Dis Siri, ramène-moi à la maison
L’automobile est un formidable moyen pour voyager, mais dès que vous rentrez, vous arrivez dans des kilomètres interminables de bouchons. Peut-on alors à nouveau retrouver le plaisir de la conduite ? C’est un des défis des voitures autonomes. Tout en vous permettant de vous relaxer au volant, tout en se connectant aux autres voitures, vos voisins et vous-mêmes gagnez du temps et libérez votre stress. Envisage-t-on d’arriver à cette utopie à la fin de notre décennie ?
L‘entreprise Tesla d’Elon Musk a certes beaucoup d’avance sur ses concurrents en matière de voiture autonome, de batterie et de modèle industriel mais il est certain que d’ici quelques années, de nouveaux acteurs émergeront et feront jouer la concurrence. Cette époque sera celle de la fin des diesels, de la perte de vitesse des essences et de la montée des technologies hybride, hydrogène et électrique. Bien que les acteurs historiques changent progressivement leurs gammes, ils doivent prévoir à long terme l’évolution du marché qui est encerclé par de nouvelles réglementations, infrastructures et technologies. Dans cet édito, nous allons nous approprier le sujet des voitures autonomes. Quelles sont les stratégies de Renault par exemple pour rester compétitif et évoluer plus vite que la concurrence ? Le marché de l’autonomie, prédit, va-t-il émerger plus tôt qu’on ne le croit ? Quel rapprochement peut-on faire entre les différentes technologies et quelles sont les entreprises sur lesquelles parier ?
Acteurs et niveaux d’autonomie
On appelle voiture autonome une voiture qui peut rouler toute seule sans l’intervention du conducteur. D’après la norme J3016 de SAE International, cela correspond aux niveaux 3, 4 et 5 de conduite[1]. Dans le monde assez restreint des voitures autonomes, on ne trouve pas beaucoup d’acteurs. Seul Tesla fait pour le moment la course en tête en proposant sur ses voitures de série une autonomie de niveau 3.
Pour expliquer rapidement les niveaux d’autonomie selon cette norme, on admet que plus le niveau est élevé, moins le conducteur a besoin d’être présent lors de la conduite. Le niveau 1 est celui que la plupart d’entre vous connaissent ; le système assiste le conducteur pendant la conduite (ABS par exemple). Le niveau 2 permet à la voiture d’accélérer et de freiner toute seule sur certaines routes mais le conducteur est toujours maitre de la voiture. Dès que l’on franchit le niveau 3, on considère que la voiture est autonome. Le niveau 3 est donné lorsque la voiture gère la vitesse et la direction sauf lorsqu’un problème est détecté auquel cas le conducteur reprend la main. Toutes les Tesla de série proposent cette option. Pour atteindre le niveau d’après, le système doit pouvoir gérer toute la conduite sans aide du conducteur mais est restreint à des conditions et zones bien précises. La startup Navya (Fr) a par exemple mis en place un système de navettes autonomes de niveau 4 qui roulent à 18km/h. Loin d’approcher une conduite autonome sur autoroute, Elon Musk espère cependant arriver à un niveau 5 dans les prochains trimestres. Une version béta de leur logiciel est actuellement déployé chez quelques testeurs.
Pour atteindre alors le Graal, pour passer le niveau 5 qui permettrait au conducteur de dormir, être sur sa tablette, lire ou jouer sans se soucier de l’environnement, il faut que le système soit performant sur toutes les routes, par toutes les conditions météo etc. Là, de nombreux acteurs travaillent de leur côté en testant des véhicules spéciaux venant de modèles de série sur lesquels sont ajoutés de nombreux capteurs. Vous l’aurez compris, plus le niveau est élevé, plus le système voiture doit pouvoir traiter un nombre exponentiel de données en temps réel. La montée en puissance des processeurs permet actuellement d’envisager de tels déploiements tout en restant énergétiquement efficace. Si vous regardez des vidéos tests de ces voitures aux États-Unis, vous verrez que la conduite est parfois approximative, l’angle de virage trop prononcé ; le conducteur doit toujours être attentif.
