Industrie vidéoludique partie 3 – Futurs et hybridation
Peut-on jouer de n’importe où, à n’importe quoi et avec n’importe qui ? C’est ce que l’industrie souhaite car c’est son gagne-pain. Au-delà de votre plaisir personnel, ce secteur voit naître des personnes influentes et des concours prestigieux qui attirent les entreprises de tous milieux. Regardons de plus près quels sont les futurs possibles du monde vidéoludique.
Nous avons décortiqué ensemble les bases de l’industrie du jeu vidéo et sa déclinaison mobile qui réalise la plus grande part du chiffre d’affaires. Néanmoins, le secteur subit une évolution forte qui suit, d’une part, le développement des technologies de communication, et, d’autre part, les désirs et les attentes des joueurs. Face à ce constat, l’industrie doit se tourner vers le contenu de demain qui s’avère être ultra concurrentiel entre les grandes entreprises qui, comme nous l’avons vu, veulent toutes exister dans ce monde. Comment peut-on imaginer le joueur de demain et prendre les bonnes décisions ? Quelles sont les technologies qui pourraient influencer plus grandement encore ce secteur ?
Cet édito fait suite aux deux premiers disponibles ici :
Jouer toujours plus simplement – le cloud gaming
Dans le premier épisode, nous avions tracé l’évolution des parts de marché entre les consoles de salon, les PC et les smartphones. Nous avions observé que bien que les PC et les consoles aient eu beaucoup de succès auparavant, les téléphones sont vite devenus numéro un avec l’apparition de l’écran tactile, entre autres choses, à partir de 2010. Ce revirement est le témoin direct d’un besoin qui se simplifie. Plus besoin d’être dans son salon, d’allumer l’écran et d’attendre le chargement de son jeu. Aujourd’hui, vous sortez votre téléphone de votre poche dans le métro. Ces appareils imitent par ailleurs de mieux en mieux les performances que vous retrouveriez chez vous. Dès maintenant, mais surtout demain, tout ce contenu « hautes performances » sera disponible directement en ligne où que vous soyez. C’est que l’on appelle le « cloud gaming » - le jeu dans le nuage.
Pour le coup, vous connaissez déjà le cloud, peut-être stockez-vous vos photos, vos documents ou vos films dans les nuages ? Tout du moins, la technologie vous fait croire que les nuages sont les détenteurs de vos informations mais vous le savez très bien, il n’en est rien. Ces dernières sont en fait stockées physiquement sur un serveur privé, dans une ferme à serveurs, quelque part sur Terre, et ces datacenters sont assez bien perfusées pour que tous les utilisateurs puissent s’y connecter. C’est d’ailleurs à cause de ces centres que les questions de propriété de la donnée ont surgi. Amazon, le leader du cloud avec son service AWS, n’est pas le plus transparent. En France, nous avons un champion qui a rencontré quelques difficultés l’an dernier à cause d’un incendie. C’est OVH.
Bon très bien, nous parlons du cloud, mais à quel niveau ? Eh bien les constructeurs de consoles et les distributeurs de contenu souhaitent vous faire jouer à tous leurs jeux en vous connectant à une machine virtuelle. C’est le cas de Stadia, Xbox Cloud ou encore Shadow. L’avantage ? Vous profitez de la puissance d’un ordinateur de bureau qui coûte plusieurs milliers d’euros avec un abonnement bas coût et une connexion internet assez puissante. Ainsi, vous pouvez jouer sur votre téléphone, tablette, ordinateur bas de gamme ou téléviseur simplement et partout dans le monde.
Si nous traçons rapidement l’évolution de la puissance nécessaire pour faire tourner les meilleurs jeux (en termes de vente) par année, on obtient ces tendances[1] :
Évidemment, ces chiffres sont indexés sur l’évolution du marché et des technologies mais concrètement, tous les meilleurs jeux nécessitent des performances de plus en plus gourmandes :
- Sur le premier graphique, en vert est dessinée la courbe de la RAM max que l’on retrouve sur le marché de l’ordinateur personnel. En bleu, la RAM nécessaire pour faire tourner les jeux les plus vendus. Cette évolution croissante est liée à l’achat dudit matériel qu’il faut alors fréquemment changer et qui coûte de plus en plus cher (16Go de RAM coûtent en moyenne 120€ à changer tous les quatre ans).
- Pareillement, les processeurs sont de plus en plus puissants et les derniers jeux vous demandent cette puissance donc il faut à nouveau mettre à jour son matériel (400€ en moyenne).
- Enfin, les jeux demandent de plus en plus d’espace de stockage (jusqu’à 200Go rien que pour un seul jeu) et vous devez à nouveau sortir la carte bleue (200€).
