Industrie vidéoludique partie 2 – Le smartphone, un El Dorado ?
Après nous être intéressés au monde vidéoludique dans son ensemble, nous nous focalisons dans cet édito sur le téléphone, moyen le plus utilisé pour jouer aux jeux vidéo. Un marché porteur, des révolutions successives et une demande en croissance, qui sont donc les acteurs de ce monde ?
Dans notre précédent épisode, nous avons vu que l’industrie du jeu vidéo était en pleine croissance dans le monde et que, bien que le marché soit restreint en France, nous avions la chance d’avoir une industrie forte et en développement. Néanmoins, nous avions aussi appris qu’au moins une personne sur deux jouait sur mobile en France et que ce chiffre se vérifiait par ailleurs dans le monde avec une forte présence en Chine et aux États-Unis. Aujourd’hui, nous allons plus particulièrement nous concentrer sur cette émergence de la plateforme mobile et de son marché très jeune.
Un marché prometteur : le portable
Comme nous l’avons vu dans le précédent édito, au moins une personne sur deux dans le monde joue aux jeux vidéo sur son portable ce qui représente un marché de plus de cinquante milliards de dollars dans le monde en 2018. En particulier, les achats in-app représentent 40% des recettes d’un jeu vidéo.
Prenons ici l’exemple le plus rentable de l’histoire des jeux mobiles : l’application Clash of Clans. Vous-mêmes ou vos enfants jouez peut-être à cette application développée par le studio finlandais Supercell. Le principe du jeu est simple : gérer un parc de bâtiment et aller combattre ses voisins pour récupérer des ressources. De la même façon, vos voisins peuvent aussi vous attaquer et c’est alors à vous de créer vos défenses. Sans aucune publicité dans l’application, cette dernière rapporte cependant aujourd’hui un million d’euros par jour (dont 30% récupéré par les stores tels que l’Apple Store). Comment expliquer qu’un titre développé par un studio de soixante-dix personnes soit devenu le titre le plus rentable de l’histoire des jeux vidéo mobiles ?
- Son business-modèle se base sur le principe du freemium. C’est-à-dire que vous pouvez jouer gratuitement et accéder à tout le contenu mais cela prendra du temps et vous devez constamment revenir sur votre téléphone pour avancer (au moins trois fois par jour). Seulement, votre cerveau est biaisé et souhaite découvrir le contenu caché, celui que vous n’avez pas encore découvert. Pour ce faire, vous pouvez alors accélérer vos actions grâce à une monnaie virtuelle qui est bien sur payante. Concrètement, sans argent vous devez attendre en tout plus d’un an terrestre pour améliorer au maximum certains bâtiments. Avec des prix attractifs, c’est cette boutique qui rapporte autant à ses développeurs. Dans l’univers vidéoludique, c’est ce que l’on appelle le pay-to-fast, payer pour aller plus vite.
- Attention cependant à certains jeux dont l’écueil a été de mettre en place un système pay-to-win, ou « payer pour gagner » qui est destructeur pour le titre. En effet, les joueurs sont alors beaucoup plus frustrés de voir leurs concurrents réussir mieux et plus vite qu’eux car ils ont payé pour y arriver.
- Alternativement, pour un public rentable sur le long terme, certaines applications proposent des avantages cosmétiques qui permettent de distinguer les plus anciens des nouveaux joueurs.
En dehors des trois stratégies mentionnées ici, il existe d’autres façons de gagner de l’argent, mais il est toutefois notable que les développeurs sont très ingénieux pour en créer de nouvelles.
Une fois le jeu terminé, s’il a beaucoup de succès, il va très vite atteindre le top des ventes. Avec toute une communauté d’influenceurs, les réseaux sociaux et sa facilité d’accès, le titre peut devenir mondialement connu sans l’avoir prévu par ses développeurs. Pour ne citer qu’un exemple, le jeu Among us a été victime de son succès et n’a pourtant pas tenu le coup : son développement ne prévoyait pas que des millions de joueurs se connecteraient et il a alors fallu trouver des moyens de réparer les fuites dans les tuyaux.
