La cigale et la fourmi
La Chine ne cache plus son ambition, si bien que, dernièrement, une série de contrats de dettes sont sortis au grand jour sous une explosion de crainte. Des pays ne pouvant plus payer leurs dettes sont contraints de concéder leur infrastructure ou leur territoire. La Chine place ses avants postes hors de ses frontières. Entre diversifications de ses alliés, volonté de puissance et réflexion sur les besoins de sa société, ce grand pays a beaucoup de travail.
Depuis les années 2000 et la montée en puissance de la Chine, l’empire du milieu joue ses cartes sans montrer son jeu. Avec une puissance économique sans précédent qui est entretenue par le gouvernement central, le pays n’hésite plus à investir à l’étranger où il est parfois perçu comme un sauveur, et parfois comme un conquérant. En particulier, plus de deux mille contrats de dette ont été émis envers vingt-quatre pays pour un montant total estimé à près de quarante milliards de dollars[1]. Ce mois-ci, le Monténégro vient de tirer la sonnette d’alarme assurant qu’il ne pourrait pas rembourser ne serait-ce que son premier paiement. Quels sont les pays touchés par cette nouvelle stratégie chinoise ? Quel est le but de la Chine qu’elle ne nie plus et quelles peuvent être les conséquences désastreuses pour les états ? Entre bluffs, carré d’as et long terme, démêlons le projet du dragon rouge.
La trame secrète
Après une année agitée socialement et économiquement, certaines conclusions peuvent être écrites et il est clair que certains secteurs, voire certains pays s’en sont mieux sortis économiquement que d’autres. La Chine, avec la population la plus grande du monde, a par exemple réussi à reprendre un cap de croissance. Avec des objectifs très ambitieux, elle souhaite à la fois prendre place en haut de tous les podiums internationaux, sécuriser sa masse salariale et envisager sereinement son avenir. Ici, nous allons plus précisément nous restreindre à cette dernière partie de tous les défis.
Politiquement, le parti communiste veut évidemment rester en place grâce à une stratégie de contrôle de la population. Géopolitiquement, les ambitions de conquête de la mer de Chine, les tensions à ses bordures et les échauffourées avec les autres grandes puissances laissent présager un conflit imminent de plus grande ampleur. Socialement, la Chine connaît actuellement un exode rural important présageant un changement de besoin de la population et une demande croissante en bien de nécessité et en produits de luxe. Économiquement, la Chine est au coude à coude pour devenir la première puissance du monde. Enfin, financièrement, le pays investit dans de nombreuses nouvelles technologies pour se préparer à son futur. Cependant, comme tout pays, elle investit de plus en plus à l’étranger pour diversifier ses marchés là où ses concurrents n’ont soit pas envie d’aller, soit sont plus faibles.
En particulier, tous les pays en voie de développement sont devenus des nouveaux terrains d’entente, de difficulté et de conquête. Chaque jour, de nouveaux exemples de ports devenus sous le contrôle de la puissance orientale éclatent dans les journaux. Soumis à des contrats particulièrement secrets, cumulés avec une force ouvrière importée, regardons sur une carte les premières victimes de cette percée.
Au fil des années, la Chine n’a plus caché sa volonté d’expansion : la route de la soie. En tant qu’européens, nous connaissons bien ce système de comptoirs qui nous a permis au XIXème siècle d’être la première puissance économique du monde. C’est alors dans ce même esprit que la Chine avance. Ici, nous regardons uniquement l’aspect maritime de cette route commerciale et il est intéressant de voir que le nombre de ports ayant des comptoirs chinois est en constante augmentation. Dans certains cas, la Chine via des entreprises publiques, gagne des concessions de port. Dans d’autres cas, la Chine propose de reconstruire entièrement le port. Néanmoins, certains pays n’arrivent jamais à rembourser leur dette ce qui les oblige à s’arranger en donnant le total contrôle du port pendant un certain nombre d’années. C’est le cas du port de Hambantota par exemple.
Au-delà de ces renseignements que l’on peut trouver assez facilement dans les médias, la Chine propose de nombreux prêts dans tous les domaines : les transports, l’énergie, les communications, l’eau et autres. Pour le moment rien d’anormal pour un pays qui souhaite se développer à l’international. Pourtant, si vous cherchez des traces de ces contrats, vous aurez beaucoup de mal à les trouver et c’est sur ce point que les difficultés commencent. Après avoir épluché des centaines de contrats, les dernières analyses[1] démontrent que des clauses qui n’ont normalement pas leur place dans ce type de contrats, ont été écrites pour engager d’avantages les débiteurs à rembourser leur emprunt :
- Le débiteur n’a pas le droit de divulguer les clauses du contrat sauf s’il y est contraint par la loi.
- Le débiteur doit immédiatement rembourser le créditeur dans le cas d’un changement majeur de loi ou de politique.
