Industrie vidéoludique partie 1 – Un nouveau marché exigeant
L’industrie du jeu vidéo porte un marché récent, qui doit s’adapter constamment à son public international. Elle suit les tendances, subit les crises et se cherche constamment de nouveaux modèles de croissance.
L‘industrie du jeu vidéo (JV) est très appréciée en France et voit son champion national, Ubisoft, prendre des parts de marché en Europe et dans le monde. Cependant, fort d’une croissance chaotique, le marché se développe avec des besoins disparates. La concurrence exacerbée par les autres studios américains et asiatiques oblige notre tissu économique français à travailler l’originalité, l’inventivité et l’innovation. Quel est ce marché et quelles sont ses tendances ? Comment notre industrie se fraye-t-elle un chemin dans ce contexte et comment la crise a-t-elle fait rebondir une croissance un peu essoufflée ?
Des débuts difficiles
Savez-vous d’où provient le mot « geek » ? Un geek est une espèce très particulière du monde de l’informatique. Venant de dialectes allemands du Moyen Âge « geck », ce terme désigne tout d’abord un fou, un extravagant ou encore un monstre. Mais bien loin de ces terminologies, le geek est devenu la représentation de l’évolution massive d’internet depuis ses débuts, avant que le commun des mortels n’y participe vraiment. Aujourd’hui, n’importe quelle personne serait qualifiée de geek si elle s’y connaît mieux en informatique que la moyenne et pourtant, ce monde est immense et nécessite de nombreux nouveaux talents.
Ici, nous ferons alors bien la distinction entre un joueur et un geek car bien que l’amalgame soit souvent fait, l’un peut-être l’autre mais pas toujours. En effet, le terme « joueur » regroupe actuellement toute personne qui passe du temps sur une plateforme virtuelle (console, téléphone, casque, …) pour s’amuser avec du contenu vidéoludique. Ainsi, si vous êtes accro à Candy Crush ou bien à World of Warcraft, vous tomberez dans le même panier.
Sachant que l’accès à des contenus vidéoludiques n’a été possible qu’avec l’apparition du matériel adéquat, un grand temps d’adaptation a été nécessaire pour que soit créé ce monde actuellement formidable. Par ailleurs, les données que nous avons recueillies sont entachées de ce contexte, car, avant 2010, très peu d’enquêtes s’intéressaient à ce nouveau phénomène. Cependant, actuellement, nous pouvons certifier qu’il y a environ deux milliards et demi de joueurs sur Terre, tous âges confondus. C’est plus d’un tiers de la population mondiale. Allons-y, analysons-les[3] :
Ici, nous allons plus particulièrement nous intéresser au cas de la France, pays développé où la demande est importante. En effet, derrière la Chine, les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Corée du Sud, la France arrive en septième position concernant le poids du marché vidéoludique en 2017[1].
- Bien que la part de la population joueuse dans les années 2000 soit très faible (environ 25%), elle a considérablement augmenté pour maintenant se stabiliser vers 50%. En d’autres termes, une personne sur deux en France joue au moins trente minutes à des jeux vidéo par jour. En faisant l’hypothèse qu’une personne s’intéresse à un jeu pendant un mois avant de le laisser sur l’armoire, il faut donc une production continue internationale.
- Parallèlement, l’âge moyen des joueurs a cru tout au long du XXIème siècle pour maintenant se stabiliser aux alentours des 38 ans. Pour rappel, avoir 38 ans aujourd’hui, c’est être né en 1983, et avoir eu 17 ans dans les années 2000, l’époque de l’envolée des premiers jeux vidéo grand public. Cependant, sachant que ce nombre stagne, il vient que chaque année, de nombreux parents continuent à jouer. Concrètement, l’industrie doit donc proposer un contenu varié pour permettre à tous ses joueurs de trouver leur bonheur.
- Enfin, si nous comparons l’état d’utilisation des moyens, on retrouve la féroce bataille du marché entre les consoles, les ordinateurs portables et les téléphones. Hier le consommateur de jeux vidéo préférait les consoles et les ordinateurs qui étaient alors plus puissants. Aujourd’hui, les smartphones permettent de jouer n’importe où et ont développé une approche du jeu au jour le jour, durant les pauses par exemple. Ce phénomène implique forcément un changement radical pour les entreprises qui doivent se réinventer pour ne pas perdre une partie de leurs clients. En d’autres termes, la forte croissance de l’utilisation du téléphone créé de nouvelles opportunités très intéressantes quant à l’instantanéité de la demande et la construction des business-modèles.
Modèles économiques et explosion des ventes
Comment gagner de l’argent grâce à l’industrie du jeu vidéo ? La réponse est aujourd’hui toute simple mais elle ne l’était pas tant au début. Souvent comparés à l’industrie cinématographique, les jeux étaient tout d’abord vendus sous forme physique, à l’unité. Pour une industrie, le rendement dépendait donc du nombre de ventes et donc de la popularité du titre. Tout comme un film se vend et se revend car vous retrouvez d’un épisode à l’autre les mêmes personnages, des sagas de jeux vidéo telles que Pokémon pour ne citer qu’elle, sont devenues le gagne-pain des éditeurs. C’est aujourd’hui le titre le plus rentable de toute l’industrie.