Certains studios vont même jusqu’à entrer en bourse après de gros succès comme King Digital Entertainment, le créateur de Candy Crush. Néanmoins, ce n’est pas grâce à une seule vedette qu’une société peut se permettre de croître sur un marché international. Entré en 2014 au prix de $22, l’action chute rapidement bien que l’application soit un succès mondial. En effet, les investisseurs ne sont pas confiants quant au futur de l’entreprise. Après quelques années de difficulté, cette dernière se fera finalement racheter à $18 l’unité en février 2016 par un plus gros prédateur - l’un des studios les plus riches du monde : Blizzard Activision (Américain). Cette entreprise exceptionnelle a une croissance très forte depuis ses débuts et sa côte au Nasdaq a été multipliée par cent en vingt-cinq ans.
Pour en revenir au marché sur smartphone, comme nous pouvons le voir sur ce graphique, ce dernier est le plus important en Chine[1] :
Comment expliquer cela ? Tout d’abord vous retrouvez des leaders très bien implantés comme Tencent, qui offrent à un public de près de deux milliards de consommateurs des services réputés (WeChat par exemple) et des jeux. Pour vous donner une idée, en 2020, Tencent a acquis plus de studios de jeux mobiles (31 pour être précis, dont 23 chinois) que n’importe quelle autre compagnie.
Ensuite, vous êtes face à un développement beaucoup plus rapide de la technologie de communication telle que la 5G dont nous avons parlé ici. Des études de SK Telecom (Sud-Coréen), leader des télécoms en Asie, affirment que les utilisateurs 5G jouent environ 2,5 fois plus que les utilisateurs 4G. Or, nous retrouvons 95% des abonnements 5G en Asie-Pacifique. Statista prévoit que plus d’un milliard d’Asiatiques passeront à la 5G d’ici 2025.
Enfin, cette ouverture à la 5G permet technologiquement d’accéder à du nouveau contenu vidéoludique qui se rapproche des jeux de console grâce au cloud gaming. C’est donc une part de marché non négligeable qui risque d’être mangée aux consoles et PCs. Nous en reparlons prochainement.
Pour résumer, comme nous le comprenons, le marché est polarisé entre l’Asie-Pacifique et les Etats-Unis, avec de très gros acteurs qui se sont développés ces deux dernières décennies. Si vous pensez que le marché vidéoludique est porteur, alors vous avez le choix de parier sur l’un ou l’autre des continents. Néanmoins, ce marché reste en construction (il n’a que 20 ans), il est donc très concurrentiel et de nouveaux acteurs peuvent émerger très rapidement.
Thématiques principales
En moyenne dans le monde, les joueurs utilisent entre deux et cinq jeux par mois sur leur téléphone dans le but principal de se déstresser. Quel est le type de jeu le plus représenté ?
Les résultats ne sont pas étonnants, on retrouve en tête du podium les puzzles et les jeux de casino qui ont l’avantage de se faire rapidement, de proposer des compétitions rapides, des règles simples etc. Puis, on voit apparaitre les jeux multijoueurs où l’on peut facilement trouver de l’amusement avec ses amis ou de parfaits inconnus. Enfin, les jeux solitaires (hors puzzle) sont moins représentés.
Fini les Tetris et les Pong, les jeux actuels doivent donc innover constamment pour donner envie à leurs clients de rester plus longtemps, et surtout de revenir. Pour cela, l’industrie a subi un changement radical :
Il faut maintenant en moyenne 18 semaines pour développer un jeu mobile et entre 40k€ et 70k€ comparés aux dizaines de millions d’euros et plusieurs années de développement pour les plus gros titres sur console de salon ou PC[2]. On peut alors penser qu’il suffit d’avoir une bonne idée pour faire sa place sur le marché mais si vous observez les dernières tendances, le marché est inondé d’ersatz.