Ainsi, la Chine avance dans ces différents pays en se protégeant à la fois des autres puissances et de la population locale qui pourrait se retourner contre elle. Grâce à un grand nombre de sociétés publiques, l’Afrique est un des continents les plus touchés par l’investissement chinois. Plus de dix mille entreprises d’État sont arrivées sur le sol africain.
Un jeu au tour par tour
Nous avons vu que la Chine avait signé de nombreux contrats avec des pays du monde entier, mais regardons maintenant l’impact de ces investissements sur l’économie des pays.
Sur cette carte, je vous ai représenté plusieurs phénomènes :
- Les pays non grisés sont tous les pays avec lesquels la Chine a signé des contrats de dette. Plus ils sont colorés, plus cette dette représente un pourcentage important de leur PIB.
- Les zones vertes sont des zones d’influence que nous analyserons après.
- Les flèches vertes représentent les deux principaux axes de développement des routes de la soie.
- Enfin, j’ai fait un zoom sur le continent africain en expliquant en bleu quels avaient été les investissements vers l’Afrique en milliards de dollars en 2015[2] et leur provenance.
Maintenant, analysons de plus près les différents flux.
On remarque très rapidement que la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique alors que les puissances européennes l’étaient restés dans les dernières décennies. C’est en effet cet appel d’air qu’ont laissé les anciens colonisateurs qui a permis aux finances chinoises de s’engouffrer.
Puis, attardons-nous sur la liste des pays non grisés. Comme vous pouvez le voir, la dette chinoise représente dans le pire des cas 25% du PIB du pays. Rappelons aussi que l’ensemble de la dette publique mondiale représente en moyenne 15% du PIB mondial. Néanmoins, la plupart des pays diluent cette dette d’un créancier à un autre. Pourtant, sur cette mappemonde, certains pays ont comme principal créancier la Chine. Vous connaissez alors bien la suite des événements. Sachant que le pays ne peut pas rembourser ses dettes, la Chine prend plus de place dans le pays. Le Monténégro pourrait par exemple devoir conclure un accord de concession d’une partie de ses terres au dragon rouge. D’après nos calculs, un tiers des débiteurs pourrait arriver à ces obligations.
Continuons sur la même lancée. Les pays pour lesquels l’investissement est très élevé ont plusieurs points en commun :
- Soit, ils appartiennent aux zones de passage de la route de la soie.
- Soit, ils sont producteurs d’hydrocarbures et de minerais précieux.
Il est alors très clair que la Chine souhaite s’emparer progressivement de ses gisements tout en les améliorants pour devenir un partenaire commercial de monopole. C’est le cas pour le Cameroun, le Congo, le Sierra Leone (pays le plus pauvre du monde), ou encore l’Équateur.
De plus, comme nous l’apprécions sur la carte, un bon nombre de pays ont contracté une dette très faible. On peut alors se demander pourquoi la Chine tient tant à financer des grands projets dans ces zones du monde ? Si l’on fait le même jeu des ressemblances que trouve-t-on ? Voici les pays concernés : le Botswana, la République Démocratique du Congo, le Malawi, l’Ouganda, les Philippines, l’Argentine, le Costa Rica, le Honduras, l’Uruguay et le Venezuela. Vous avez trouvé ? Attendez, nous allons remettre les choses en perspective.
Mettons le cap sur la demande agricole de la Chine dans les prochaines années. Comme nous l’avons dit plus haut, la population chinoise est la plus importante du monde et la demande en céréale et en viande s’accroît d’année en année. Le pays importe actuellement pour 41 milliards d’euros de biens agricoles par an (ce qui est son premier déficit monétaire). Elle doit en effet nourrir 18% de la population mondiale avec 8,5% de la terre arable et des ressources en eau limitées[2]. Maintenant, si nous revenons aux pays cités précédemment et aux zones en vert sur la carte, vous trouvez de très nombreux pays agricoles qui exportent leur nourriture. La Chine s’approche alors lentement d’eux pour ne pas leur faire peur mais a pourtant de très nombreuses ambitions à long terme.
Enfin, vous pouvez apercevoir sur la carte une dernière information avec des étoiles comme légende. Vanuatu, Cap-Vert et Antigua-et-Barbuda sont trois archipels convoités par la Chine. Avec une emprise économique, ces îles permettraient à l’actuelle troisième puissance militaire d’en faire des avant-postes stratégiques pour ses ambitions futures.
Quelles sont les prochaines étapes ?
La Chine joue sur plusieurs fronts qu’elle doit maitriser de concert. Sous une pression locale et internationale constante, elle avance ses pions avec une force de persuasion importante. Qui lui reste-t-elle alors à accomplir ?
La route de la soie est un programme ambitieux dont le but principal est bien sûr économique. Pour le moment, une grande partie des marchandises exportées traverse le monde par paquebots. Demain, la route et le rail permettront au réseau d’être plus efficace et résilient. Par ailleurs, la Chine veut aussi profiter de ces routes pour étendre son influence politique au travers de pays qui ont été laissé derrière depuis des décennies par les autres grandes puissances.