Si l’on fait les comptes, les jeux les plus vendus obligent les consommateurs à mettre très souvent à jour leur matériel qui coûte très cher. Il est alors évident qu’une personne qui ne souhaite pas suivre cette voie s’intéresse au cloud gaming, pour lequel elle n’a rien à faire car c’est le service qui gère le matériel.
Le cloud gaming existe maintenant depuis quelques années mais en est encore à ses débuts. Certes cela paraît être un excellent moyen de payer moins cher et profiter n’importe où de ses jeux mais le modèle se cherche encore : peut-on jouer à des grands jeux sur un petit écran ? Le temps de rafraîchissement de l’écran dépend beaucoup de sa connexion internet. Les modèles d’abonnement sont-ils au bon prix ?
Faisons le tour des acteurs :
- Google lance Stadia en 2019 et a maintenant tout juste un million de téléchargements dans le monde, ce qui est très faible comparé au lancement des consoles de salon.
- Microsoft lance le Xbox Cloud Gaming en 2020 qui est l’offre cloud reliée à son Xbox Game Pass (la bibliothèque de jeux en ligne) qui, quant à lui, a plus de dix-huit millions d’utilisateurs actifs.
- D’autres acteurs tels que Nvidia, Start (Tencent - Chine), Shadow etc sont soit en cours de développement, soit encore en bêta, mais nous n’avons pas plus de chiffres.
Quel est le bilan ? Plutôt mitigé : en effet, l’approbation du public n’est pas phénoménale et si nous revenons sur les parts de marché, les joueurs de console et PC ne sont pas forcément intéressés par cette dématérialisation. C’est donc vers un public jeune que se tournent ces offres. De plus, les joueurs sur smartphones ne sont pas forcément les personnes qui souhaiteraient s’engager sur de gros jeux d’éditeurs connus. Le marché n’a donc pas l’air plus prometteur de ce côté. En conclusion, beaucoup sont prêts à jouer plus simplement, mais pas à tout prix. Par ailleurs, ce n’est pas non plus dans l’intérêt de Microsoft (Xbox) et de Sony (PS5) de perdre des parts de marché en proposant une virtualisation de leurs consoles.
Les compétitions sportives
Maintenant que nous avons exploré le possible devenir du jeu, regardons concrètement un nouvel aspect dont nous n’avons pas encore parlé : les compétitions e-sportives (à prononcer « i-sportives »). En effet, toute communauté se retrouve pour se défier : les compétitions de Formule1, par exemple, rassemblent à la fois des écuries de renom, des pilotes hors pair, des millions de spectateurs et, ainsi, des sponsors et beaucoup d’argent. Comme nous le répétons, le marché est récent. Néanmoins, l’argent gagné lors des compétitions dépasse maintenant largement des événements tels que l’US open (Golf), le Super Bowl etc. Les compétitions d’eSport ont un cash-flow qui progresse de 30% par an. L’eSport cherche à se battre avec le sport, et nous allons mettre en évidence tous les parallèles[2].
Entre 2010 et 2019, le Cash Price a augmenté de 30% par an pour atteindre des sommets : plus de deux cent cinquante millions de dollars dans le monde. Depuis des années, des équipes se forment à la manière des écuries pour arriver aux compétitions avec des sponsors, des talents et la volonté de remporter la coupe ; en parallèle, on voit de plus en plus de joueurs professionnels et de compétitions dans le monde, en particulier aux États-Unis, en Europe et en Asie. Enfin, pour finir avec les spectateurs, ils sont maintenant des millions à suivre ces événements chez eux ou bien dans des stades aménagés pour l’occasion. C’est une nouvelle économie à la fois pour les bannières publicitaires et les sponsors. Twitch, la plateforme de streaming prend la plus grande part de marché, mais de nouvelles entreprises se positionnent. Il n’est plus rare maintenant d’avoir des groupes tels que Coca-Cola, Red-bull, Honda, sponsoriser des événements, des équipes ou même des joueurs. Pour eux, le but est de se donner une image plus jeune de leur entreprise et de recruter les talents de demain, qu’ils pourront trouver sur ce marché.
Comme on pouvait s’y attendre, la crise du Covid a mis un coup de frein aux événements et bien que virtualisés, ces derniers n’ont pas pu continuer sur leur pente de records. Avec la réouverture progressive d’ici quelques mois, nous atteindrons très certainement les mêmes sommets.
Déploiement de la cryptomonnaie : les NFT
Nous avons déjà un petit peu parlé des cryptomonnaies et nous allons nous intéresser ici à une partie de leur potentiel : les NFT ou Non Fongible Token, les Token non fongibles.
