Dette publique et privée : la France n’a pas su profiter du cycle
Chacun le sait, malgré une plateforme présidentielle ambitieuse, le budget français est demeuré très laxiste. Le coût de la réaction aux « gilets jaunes » (13 Mds €) va même nous faire repasser au-delà des 3% de déficit. Ces derniers jours, on tentait de nous rassurer en expliquant le génie des mesures qui, prises dans un grand élan œcuménique, favorisent à la fois l’offre et la demande. Mais tout cela ne vient-il pas sur un terreau déjà très dégradé : celui de l’endettement de la dette des agents privés, entreprises et ménages ? En effet, la croissance de ces dernières années doit beaucoup à la dégradation de leur situation financière. Sur ce thème notre pays est l’exception de la zone euro. Qu’adviendra-t-il de la cigale lorsque la bise viendra ?
Un édito de Antoine-Louis de Ménibus, spécialiste des marchés financiers
Immobilisme budgétaire
Certes l’image globale de la France parait aujourd’hui bien meilleure qu’il y a quelques années. La croissance a retrouvé un niveau plus compatible avec son potentiel de long terme, le déficit des administrations publiques a enfin profité de l’effet reprise tant attendu (F. Hollande s’en dit même l’auteur !). Mais le nouveau locataire de l’Elysée, quoiqu’élu sur la base d’un programme ambitieux, s’est installé dès son élection dans le queuillisme [1] quiétiste de son prédécesseur.
- La réforme de la SNCF est bien la seule qui soit digne de porter ce nom.
- Celle des retraites semble s’éloigner, sous prétexte de complexité, à mesure que le temps passe.
- Dans les faits, la « réduction » de la dépense publique se traduit par une hausse, avec un affichage très prudent des postes supprimés (environ 2 000 en deux ans sur les 120 000 du programme).
- Quant à la retenue à la source, c’est tout sauf une réforme : aucune économie à Bercy et du travail non rémunéré en plus pour les entreprises devenues agents du fisc.
L’endettement privé aussi a boosté la croissance française
La Banque de France, à l’occasion de son évaluation périodique des risques du système bancaire[2], est venue ces jours-ci mettre en lumière la dérive des finances des agents privés, par une intéressante comparaison avec nos grands voisins de la zone Euro. Au cours des dix dernières années, c’est-à-dire depuis la crise financière de 2008, seuls les agents privés français ont accru leurs dettes. De 27 points de PIB, 12 pour les ménages, 15 pour les entreprises.
La zone euro a profité du cycle pour réduire les dettes privées … sauf la France
Les autres grands pays d’Europe occidentale et la zone euro ont connu une baisse comme le montrent les graphiques ci-dessous.
- Le résultat de l’Allemagne vertueuse ne surprend pas (baisse d’une dizaine de points de PIB de l’endettement privé et de plus de 15 point de la dette publique).
- On peut saluer la très belle réussite de l’administration Rajoy : les espagnols ont réduit leurs dettes de près de 60 points de PIB depuis 2012, au « prix » d’une augmentation de la dette publique limitée à 15 points.
- La comparaison avec l’Italie est savoureuse quand on songe aux leçons de bonne gestion qu’administrait notre jeune président avant l’épisode des « gilets jaunes ». Certes, la performance italienne n’est pas fameuse - la réduction atteint juste les 15 points depuis 2012, alors que l’augmentation de la dette publique a été contenue à 8 points – c’est néanmoins une amélioration nette.
- En France, les deux indicateurs vont dans le même sens, celui de la hausse ! 13 points pour la dette privée et 8 pour les administrations sur les six années passées.
La dette globale de la zone euro s’est ainsi réduite … France exceptée
L’Allemagne est plus forte que jamais, car Mme Merkel a mis à profit les réformes de son prédécesseur pour mener une politique d’assainissement quasiment sans précédent. Et, grâce au soutien monétaire sans faille de la BCE sur les taux et le change, le chômage a atteint un niveau historiquement faible tandis que son excédent extérieur représente à lui seul les trois quarts de celui de la zone euro. Avec un endettement total inférieur à 150 points de PIB, en baisse de 23 points depuis 2012), l’Allemagne est prête à affronter la prochaine phase du cycle économique mondial que d’aucuns nous promettent.
L’Espagne, grâce à son gigantesque effort (réduction de 45 points de PIB), et l’Italie (- 23 points, malgré son instabilité politique, sont désormais en meilleure situation -respectivement 225 et 230 points de PIB- que la France dont le stock total de dette atteint 235 points en hausse de 23 points.
La France est seule. Peut-elle encore procrastiner ?
Le pays n’a accompli aucun effort depuis si longtemps. Rattrapé désormais par les autres membres du « Club Med » il est désormais dans la position la plus fragile tant pour le stock de dettes que pour les flux.
Depuis la crise de 2008, la BCE s’est livrée à de grandes transgressions pour permettre l’assainissement. Le referait-elle si le problème se limitait à un seul pays ?
[1] « Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout. » Henri Queuille, président du Conseil (1948-1949).
[2] Evaluation des risques du système financier français – Banque de France – Décembre 2018 - https://publications.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/ers_12_18_book_v5.pdf