Actuellement, le DMV (Département des véhicules motorisés de Californie)[4] permet à une soixantaine d’entreprises de faire des tests avec des voitures autonomes mais avec un conducteur présent, et à cinq d’entre elles de faire des tests sans conducteur. En Europe, les réglementations n’ont pas évolué et il est interdit de faire conduire des voitures sans conducteur. Bien que de nombreux accidents, même mortels, ont eu lieu, la technologie avance très vite et la sécurité est souvent le leitmotiv des systèmes conçus à travers le monde. Des études[3][4] sont sorties pour connaitre en 2019 quels systèmes étaient les plus fiables :
On retrouve en compétition les États-Unis et la Chine mais ce sont surtout les grands groupes internationaux (Baidu, Google, Amazon…) qui essayent tous de trouver la solution qui leur permettrait d’arriver sur ce marché. Tous ne fabriqueront pas de voitures mais ils pourront cependant vendre leur technologie ou tout autre brique qui aiderait les constructeurs à avancer. Non présents sur ce graphique, de très nombreuses start-ups partout dans le monde font de grands progrès – Israël par exemple fait encore une fois des prouesses. Je vous invite à vous rendre sur le site The Last Driver License Holder(An)[3] pour suivre cette actualité.
Une corrélation entre différentes technologies qui seront toutes imbriquées
Malgré tout, il vient la question suivante : pourquoi veut-on (les constructeurs veulent-ils) avoir des voitures autonomes ? Y a-t-il un marché pour ce genre d’application ? Changerons-nous de paradigme en passant par exemple actuellement de voitures personnelles, privées, à des réseaux de voitures partagées ?
Si l’on regarde religieusement le nombre de voitures vendues par Tesla depuis son entrée sur le marché, on pourrait croire que le marché est infini et que le nombre de voitures vendues va forcément augmenter exponentiellement. Cependant, n’oublions pas que Tesla est une entreprise jeune et qu’ici, le facteur limitant est la production. On peut alors dire avec certitude que le marché n’a pas encore atteint son essor et que la demande est actuellement beaucoup plus importante que l’offre.
Parallèlement, lorsque vous achetez une Tesla, vous avez le droit à l’autopilote de base mais, en option, vous pouvez rajouter le fameux Graal qui permet – pour le moment – de laisser la voiture conduire à votre place dans certaines situations. Quelle est alors la proportion de personnes qui payent pour cette option ? Ce chiffre n’est pas public mais plusieurs tendances indiquent que 30% d’entre eux seulement passe le pas. (Pour rappel, cette option coute environ 10% du prix de la voiture et permet de donner une autonomie de niveau 3 sur autoroute uniquement, en Europe).
Que peut-on en conclure ? D’un côté, l’offre n’est pas suffisante donc on ne peut pas prévoir la demande. D’un autre, finalement, peu de personnes souhaitent avoir une voiture totalement autonome, soit parce qu’ils n’en ont pas envie, soit par ce qu’ils n’ont pas confiance, ou encore parce que la technologie n’est pas encore tout à fait au point. Ils attendent peut-être les prochaines versions. Que feriez-vous ?
Cela ne suffit pas, prenons notre calculatrice pour envisager un ordre de grandeur de la demande. En 2019, cent millions de voitures se sont vendues dans le monde. Tesla en a livré quatre cent mille soit 0,4% des ventes. Dans le monde, il y a environ vingt millions de millionnaires. On peut supposer alors qu’il y a environ cent millions de personnes qui peuvent acheter une Tesla. Parmi celles-là, environ un tiers souhaite acheter ce genre de voiture soit trente millions. Enfin, un foyer change de voiture tous les dix ans, nous estimons qu’il y a donc une demande detrois millions de voitures autonomes par an.
Avec ces hypothèses rapides, on se rend compte que la demande actuelle n’est pas si élevée que ça : la production doit être multipliée par six. Au vu de la tendance de production de M. Musk, il lui faudra trois ou quatre ans pour y arriver. Mais, entretemps, le marché ne va-t-il pas évoluer encore plus rapidement ?
