Désintégration commerciale
Le Royaume-Uni est un des pays constituant le cœur du Marché unique européen : il y est le plus intégré pour le commerce des services et le second plus intégré pour le commerce des biens, après l’Allemagne. Il a pourtant quitté l’Union européenne, qui est son premier partenaire commercial et qui a conclu de nombreux accords de libre-échange dont le Royaume-Uni va perdre le bénéfice. La période de transition, qui qui doit permettre de conclure un accord sur les relations futures entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne, parviendra à son terme dans 2 mois, à la fin 2020. Aucun accord n’a été conclu et des points de blocages demeurent. Le Brexit est un choix politique, contraire aux intérêts économiques du Royaume-Uni. Ce dernier demeurera un partenaire commercial important de l’Union européenne, mais des pertes économiques sont inévitables.
Le Royaume-Uni est un des pays constituant le cœur du Marché unique européen
Le Royaume-Uni est pleinement intégré dans le Marché unique, où le commerce se déroule sans barrières tarifaires (droits de douane) ou non tarifaires (normes différentes).
Sur les 10 premiers postes d’imports et d’exports de biens britanniques, 7 sont similaires, représentant 60 milliards de livres d’exports et 115 milliards de livres d’imports pour 34% du total des exportations et 43% du total des importations (fig.1 et fig.2).
Le commerce entre le Royaume-Uni et l’UE est de nature multiple : il tient d’une part à des spécialisations différentes pouvant obéir à des facteurs géographiques (importations de fruits et légumes, exportations de pétrole), d’autre part à des échanges intra-filière de biens de variété inégale (commerce d’automobiles, d’équipements industriels et télécoms) ou bien encore à l’extension de chaînes de valeurs à travers le Marché unique (consommations intermédiaires nécessaires comme le métal).
Ces liens économiques subiront l’impact du départ du Royaume-Uni de l’Union européenne.
L’ampleur du choc dépendra de l’accord commercial entre les deux parties, ou de son absence.
Fig. 1, source: HM Revenue and Customs (2020)
Fig. 2, source: HM Revenue and Customs (2020)
Différents types de deal sont envisageables : ils tiennent tant aux négociations UE-UK qu’aux équilibres internes de la politique britannique
À deux mois de la fin de la période de transition qui a suivi le Brexit, les négociations commerciales ne sont pas achevées. Plusieurs scénarios se dessinent : des deals de différentes natures, ou un no deal, qui serait nécessairement suivi d’un accord à moyen terme.
Le gouvernement britannique doit concilier deux injonctions contraires.
- Le level playing field, c’est à dire de règles communes en matière de droits des travailleurs et des consommateurs et d’un régime commun d’encadrement des aides d’État.
- Les quotas de pêche. Le Royaume-Uni a proposé une période d’ajustement suivie de négociations annuelles sur le modèle de celles ayant lieu entre l’UE et la Norvège. Ces dernières ne portent cependant que sur une vingtaine d’espèces de poissons, alors que les discussions UE-UK porteraient sur une centaine d’espèces : l’UE doute de la possibilité d’accords annuels sur tant de quotas par espèce.
La pêche pèse environ 0,5% du PIB britannique. Ce secteur est cependant très organisé et hautement visible dans les médias, il illustre parfaitement le paradoxe d’Olson voulant que des intérêts minoritaires très structurés parviennent à avoir un poids politique disproportionné par rapport à leur importance économique. - Le système de règlement des litiges dans l’application de l’accord futur entre l’UE et le Royaume-Uni. Ce dernier est un pays juridiquement dualiste, c’est à dire que le juge national n’est pas lié par le droit international à moins que celui-ci ait été transcrit par le Parlement en droit national. Ainsi, des actes réglementaires du gouvernement britannique méconnaissant l’accord futur ne pourraient-être assurément annulés par le juge national, comme c’est le cas en France.
L’UE souhaite ainsi qu’un système de règlement des litiges ad-hoc soit introduit dans l’accord commercial, clause par ailleurs de plus en plus courante dans les accords commerciaux internationaux.
Plus le Royaume-Uni consentira à limiter les divergences avec le droit européen dans ces trois matières, plus l’accord commercial qu’il obtiendra sera avantageux. Si cet accord n’apparait cependant pas assez fidèle à l’esprit du Brexit, il ne sera politiquement pas défendable devant le Parlement et les électeurs britanniques. Un éventuel dealserait dont le résultat d’un double équilibre : équilibre de négociation entre le Royaume-Uni et l’UE et équilibre de gouvernement entre rationalité économique et engagements politiques.
En cas de no deal à court terme, le Royaume-Uni demeurera un partenaire commercial majeur de l’UE dans un cadre économiquement sous-optimal
Les trois points de blocage soulignés ci-dessus pourraient bloquer la conclusion d’un accord avant la fin de la période de transition. Les discussions continueraient, mais leur cadre évoluerait : il ne s’agirait plus d’un accord commercial consécutif à la sortie du Royaume-Uni de l’UE mais d’un accord commercial entre l’UE et un pays tiers.
Le Royaume-Uni restera un partenaire économique majeur de l’UE.
L’intensité des relations commerciales est fortement corrélée à la taille des économies considérées et à leur distance, dans le cadre du robuste modèle de gravité(2). On observe cependant que les frontières ont un impact dans le cadre de ce modèle. Cet effet frontière(3) est complexe à quantifier car il nécessite d’élaborer un contrefactuel. Il était estimé dans le Marché unique à 20% entre 1995 et 2006 sur une tendance décroissante(4) et tient autant aux barrières non tarifaires aux échanges qu’aux langues et aux différences culturelles.
En l’absence d’accord de libre-échange, quand bien même le Royaume-Uni ferait le choix de conserver des normes proches des normes européennes, cet effet frontière s’accroîtra. Pour les importateurs et les exportateurs, ils se manifestera par la charge administrative supplémentaire entraînée par le dédouanement, qui engendre un coût parfois nommé « impôt papier ». Les petits exportateurs et importateurs seront désavantagés par rapport à ceux opérant sur des volumes plus importants : cet « impôt papier » est en effet un coût fixe qui rendra les petites transactions inintéressantes. L’accroissement du temps de trajet et des difficultés de transit du fret consisteront, au moins dans un premier temps, une autre matérialisation de l’effet frontière.
La matérialisation de l’effet frontière le rendra enfin visible aux yeux des britanniques, sous la forme de faillites de petites entreprises d’import-export déjà lourdement touchées par la Covid, d’immenses parkings de poids lourds dans le Kent et d’augmentation du prix de certaines denrées. Ces changements seront peut-être à l’origine d’une volonté renouvelée de préserver les liens commerciaux entre le Royaume-Uni et l’UE.
L’enjeu des négociations commerciales ouvertes jusqu’à la fin de l’année est de parvenir à un accord commercial permettant une transition entre l’intégration commerciale très étroite au cœur de l’UE dont jouit le Royaume-Uni et une relation économiquement moins optimale mais décidée par les électeurs britanniques.
(1) House of Commons Library, 2020, Statistics on UK-EU trade, Briefing Paper 7851.
(2)Jan Tinbergen, 1962, An Analysis of World Trade Flows.
(3) John McCallum, 1995, National Borders Matter.
(4) Valeriano Martínez San Román et al., 2012, EU and Trade Integration: Does the Home Bias Puzzle Matter ?