La guerre en réalité augmentée
La réalité augmentée a de plus en plus d’applications. Entre SF et gadget, de nombreuses entreprises high-tech parient sur l’utilisation massive de cet outil dans la vie de tous les jours, chez soi ou au travail. Entre effet de mode et best-seller, quelle est la place de la réalité augmentée aujourd’hui ?
L‘armée américaine vient de signer un important contrat avec Microsoft pour équiper ses boys de la vision augmentée. Appliquer des technologies « à la mode » dans le domaine géopolitique, c’est contraindre le reste du monde à faire de même et c’est influencer les conflits de demain. Bien que la course à l’armement ait toujours été un modèle théorique sans failles pour expliquer le comportement humain, nous pouvons nous poser la question de l’influence de ce contrat juteux dans les prochains conflits et donc, sur l’économie globale. L’armée américaine s’apprête-t-elle à faire un pas dans le vide ? Quelles peuvent être les implications liées à l’utilisation excessive des techniques dans le domaine géopolitique ?
De quoi parle-t-on ?
La réalité augmentée (RA), ce n’est pas nouveau. Créée sans en avoir le nom dans les années 70, c’est au début des années 90 que la technologie se précise. Elle se positionne entre le monde réel, celui de nos sens, et le monde virtuel, celui de l’artificiel. Dans ses premières années, la technologie permettait de faire apparaitre un objet via un code-barres qui à la fois contenait l’information à afficher et la position où la faire apparaitre. Aujourd’hui, la technologie est beaucoup plus ambitieuse et se présente non plus comme une attraction mais comme une aide à la décision.
Avant d’aller plus loin, faisons la distinction entre la réalité virtuelle (VR) et la réalité augmentée (AR). Dans le cas de la VR, vos sens -et en particulier la vue- sont immergés dans un espace virtuel au travers d’un écran. C’est ce que proposent plusieurs constructeurs comme Oculus (Facebook) via des casques grand public. Dans le cas de l’AR, le virtuel est greffé sur le réel : au travers d’un équipement optique, une image est ajoutée par-dessus la réalité. C’est le cas dans certaines voitures avec un affichage tête haute par exemple. Cependant, le but n’est pas du tout le même.
À quoi sert l’AR ? Entre 2012 et 2014, Google lance les google glass : des lunettes qui possèdent des micros, des haut-parleurs, un appareil photo, une batterie et une connectique WIFI et Bluetooth. Cependant, à cause d’un manque certain d’applications, la firme finit par suspendre leur programme de développement. Pourtant sorties de leur laboratoire d’innovation rapide, le Google X Lab, ces lunettes ont tout pour plaire. Intégrées à votre vue, des informations telles que des tutoriels, des constantes vitales, de la navigation, sont projetées sur les verres.
Dans le monde des entreprises, on voit apparaitre ce type de technologie dans les usines et en particulier pour les ouvriers. Les lunettes leur permettent de voir en surbrillance les gestes à faire, les données importantes à vérifier etc ce qui réduit drastiquement le nombre d’erreurs. Pour une industrie automobile, l’avantage est faible mais pour une industrie aérospatiale ou nucléaire où les temps de construction sont beaucoup plus longs entre deux objets, où chaque erreur oblige à recommencer une bonne partie de la production et où les formations sont moins souvent pratiquées, l’avantage est énorme. En médecine par ailleurs, il est beaucoup plus simple pour un chirurgien de lire le pouls de son patient directement dans son champ de vision quand il est en plein cœur de l’opération. Les exemples sont multiples actuellement mais manquaient il y a quelques années à cause de leur faible maturité.
Ainsi, Microsoft vient tout juste de signer un important contrat de vingt-deux milliards de dollars sur dix ans avec l’armée américaine pour mettre en place à la fois l’architecture, le module et la formation des équipes de terrain. Comme le rappelle par ailleurs Guillaume Rouvier dans les live, il ne vaut mieux pas regarder le bas du podium. L’armée n’est pas intéressée par les startups mais souhaite acquérir rapidement des technologies prêtes à l’emploi. Microsoft était donc un des meilleurs avec Amazon. Au total, plus de cent mille casques alliant capteurs, batteries et processeurs serviront aux batailles de demain. Avec un budget de sept cents milliards de dollars par an, Washington fournit donc un nouvel outil marginal à ses troupes. Soit dit en passant, les Américains parient donc sur le fait que les troupes humaines resteront des pions importants dans les théâtres de conflits futurs, ce qui n’est pas la pensée de tous les pays.
