle, l’avantage étaient au vendeurs (les sponsors) tant l’engouement pour les SPACs était important. Aujourdhui, il semblerait que ce soient les acheteurs qui reprennent la main et de plus en plus imposent leurs conditions.
Les raisons de cet engouement
D’une bulle à une autre ?
La plupart des observateurs s’accordent à dire que ce qui s’est passé en 2020 et jusqu’en mars 2021 sur les marché américains était une bulle. En effet, les montants records de fonds levés et le nombre de véhicules lancés indiquaient un intérêt sûrement exagéré pour cette classe d’actif. De plus, il est important de noter que tous les sponsors ne se valent pas. Or, dans le cas d’un SPAC, c’est avant tout les compétence et le savoir-faire en deal-making d’un sponsor qui détermine la qualité de l’investissement. À en croire Nathan Anderson, vendeur à découvert fondateur du hedge fund Hindenburg Research, tous ne sont pas forcément au niveau. Son fonds, qui expose les fraudes et manquements d’entreprises cotées pour ensuite shorter leurs actions, s’en est pris récemment à DraftKings, une entreprise de paris sportifs devenue publique en avril 2020 après avoir été acquise par un SPAC, considérée comme l’élément déclencheur de la SPAC-mania. Évidemment son intérêt pour les SPACs peut s’expliquer par la dynamique de hausse durable des marchés actions classiques ou les hordes d’investisseurs particuliers issus de plateformes comme Reddit qui veulent à tout prix faire échouer les vendeurs à découvert, mais il affirme ne pas cibler ces actifs en particulier et simplement s’en prendre aux valeurs qu’il considère survalorisées là où il les trouve. Et en ce moment, il les trouve dans les SPACs. Il dit lui-même : « Je garde l’esprit ouvert à l’idée qu’il puisse y avoir de bons SPACs. Je n’en ai juste pas encore vu. ». Ce scepticisme est partagé par le gendarme boursier américain, la SEC, qui cherche à mettre en place de nouvelles réglementations pour protéger les investisseurs et met en garde contre les risques associés à cette classe d’actif, notamment les conflits d’intérêts que peuvent avoir les sponsors et sur le fait que, pour la plupart des investisseurs, les retours sur investissement ne sont pas à la hauteur de la « hype ».
La perte d’intérêt pour cette classe d’actif fut assez brutale. Si au premier trimestre 2021, plus de 20% des revenus des banques d’investissement américaines venaient des SPACs, en avril et mai ce n’était plus que 5%. De même, contre 300 IPOs de SPACs et 84 acquisitions annoncées au premier trimestre, on en comptait sur la seconde période respectivement 30 et 32. De nombreuses actions de SPACs sont même tombée en dessous de leur valeur théorique minimale. Les deux plus gros ETFs spécialisés dans cette classe d’actif, SPAK et SPCX, ont respectivement perdu 26% et 12% par rapport à leur pic de février.
SI l’enthousiasme est clairement retombé aux États-Unis, ils semble grandir en Europe. En effet, depuis mai, 3 SPACs se sont déjà introduits à Paris, et 12 autres se sont lancés ailleurs en Europe (à Amsterdam notamment) depuis le début de l’année, à comparer à seulement 12 introductions au total en 2020. De plus, les fonds levés sont plus importants, les records européens de 300 et 500 millions d’euros ayant été atteints cette année (à comparer à 4 milliards de dollars pour le record américain). Jusqu’à récemment, les sponsors européens étaient plus enclins à chercher une cotation aux États-Unis, mais les possibles évolutions réglementaires et la saturation du marché outre-Atlantique font de l’Europe une destination de plus en plus attractive, d’autant plus que le nombre de licornes européennes prêtes à s’introduire en bourse ne fait qu’augmenter. Cependant, de nombreux observateurs ne s’attendent pas à des chiffres aussi fous que ceux vus aux États-Unis. Le PDG d’Euronext Paris, Anthony Attia, s’attend plutôt à un flux d’introductions plus régulier et durable et des levées de fonds plus raisonnables.
Ainsi, comme c’est souvent le cas à Wall Street, l’enthousiasme pour un nouveau produit financier (ou dans ce cas, l’enthousiasme nouveau pour un produit existant) a conduit à certains excès. Cet engouement a indéniablement été rendu possible par les circonstances plutôt que par les SPACs en eux-mêmes, et beaucoup de sponsors et de banques d’investissement s’occupant des IPOs ont évidemment manqué d’expliciter aux investisseurs les risques propres à ces véhicules d’investissement. Il n’empêche que les avantages des SPACs pour certaines situations, comme la rapidité de la procédure en comparaison à une IPO classique ou la possibilité d’introduire à meilleur prix des entreprises qui ne réalisent pas encore de profits, sont bien réels. Ainsi, on ne peut que se réjouir du regain d’intérêt que connaissent depuis peu les SPACs et des évolutions prochaines de la réglementation pour protéger davantage les investisseurs.