Tout d’abord qu’est-ce qu’un token ? Cet anglicisme couramment utilisé représente un actif numérique. Il peut être créé par n’importe quel internaute et suit des règles de transmission. Par exemple, un bitcoin est un token qui s’échange sur des marchés virtuels et qui est lui-même divisible en un million de fois. Vous pouvez donc détenir un millionième de bitcoin.
Ensuite, que veut dire le terme fongible ? Selon le Larousse, une chose est fongible si elle se consomme ou peut être remplacée par une autre chose de même nature. Ainsi, une pièce de monnaie est fongible car vous ne pouvez pas la distinguer d’une autre pièce et les deux se remplacent. Inversement, une œuvre d’art est non fongible car elle n'appartient qu’à une seule personne et, mises à part ses reproductions, elle est unique et non remplaçable. Le bitcoin, en tant que monnaie, est fongible et bien que l’on puisse la tracer, un bitcoin pourra toujours être échangé contre un autre bitcoin car les deux représentent la même valeur. Se basant sur ce principe, certaines crypto-monnaies sont non fongibles : les NFT.
Pourquoi alors créer des cryptomonnaies non fongibles ? Tout d’abord, cela permet de singulariser un actif. Ainsi, vous pouvez représenter une valeur comme unique et non échangeable. Par exemple, c’est le cas de l’art. Comme nous l’avons dit, un tableau est unique et ne s’échange pas. Un token peut donc représenter un tableau dans le monde virtuel et appartenir à une seule personne. La particularité de la blockchain ? Cette possession ne peut pas être altérée, car le suivi du possesseur est garanti par la technologie décentralisée. Ainsi, si vous possédez la Joconde virtuellement, vous êtes son seul détenteur et personne ne peut vous la voler.
- Un premier intérêt peut venir de la destructibilité des œuvres réelles. En effet, si une œuvre brule dans un accident ou se fait voler, elle est perdue à jamais. Sur internet, tant qu’internet existe, l’œuvre existe.
- Un deuxième intérêt est de pouvoir détenir un bien à plusieurs. Il existe en effet des token divisibles et d’autres non. Vous pourriez alors détenir un millionième de la Joconde et le revendre sur un marché. La maison de vente Christie’s a par exemple mis aux enchères cette année pour la première fois une œuvre complètement virtuelle pour un montant de soixante-dix millions d’euros : « Everydays : the First 5 000 Days » de l’artiste Beeple (Michael Joseph Winkelmann né au Wisconsin).
Mais revenons au monde du jeu vidéo, comment cette technologie peut-elle s’y appliquer ? Nous avons vu que l’eSport par exemple grossit autant en termes de joueurs que des spectateurs. Ainsi, de nombreuses vedettes telles que Ninja – l’un des joueurs les mieux payés des tournois - font leur apparition. Notez entre temps que les tournois évoluent autour d’une vingtaine de jeux, soit autant de vedettes, de profils et d’équipes. Avec des NFT, il est possible de virtualiser et de particulariser un actif comme un tweet par exemple. Si nous faisons la même chose avec des actifs dans les jeux vidéo, nous ouvrons la voie à un nouveau marché. Concrètement, Ninja pourrait vendre l’arme avec laquelle il est devenu champion du monde tout comme Zidane a vendu son maillot après 1998. Cette arme, virtuelle, dans le jeu Fortnite, pourrait alors s’échanger contre monnaie d’un joueur à un autre et grâce à la blockchain, l’arme serait spécialement identifiée sans pouvoir se tromper sur sa provenance.
Un monde nouveau s’ouvre. Aujourd’hui, vous pouvez dès à présent acheter des biens locatifs sous la forme de cryptomonnaies et percevoir vos loyers sous cette forme. Le jeu vidéo est plus avancé que les autres industries par nature et sera le précurseur de cette digitalisation massive de la finance qui ne fait que grandir. Les NFT accumulent aujourd’hui plus d’un milliard de dollars de transaction[3].
Conclusion
Pour conclure, nous avons fait dans cette série d’éditos un bon tour du marché vidéoludique. Premièrement avec un aperçu du marché, puis en nous focalisant sur leur moyen principal : les téléphones, et, enfin en regardant l’impact de ce nouveau marché et ses liens avec la société. Les prochaines années seront riches en rebondissements dans ce monde où tout bouge très vite et nous regarderons dans un prochain édito plus longuement ce que sont les cryptomonnaies et comment les comprendre. Dans le monde du jeu vidéo, retenez que les acteurs américains, européens et asiatiques ont de nombreux défis à relever face à une demande hétéroclite. Même si le plus important, finalement, ce n’est pas de rester devant son écran toute la journée !
Bibliographie :
[1] Wikipédia, Liste des jeux vidéo les plus vendus, 2021
[2] ESport Earnings, Overall e-sport stats, 2021
[3] NonFungible, Market Overview, 2021