Si l’on regarde les anciennes puissances occidentales, chacune possède plus d’une dizaine de bases militaires hors de son territoire. La Chine souhaite par exemple faire de même et Djibouti en tant que première base confirme à la fois cette volonté de sortie de leur territoire et de protection de leurs voies commerciales. Mais à la différence des temps passés où l’Occident utilisait son avancée militaire et scientifique pour prendre des bases, la Chine elle travaille peu à peu derrière le rideau pour persuader ses nouveaux amis à la préférer.
Pourtant, on peut se demander si ce projet à long terme sera si intéressant pour cette puissance ? En effet, avec un accroissement progressif de sa classe moyenne, la demande interne grossit plus vite que la demande externe.
Suivant ce graphique[4,5,6,7], j’ai voulu comparer deux phénomènes sur deux territoires : tout d’abord, la part de la classe moyenne dans la population, c’est-à-dire la part du nombre d’habitants qui vont consommer régulièrement des produits de premières nécessités et par moments, des extras. D’autre part, je souhaite corréler cette première donnée avec le salaire moyen et donc le pouvoir d’achat moyen des ménages.
Avant d’en faire une analyse, sachez que la définition « classe moyenne » n’est pas figée. Il est alors difficile de trouver une bonne donnée car chacun y va de sa propre définition. Il faut donc prendre avec précaution les données que je présente ici, nous admettrons que les conclusions seront plus intéressantes vis-à-vis de l’évolution des tendances que de leur valeur ponctuelle.
Pour bien comprendre ce que veulent dire ces valeurs, n’oublions pas que la société actuelle n’a rien à voir avec celle d’il y a un siècle en France ; la répartition des richesses et des métiers permet toutefois de considérer une classe moyenne émergente. On remarque cependant qu’en France, au terme de plusieurs décennies, cette proportion de la population a beaucoup évolué pour atteindre un palier qui ne va certainement plus bouger. En parallèle, le salaire moyen (indexé sur l’euro de 2014) a lui aussi évolué dans le même sens pour atteindre une valeur constante et donc un pouvoir d’achat à peu près constant (sans l’inflation).
Cette tendance était assez prévisible et nous pensons que c’est exactement ce même mécanisme (sous couvert de tensions sociales internes) qui va se mettre en place en Chine. Partie de plus loin, la société chinoise profite actuellement d’une évolution conséquente de sa classe moyenne corrélée par un exode rural important : ils étaient 20% en 1980, ils seront près de 60% dans les prochaines années.
Comme on peut par ailleurs le voir sur le graphique, un fossé sépare le salaire moyen des habitants à la campagne et en ville. De plus, le salaire en ville n’a toujours pas atteint un seuil et risque de croitre intensément au moins pendant les deux prochaines décennies. Ainsi, la consommation interne du pays va exploser tout d’abord en matières premières et ensuite en produit manufacturés.
Voilà pourquoi la route de la soie et les investissements actuels du gouvernement souhaitent certes permettre une exportation conséquente pour devenir la première puissance commerciale du monde, mais aussi faire revenir les trains et les bateaux des différents pays, remplis de denrées qu’une population de plus en plus instruite demande.
La Chine, foyer de population de la Terre, puissance économique, militaire et politique, est un système très complexe à analyser. Cependant, le gouvernement laisse de nombreux indices que des travaux conséquents ont permis de mettre à la lumière du jour. Son désir de commerce ne s’arrête pas là : investir lui permet à la fois de contrôler son expansion, de se faire des obligés, et de préparer des amitiés pour ses prochains défis. La perte de vitesse des autres puissances a laissé un appel d’air que l’empire du milieu embrasse pleinement sans toutefois avoir peur des rixes qu’elle met en place. Ses voisins s’allient pour créer une enceinte de protection de leur territoire et de leur marché ; l’Occident hausse doucement la voix pour dénoncer des agissements non légaux ; mais qui pourra/voudra arrêter ce dragon ? Le gouvernement arrivera-t-il à maintenir un contrôle total sur sa population où va-t-elle demander plus qu’il ne peut donner ?
– Vous chantiez ? j’en suis fort aise.
Eh bien! dansez maintenant.Jean de la Fontaine
Bibliographie :
[1] A. GELPERN, S. HORN, S. MORRIS, B. PARKS, C. TREBESCH, How China Lends, mars 2021
[2] Ministère de l’Agriculture et de l’alimentation, Chine : contexte agricole et relations internationales, 31 octobre 2019
[3] McKinsey&Company, The closest look yet at Chinese economic engagement in Africa, 28 juin 2017
[4] Knoema, Chine - Population urbaine, avril 2021
[5] McKinsey Global Institute, From 'made in China' to 'sold in China': The rise of the Chinese urban consumer, 1er novembre 2006
[6] CREDOC, Les classes moyennes en Europe, décembre 2011
[7] B. GARBINTI, J. GOUPILLE-LEBRET, T. PIKETTY, Accounting for wealth inequality dynamics: Methods, estimates and simulations for France (1800-2014), 2016