Cependant, dès que l’économie s’est virtualisée, de nouvelles méthodes ont fait leur apparition pour progressivement remplacer le système d’achat à l’unité :
- Certains jeux se sont positionnés assez tôt sur des formules d’abonnements avec l’apparition des jeux en ligne massivement multijoueur (MMO). Le prix permettait à la fois de maintenir les serveurs et d’autre part, de permettre à une communauté d’être entretenue par du contenu toujours régulier. Actuellement, combien êtes-vous à avoir un abonnement téléphonique, Netflix ou autres qui s’est tout simplement effacé dans vos dépenses ?
- Puis, avec l’apparition des contenus ludiques « de pause », c’est-à-dire des jeux auxquels vous jouez épisodiquement dix minutes par ci, dix minutes par là, le concept du freemium s’y est greffé. Le but est de proposer un contenu qui s’apparente à de la gratuité mais qui est truffé de publicités ou de services supplémentaires payants. Typiquement, avoir plus de vies quand on meurt trop souvent et que l’on ne souhaite pas attendre une journée. Parier sur de gros gains virtuels et sur l’impatience du public a permis aux entreprises de générer de gros revenus récurrents pendant un certain temps. Néanmoins, ce schéma est de plus en plus controversé.
- Enfin, et nous en reparlerons plus longuement dans un futur édito avec une définition précise, la blockchain sera très surement un nouvel El Dorado via les NFT (Non Fongible Token).
Aujourd’hui, le marché est disparate au niveau du support vidéoludique mais, pourtant, 60% des dépenses de jeux vidéo sont faites sur téléphone au travers de ce que l’on appelle les « achats in-app », dans l’application. Il est tout à fait notable par ailleurs qu’avec le déploiement mondial des smartphones, ce marché va continuer à grossir. Voici dans le monde, l’évolution des revenus[1] (en bleu), et en vert sa dérivée (croissance) :
D’après ce graphique, nous apercevons deux étapes cruciales dans l’industrie du jeu vidéo :
- Tout d’abord une grande croissance dans les années 2010 qui s’explique en partie par la nouvelle possibilité de jouer sur les téléphones portables et en particulier les smartphones. En 2010, deux cents millions de smartphones sont vendus par mois dans le monde. En parallèle, sur la même période aux États-Unis, près d’un tiers des adolescents utilisent quotidiennement leur téléphone pour jouer[2]. Portés par une demande importante, les grands industriels, Samsung et Apple en tête, produisent des téléphones puissants, avec des écrans et des caméras qui alimentent l’offre.
- Puis, un autre écart a été creusé tout récemment en pleine période de Covid. En effet, le monde étant confiné pendant plusieurs mois, nombreux ont été les foyers qui se sont jetés sur leurs écrans. Pour ne citer que lui, le jeu bac à sable Animal Crossing de Nintendo a explosé les records de vente en s’écoulant en un an et demi à plus de trente millions d’exemplaires, faisant de lui le douzième jeu le plus vendu de l’histoire du jeu vidéo. En moyenne, les dix premiers titres ont eux, mis plus de sept années pour atteindre les mêmes performances.
Un tissu industriel national a fort potentiel
Retournons alors en France et analysons rapidement les entreprises de cette industrie. En fer de lance, on retrouve la société Ubisoft, née en Bretagne en 1986. Cette entreprise a développé entre autres les licences desLapins crétins, ou les Assassin’s Creed. Cotée à Euronext depuis la fin des années 1990, le titre fluctue à la baisse pendant de nombreuses années pour atteindre 4€ en 2012 puis, depuis le covid, il explose à nouveau pour se stabiliser vers 70€. Avec un chiffre d’affaires à 46% Américain et seulement 6% Français, le groupe aura tendance à évoluer à la hausse en parallèle de la « gamification » de la société occidentale. En d’autres termes, la société cherche actuellement à se divertir facilement et avec du contenu qui l’encourage (système de récompenses), qui est impressionnant (explosions, musique, etc.). C’est sur cette vague que l’industrie vidéoludique croit chaque année.
Notre pays est le troisième producteur de jeux vidéo à l’échelle européenne et compte près de six cents studios et douze mille collaborateurs. La possibilité de croissance est certaine. Dans ce contexte, les formations universitaires et scolaires se multiplient pour répondre à ce besoin de croissance, d’innovation et de créativité pour les prochaines décennies.
Néanmoins, derrière Ubisoft, le tissu se ramifie et est composé de centaines de PME beaucoup plus fragiles et volatiles. Avec un marché international, il ne serait toutefois pas surprenant de voir arriver un nouvel acteur fort en France d’ici dix ans. Le marché national gagne en moyenne 10% par an et pour un chiffre d’affaires de cinq milliards d’euros cette année. Par exemple, la société Shadow se spécialise dans le cloud-gaming et veut prendre sa part de marché face à Microsoft (Xbox) ou Sony. Affaire à suivre.
Nous avons donc vu que le marché vidéoludique est de plus en plus mature en proposant à la fois des entreprises innovantes et nouvelles qui suivent les tendances, et un besoin qui se renouvelle régulièrement au niveau international. Le tissu français est porté par un acteur fort qui doit maintenant donner envie à de nouveaux entrepreneurs de continuer sur cette lancée qui aura, pour sûr, un poids économique conséquent dans les prochaines décennies et une diversité d’acteurs et d’utilisations beaucoup plus importante qu’aujourd’hui.
Bibliographie :
[1] Newzoo
[2] Pew Research Center, Teens and mobile phones, 20 avril 2010
[3] Syndicat des Éditeurs de Logiciels de Loisirs, L’essentiel du jeu vidéo, 2013-2021
[4] Ministère de l’économie, des finances et de la relance, Étude sur l’industrie du jeu vidéo en France, mars 2021