Inondé par des centaines de titres, il est alors très difficile pour les grandes entreprises de comprendre d’où proviennent les tendances. Bien que le marché commence tout juste à être mature, l’année 2020 a été très forte en M&A - ce qui est finalement une très bonne porte de sortie pour les petits studios et qui permet de l’autre côté de consolider encore plus les grandes boites. Puis, si l’on passe à l’étape d’après, les investisseurs ont souvent beaucoup de difficultés à comprendre le monde vidéoludique car la valeur créée n’a rien à voir avec les précédentes méthodes de monétisation. En effet, lorsque vous allez au cinéma, vous payez votre place pour voir un film. Si je fais un parallèle avec les jeux vidéo, imaginez maintenant aller au cinéma gratuitement. Si vous souhaitez avoir une meilleure place dans la salle, c’est à ce moment-là que vous payez. Alors bien sûr, 10% des personnes paieront cette somme pour être mieux placées mais la seule valeur créée par ce divertissement ne sera que potentielle et non certaine. Ainsi, il semble que ce marché ne puisse pas totalement cohabiter avec la finance.
Merge and Acquisitions
Terminons ce chapitre en analysant de plus près les acquisitions faites dans le monde du jeu vidéo depuis ses débuts[3] (attention toutefois, les chiffres ci-dessous représentent les acquisitions publiques de plus d’un million de dollars) :
Tout d’abord, jusque dans les années 2010, le marché n’est pas assez mature et les entreprises ne sont pas assez grosses pour mettre en place des offres intéressantes. Puis, dès l’arrivée des nouvelles générations de portables, le marché qui était essentiellement console/PC se diversifie et les entreprises qui font des applications pour smartphones croissent énormément. Enfin, très récemment, le monde du mobile a encore accéléré grâce aux causes que nous avons citées précédemment. Près d’un quart des acquisitions ont été faites ces deux dernières années.
- Sur ce dernier graphique, on valide bien l’affirmation selon laquelle ce sont les grands groupes chinois et américains qui dominent le marché. On peut même faire l’hypothèse que le chiffre chinois est plus important, car on ne connaît pas tous les détails des acquisitions (Tencent a acquis 31 entreprises dont certaines en NDA).
- La France, elle, n’est pas en pole position mais reste tout de même compétitive et aspire à se développer dans les prochaines années via les groupes Infogrames ou Ubisoft par exemple.
- En matière de chiffres, les deux tiers des plus grosses acquisitions du monde du jeu vidéo se sont faites ces deux dernières années. Il est clairement visible que ce marché va continuer à croître. Par ailleurs, il est intéressant de noter qu’un tiers des acquisitions se font à l’intérieur d’un même pays et donc deux tiers des acquisitions sont internationales. Il semble que les talents se trouvent dans tous les pays et que la Chine en particulier rachète de nombreux studios américains et européens.
Le mobile est et sera une mine d’or, car le besoin est monstrueux et ne cesse de se développer. Dans le monde vidéoludique, il y a deux types d’entreprises : celles qui trouvent un nouveau concept et qui en deux ans récoltent des millions d’euros mais qui sont cependant trop peu matures ; et les autres, les principaux acteurs qui sont diversifiés et qui cherchent à racheter les jeunes pousses. Grâce à l’émergence des technologies telles que la 5G, les jeux passe-temps ou de compétition rapide font les podiums des stores. Par conséquent, les petits studios qui ne comprennent pas forcément le monde de la finance se voient rapidement rachetés par des acteurs internationaux avides de nouveaux clients. Il est déjà difficile de trouver une perle rare, il est quasiment impossible d’en trouver deux dans la même huître.
Bibliographie :
[1] GlobalData, Global mobile gaming revenue share by key countries, 2020
[2] Kinvey, How Long Does it Take to Build an iOS or Android App?, 2013
[3]Wikipédia, List of most expensive video game acquisitions, 2021