L’accord global UE-Chine sur les investissements, ou la méthode des petits pas
Au terme de sept années de négociation, un Accord global UE-Chine sur les investissements a été conclu. Il n’a de global que le nom : ce document n’est pas un large traité commercial mais un accord portant sur les flux d’investissements entre l’UE et la Chine. Il aborde la question de la non-réciprocité des conditions d’investissement et celle, plus vaste, d’un level playing field entre les entreprises chinoises et européennes.
Ce traité a été signé le 30 décembre 2020, conformément aux exigences des négociateurs chinois qui souhaitaient conclure les négociations avant la fin de l’année. Cet accord est également intervenu dans les derniers jours de la présidence allemande de l’UE qui s’est terminée le 31 décembre, et quelques semaines avant l’investiture de Joe Biden qui aura lieu le 20 janvier.
Cet instrument de droit international public marque une avancée intéressante dans le dialogue continu entre l’UE et la Chine. Les conditions de sa signature revêtent par ailleurs une signification diplomatique propre.
L’accord UE-Chine vise à accroître et sécuriser les flux d’investissement bilatéraux et prend acte d’avancées juridiques récentes en Chine allant dans ce sens.
Les flux d’investissement bilatéraux entre l’UE et la Chine sont importants et appelés à croître.
L’UE est le premier partenaire commercial de la Chine, la Chine le second partenaire commercial de l’UE. Les flux d’investissement prenant place dans le cadre de ces relations commerciales fortes sont de plus de 140 milliards dans le sens UE-Chine, et d’un peu moins de 120 milliards dans le sens inverse (Commission européenne, 2020).
Bien que ces chiffres soient élevés en valeur absolue, il convient de les relativiser : seuls 2% des investissements directs à l’étranger (IDE) de l’UE sont dirigés vers la Chine, alors qu’à titre de comparaison 30% d’entre eux s’orientent vers les États-Unis. La relation commerciale sino-européenne demeure pourtant fondée sur les avantages comparatifs que procure le cout relativement faible du capital dans l’UE et le coût relativement faible du travail en Chine : il existe ainsi une marge certaine d’accroissement des IDE en Chine.
Ajoutons que le marché chinois compte environ 1,4 milliards de consommateurs et que la consommation des ménages y crût de 8% par an dans la dernière décennie(1).
Le principal frein à l’accroissement des IDE européens en Chine est juridique.
La politique de contrôle des IDE étrangers en Chine est stricte. Eu égard au taux de croissance de l’économie, à sa taille et à la stabilité de la devise nationale, elle excède les limitations que l’on peut admettre dans des économies émergentes voulant se protéger de mouvements massifs et volatils de capitaux étrangers dans le cadre de stratégies dites de portage(2).
Cette politique repose sur des instruments tels que le plafonnement des capitaux pouvant-être investis, des joint-ventures obligatoires avec des entreprises chinoises, des transferts de technologie forcés et l’établissement de monopoles d’État dans certains secteurs qui les ferment de facto à l’investissement étranger.
Ces outils contrastent avec la politique de la concurrence européenne, d’inspiration bien plus libérale, et empêchent ainsi l’émergence d’un level playing field entre les entreprises européennes et chinoises, ces dernières étant bien plus protégées de la concurrence que les premières.
Une tendance à la libéralisation et à la clarification du cadre juridique s’observe cependant en Chine.
Une réforme des restrictions aux IDE étrangers a eu lieu en 2019 et est entrée en vigueur au 1er janvier 2020 avec la mise en application de la Loi sur les investissements étrangers.
Ce texte en remplace 3 : il apporte en premier lieu de la clarté. Il est applicable à l’ensemble du territoire et non à des zones d’activité économique spécifiques. La liste des secteurs protégés diminue bien qu’elle en recense tout de même 33 dont les technologies de l’information, l’automobile et l’éducation. Ces secteurs sont régis par des règles plus restrictives que le droit commun.
Le traité, en négociation depuis sept ans, apporte des avancées dans certains secteurs précisément identifiés.
L’accord UE-Chine sur les investissements unifie un paysage de droit international auparavant morcelé.
L’accord a le mérite indéniable de se substituer à 25 accords bilatéraux(3) relatifs aux investissements entre les 27 États-membres de l’UE et la Chine(4).
Ces accords ne couvraient que la protection face aux IDE en provenance des parties et pas la libéralisation de l’accès aux marchés des parties.
Ces accords n’étaient par ailleurs pas uniformes, chaque État-membre ayant négocié individuellement selon ses priorités propres : la France avait ainsi obtenu des clauses visant à protéger notre « exception culturelle ».
Les 25 traités ne couvraient enfin pas la question du développement durable et n’intégraient aucune préoccupations sociales ou environnementales, qui sont depuis devenues des priorités de l’agenda de l’UE.
Le traité apporte des avancées dans certains secteurs précisément définis ainsi que la garantie d’un instrument de règlement des différends.
La Chine s’est engagée à ouvrir plus largement un certain nombre de secteurs aux investisseurs européens. Ces Investissements prendront place dans le cadre de la loi de 2019 précitée. Ces avancées, réelles, demeurent limitées(5).
Le secteur manufacturier s’ouvrira aux investissements européens dans des proportions comparables au droit applicable dans l’UE, à l’exception notable de certains domaines notamment ceux présentant des surcapacités.