En effet, et je vous invite à le (re)lire dans les précédents éditos, l’émergence de cette nouvelle mobilité roule de concert avec de nombreuses technologies facilitantes. Pour ne citer qu’elles : la 5G, l’IA, l’hydrogène, les drones, les batteries … Toutes ces technologies vont modifier notre rapport à la nature et en particulier au transport. Une connectivité accrue permettra aux voitures de communiquer avec les smart-cities dont le but sera de désembouteiller les axes routiers, de réduire les pollutions etc ; l’autonomie peut, comme nous l’avons évoqué, faire naitre un système de partage des véhicules au lieu de posséder sa propre voiture ; les drones peuvent renverser le marché automobile en proposant des solutions radicalement opposées au transport routier ; ou encore, les batteries permettront (on l’espère) de franchir des milliers de kilomètres.
Cet enchevêtrement d’acteurs et de vitesses différentes ne permet pas de tracer une route rectiligne. Au contraire, la première technologie qui sera mature devrait remporter l’adhésion des autres. Enfin, à court terme, l’offre de voitures autonomes va augmenter exponentiellement que ce soit par la demande encore élevée ou par le nombre de constructeurs qui y travaillent en ce moment.
Nous croyons fermement, et nous le rappelons encore, qu’une industrie meurt à petit feu si elle n’arrive pas à innover. Innover, ce n’est pas tant réussir que d’avoir une multitude d’idées sur lesquelles on peut bâtir notre futur. Certains le comprennent, d’autres restent sur le banc de touche.
Perte de vitesse ou évolution d’entreprises ?
Que font nos entreprises françaises ? Si l’on écoute toujours outre-Atlantique, une rumeur vient de tomber. Apple va enfin sortir des voitures autonomes. La production estimée est de cent mille véhicules en 2024 en collaboration avec Hyundai pour les moteurs. Finalement, on peut se demander lequel d’Apple ou de Hyundai aura la plus grosse part du gâteau. La réponse est immédiate mais les faits sont là.
En Europe, ce n’est pas pour tout de suite. Verra-t-on émerger une voiture LVMH ? Ne riez pas. Nous avons la tête dans le volant et bien que nous ayons les ressources pour le faire, il semble que les réglementations, la paperasse et le manque d’envie freinent ce futur. Parallèlement, verrait-on Renault ou Peugeot appelés par une GAFA pour assembler des voitures autonomes ? Non plus. Que faire alors ? Comme nous le voyons dans la vidéo de Renault sur la voiture Symbioz[6], nous sommes invités à penser que cette voiture est celle d’un futur lointain. Or c’est hier qu’elle est attendue sur le marché. Bien que nous n’ayons pas les mêmes moyens financiers, nous devons nous concentrer sur les projets les plus importants et ne pas s’éparpiller. Espérons que Renault et Peugeot tiendront leur promesse d’ajouter une conduite autonome de niveau 3 sur des modèles de série dès 2023. Il n’est plus question de racheter des concurrents pour fabriquer des moteurs hybrides, il faut maintenant se concentrer sur les entreprises de demain, là où vit cette innovation.
En combinant la maturation de nombreuses technologies utiles à la conduite autonome et la diminution progressive des coûts d’un marché émergent, il n’est pas impossible que toutes les voitures soient autonomes bien plus tôt qu’on ne le pense. Pour cela, la course est actuellement acharnée à celui ou celle qui trouvera l’algorithme peu consommateur, sûr et fiable. En attendant un relâchement des lois nationales, une adaptation progressive de la société et la fin du développement de technologies clefs comme les batteries, nous avons encore quelques cartes à jouer. D’après le cabinet Morgan Stanley, toutes les voitures seront autonomes d’ici à 2046. Les constructeurs ont donc un quart de siècle pour trouver leur place dans ce marché qui ne voudra plus d’eux. Profitez de ces dernières années pour râler derrière votre volant quand vous serez en plein embouteillage, ce plaisir disparaîtra bientôt.
Bibliographie :
[1] SAE International, Norme J3016, 10 janvier 2021, https://www.sae.org/news/2019/01/sae-updates-j3016-automated-driving-graphic
[2] Statista, Les voitures autonomes, 2018
[3] The Last Driver License Holder, https://thelastdriverlicenseholder.com/
[4] DMV, Department of Motor Vehicules
[5] Multiple, MIT, MIT Advanced Vehicle Technology Study, 14 août 2019
[6] Renault, Présentation du véhicule autonome Symbioz, https://group.renault.com/innovation/vehicule-autonome/