Bien que les géants du digital arrivent peu à peu sur le marché, en attendant des applications industrielles à grande échelle, les startups ont cependant pris de l’avance en matière de débouchés et de contrats. Au total, près de trois mille startups travaillant sur le sujet de l’AR sont référencées dans le monde dont cent quatre-vingts ayant déjà levés plus d’un million d’euros[1]. Voici d’ici moins de dix ans les différents secteurs qui auront une ou plusieurs applications de l’AR[2] :
La croisade de l’hyperconnectivité
Comme nous en parlions dans un précédent édito sur le SCAF et la 5G, se connecter, recevoir l’information rapidement est un enjeu de souveraineté. Aux États-Unis comme en Europe et finalement chez toutes les puissances mondiales, travailler sur la guerre de demain c’est forcément prendre le chemin du soldat connecté. En France, le projet Centurion est la base de cette refonte du soldat. Dans ce contrat avec Microsoft, les États-Unis projettent de créer un soldat augmenté, un soldat qui n’aura peut-être bientôt plus besoin de réfléchir. En effet, si toutes les informations dont il a besoin sont affichées correctement avec un gros marqueur rouge là où il doit tirer, le soldat deviendra un outil système. Cette dystopie est par ailleurs bien retranscrite dans la science-fiction. Je vous conseille l’épisode Black Mirror : Men Against Fire si le sujet vous intéresse. Ces questionnements du soldat augmenté peuvent par ailleurs être alimentés par une réflexion éthique et internationale pour mettre en place des régulations et des interdits.
Regardons rapidement quels sont les projets des autres puissances mondiales :
- En Russie, un des projets phares est le développement d’une armure de 4ème génération appelée « Sotnik » et permettant à la fois d’arrêter de nombreux calibres et de bloquer les détections infrarouges tout en étant moins lourde.
- En Chine, le gouvernement souhaite créer des soldats augmentés non pas grâce à des changements externes de l’équipement mais en modifiant leurs gènes. Cette grande puissance qui s’améliore dans la génétique depuis des décennies propose de partir sur un terrain à l’opposé de ses concurrents.
- En Inde, il n’y a pour le moment pas de projet pour l’avenir de leurs forces mais il est très probable qu’ils suivent ou s’allient aux projets américains leur permettant de renforcer les équipements de leurs soldats.
- Dans plusieurs pays, d’autres technologies avancent de concert comme les exosquelettes, les laboratoires d’analyses rapides portatifs, etc.
Comme nous l’avons vu dans la fin de la première partie, le secteur militaire ne va finalement pas représenter une demande suffisante pour que la technologie progresse. En parallèle, et ceci est vrai pour cette technologie mais aussi pour les autres, une startup aura toujours beaucoup de mal à trouver son équilibre financier si son Business Plan se concentre sur le secteur militaire. Il lui faudra forcément d’autres secteurs pour rester en vie.
En France, environ soixante startups travaillent pour améliorer l’expérience et l’intérêt de l’AR. Parmi celles-ci, juste une a franchi le cap du million d’euros levé pour le moment. Si l’on creuse un peu plus loin, on se rend compte que le secteur principal visé est le secteur des jeux vidéo. Un prochain édito traitera de ce sujet mais pour ne dire que quelques mots, les revenus associés à ce marché ont explosé depuis dix ans. Ubisoft, un géant français de ce domaine, a par exemple vu son cours décuplé depuis dix ans.
Le marché, par ailleurs, grossit conséquemment : aux États-Unis, en 2016, une personne sur dix utilisait la réalité augmentée. En 2020, ce chiffre a doublé représentant un marché de près de soixante-dix mille utilisateurs. Enfin, pour ce qui est de la recherche, le nombre de brevets est en constante augmentation et voici sa répartition géographique pour le troisième trimestre 2020[3] :
On retrouve en particulier Microsoft, Samsung et Facebook en tête du podium alors qu’Amazon par exemple ferme péniblement le pas. Ce sujet né dans les années 70 n’en est finalement qu’à ses débuts et les États-Unis et la Chine nous montreront comment s’en servir.
Que peut-on en conclure ? Hier, lorsque le téléphone portable est apparu, nous avions de drôles de réactions à voir quelqu’un parler tout seul dans la rue. Demain, nous serons peut-être tous lunetteux et au lieu de regarder notre smartphone pour trouver notre chemin, il nous sera directement montré. Sachant que la technologie est de plus en plus mise en place dans les entreprises, le marché est assez conséquent dans le privé pour que l’innovation continue de progresser. Accéléré par le monde des jeux vidéo et l’émergence de l’ultraconnectivité, beaucoup d’entreprises dont Apple veulent ouvrir au grand public les avantages qu’apporteraient cet outil. Et vous, vous laisserez-vous tenter par une paire ?
Bibliographie :
[1] Crunchbase, avril 2021
[2] Goldman Sachs Global Investment Research
[3] Finnegan, Augmented Reality/Virtual Reality Patent Prosecution Update, 6 novembre 2020