Le secteur automobile verra disparaitre progressivement l’exigence de joint-venture qui était auparavant une condition à l’IDE et a alimenté nombre de transferts de technologie.
Les services financiers sont en cours de libéralisation : les joint-venture et plafonds d’investissement ont été supprimés pour la banque, l’assurance, la gestion d’actifs et le négoce de titres.
La santé verra l’exigence de joint-venture levée dans certaines villes, notamment Pékin et Shanghai.
Dans certains secteurs, notamment les télécommunications et services cloud, l’investissement sera ouvert mais limité à 50% des capitaux propres des entreprises concernées.
Pour la bonne application des clauses ci-dessus, un mécanisme de règlement des différends comprenant une phase précontentieuse de dialogue politique et une phase contentieuse arbitrale a été prévu. Son fonctionnement effectif devra être confirmé par la pratique.
Des progrès auraient également été réalisés en matière de concurrence, bien que l’application effective de ces clauses peu précises reste sujette à caution.
Une clause relativement vague dispose que les entreprises publiques chinoises agiront conformément à des considérations commerciales et ne discrimineront pas dans leurs achats et ventes de biens et services les entreprises à capitaux étrangers. Une plus grande transparence dans l’attribution d’aides d’État dans le secteur des services serait également observée.
L’accord interdit enfin certains types de transferts forcés de technologie, notamment aux partenaires chinois dans le cas de joint-ventures.
Des clauses concernent par ailleurs le développement durable et social, comme précédemment observé dans l’accord de libre-échange UE-Vietnam : elles témoignent des préoccupations en la matière de l’UE qui cherche à utiliser son poids commercial comme levier.
La Chine s’est engagée à ne pas abaisser ses standards sociaux, qui permettent en l’état actuel le travail forcé de main d’œuvre Ouïgour, détenue arbitrairement dans de vastes camps de concentration et déplacée de force pour fabriquer dans des usines-prisons des masques destinés à l’exportation en Occident(6).
La Chine s’est par ailleurs engagée à respecter l’accord de Paris sur le climat. Sa trajectoire officielle de réduction des émissions était cependant déjà compatible avec cette feuille de route.
Cet accord limité ne constitue pas une fin en soi mais un élément positif du dialogue diplomatique sino-européen.
Cet accord limité renforce la structure juridique des relations économiques sino-européennes.
Cet accord contient des points positifs qui contribueront à augmenter le flux d’IDE européens vers la Chine, en apportant de la sécurité juridique aux investisseurs ainsi qu’en allégeant les normes les plus restrictives. Si un level playing field reste manifestement hors d’atteinte, le document constitue un petit pas dans cette direction.
Les progrès réalisés dans certains secteurs sont réels : la suppression des plafonds d’investissements étrangers et des joint-ventures dans certains secteurs, notamment l’automobile, permettront un meilleur accès des capitaux européens à un marché à forte croissance.
La signature de l’accord sino-européen doit-être replacé dans le contexte diplomatique global.
En novembre 2020, les 10 États de l’ASEAN, ainsi que la Chine, l’Australie, le Japon et la Corée du Sud ont signé un Regional comprehensive economic partnership visant à approfondir leur accord de libre-échange préexistant. La signature par l’UE d’un accord avec la Chine quelques semaines après illustre l’échec de l’impossible politique de découplage promue par le président américain sortant.
Alors que l’attitude du nouveau président des États-Unis à l’égard de la Chine reste à observer, une approche basée sur la négociation et la « méthode des petits pas » semble être partagée par beaucoup de leurs partenaires. Cette approche multilatérale et fondamentalement réaliste peut également être perçue comme une invitation à agir de même de la part des proches partenaires des États-Unis. Joe Biden semble capable d’une telle approche, comme l’a illustré la série d’executive orders qu’il a signé immédiatement après sa prise de fonction et qui comporte la ré-adhésion des États-Unis à des accords internationaux que le président Trump avait quittés (accord sur le nucléaire iranien, accords de Paris sur le climat).
Il reste à voir quelle « méthode Biden »(7) se dessinera face à la Chine, qui demeure le rival systémique des États-Unis. Le rapport de force qui existe n’implique pas en effet de tension permanente et n’exclut pas la coopération sur certains enjeux, notamment environnementaux.
Bien que les fondamentaux géopolitiques de l’équilibre sino-américain et de la relation qu’entretiennent les États-Unis avec leurs alliés d’Europe et du Pacifique n’aient pas été significativement ébranlés par les deux accords précités, ils semblent inviter la nouvelle administration américaine à une période de relative détente et de multilatéralisme renouvelé.
(1) Qingwang Guo (2015, Chinese household consumption: how much is enough?, China Finance and Economic Review.
(2) Ces stratégies sont le fait d’investisseurs voulant tirer profit des différentiels de taux d’intérêt et peuvent propager et accroître dans de petites économies les variations du cycle.
(3) L’Irlande n’en avait pas, la Belgique et le Luxembourg l’avaient conclu en commun.
(4) Alicia Garcia-Herrero (2020), When and how should the European Union conclude an investment agreement with China?, Bruegel.
(5) Pour plus de détails : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_20_2542
(6) https://www.nytimes.com/2020/07/19/world/asia/china-mask-forced-labor.htm
(7) Des pistes relatives à l’évolution de la politique des États-Unis face à la Chine ont été esquissées ici : https://hiboo.expert//actualite/les-defis-du-prochain-president-des-etats-unis-emploi-concurrence-commerce/