L’avenir de la communication et la mort de la patience
À peine la 4G déployée et votre nouveau portable acheté que la 5G pointe déjà son nez. Entre nécessité et aberration, donnons-nous des clefs de lecture de ces technologies de l’information.
Dans les différents éditos, nous dépeignons souvent un monde ultra-technologique et une société à deux vitesses. De là vient une crainte que nos enfants de demain ne comprennent plus le monde dans lequel ils vivront si toutefois ce n’est pas déjà le cas. Tout comme un magicien fait apparaître des lapins de son chapeau, la technologie avance d’elle-même à qui arrivera à courir aussi vite qu’elle pour la comprendre et ne pas se faire avoir. Demain, notre société va s’adapter au changement et le prendre pour vérité : demain, un enfant ne comprendra peut-être pas comment une porte coulissante s’ouvre sans qu’il ait besoin de la toucher. Vous pourrez me dire avec raison que cette adaptation a toujours eu lieu et que ce n’est pas plus un retour en arrière qu’une continuité de notre espèce. Cependant, je ne suis pas certain que si le système tombe en panne, l’enfant n’aille pas se prendre la vitre en plein visage. Ici nous allons parler de la 6G, précurseur de la 7G, lui-même de la 8G etc. Où nous arrêterons nous ? Entre influences, utilité et déraison, regardons quelques clefs de lecture de ces ondes.
La 6G, quelle utilité ?
Alors que les opérateurs téléphoniques français déploient à peine leurs premiers forfaits 5G, la 6G est déjà dans les starting-blocks. Cette technologie de communication n’en est pourtant pas à ses premières heures. Depuis les années 1990, la 2G a fait son apparition sur les différents territoires et permet une connectivité au monde de n’importe où. C’est une petite révolution qui met en place ce que l’on appelle aujourd’hui l’hyper connectivité. En effet, il n’est plus un moment sans qu’un appareil vibre autour de nous. On ne va cependant pas remonter aux pigeons voyageurs mais hier l’information était attendue, non pas car ce que la lettre était difficile à écrire ou que le papier manquait mais bel et bien car le transport était un facteur limitant. Nous nous complaisons aujourd’hui dans l’instantanéité (ou tout du moins celle que l’on connaît avant d’en goûter une autre) et nous ne pouvons-nous satisfaire que d’elle. Dans certaines situations, l’apport de cette technologie est colossal comme pour alerter la population de tsunamis, mais dans d’autres, nous sommes en droit de nous poser la question : que va-t-il m’arriver si je reçois mon livre dans trois jours plutôt que demain ? Oui, très bien, je pars en voyage mais n’en avais-je pas d’autres à emporter ? Finalement, nous qui voulons toujours empêcher l’imprévu, nous ne recherchons pas plus les causes que les moyens de rattraper les conséquences. Après avoir vu plusieurs nuances, rentrons dans le vif du sujet en commençant par présenter les différentes générations de communication mobile.
Plutôt que de vous présenter les unes après les autres ces générations, je vous propose plutôt ce schéma personnel. Pour bien le comprendre je vous ai fait apparaitre les différents chiffres, leur date, leur débit (« q » en kbits/s), les fréquences sur lesquelles se repose la technologie et enfin, le plus important, le potentiel d’utilisation. Pour ce qui est de la 6G, les données sont hypothétiques.
De ce schéma nous pouvons tirer de très nombreux enseignements :
- Tout d’abord il y a pour le moment une évolution des technologies toutes les décennies mais il ne faut pas s’y méprendre, passer d’une génération à une autre n’est pas simple. Tout d’abord, il faut poser des normes, puis définir les architectures (sans cesse renouvelées), c’est donc un dur labeur qui plus est, international. Enfin, il faut mettre en place le nouveau réseau.
- Ensuite, et ce n’est pas indiqué ici car vous le comprendrez vite, il y a eu, pour chaque génération, de nombreuses améliorations tout au long des décennies comme la 3G+, EDGE, H+ et j’en passe. Toutes ces appellations sont liées à des améliorations de débit mais ne relèvent pas d’innovation critique.
- On peut également remarquer que parfois, les plages de fréquences se recoupent ; pourquoi n’en prend-on pas de nouvelles à chaque fois ? Tout simplement car elles ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients. Ainsi, si vous augmenter la fréquence, vous pouvez augmenter le débit d’information mais vous réduisez la portée du signal. Si vous avez un routeur 5 GHz chez vous, il est beaucoup plus rapide que le Wifi mais dès que vous passez un mur, le signal devient très faible. Dans le cas des fréquences attribuées, certaines sont donc réutilisées ou partagées avec des technologies plus anciennes.
- Enfin, rentrons dans le cœur du sujet : son utilisation. Comme vous le voyez, toutes les technologies sont plus ou moins rétro compatibles mais apportent des nouveautés (certaines plus que d’autres). Passer de la 2G à la 3G a par exemple ouvert au monde la possibilité de naviguer sur internet. Mais si nous allons plus loin dans le raisonnement, c’est un pan entier de notre société de consommation qui a alors débuté : le téléchargement de contenu, l’achat en ligne, la possibilité de se voir à l’autre bout du monde etc.
La 4G a quant à elle apporté des nouveautés intéressantes dans une moindre mesure. L'une des plus notables a été l'augmentation nette du débit. Aujourd’hui, le défi de la 5G est de pouvoir en particulier connecter toutes nos machines en passant des voitures au réfrigérateur qui commande le lait à votre place. C’est l’heure du déploiement du big data et de l’IoT. - Demain, ce sera la 6G qui entrera dans nos modes de vie et les chercheurs du monde entier sont actuellement en train de poser les bases de son modèle. On pense actuellement que le virage sera décisif et que la couverture réseau permettra de créer un jumeau numérique de la terre en permettant à tout homme de s’y connecter. Science-fiction ou réalité nous ne pouvons rien prédire mais tout comme chaque génération apporte des changements d’attitude de la population, la 6G créera certainement un tsunami.
Un cocktail d’influences
Nous venons de voir quelles étaient les prochaines étapes de la connexion mobile mais regardons maintenant les influences et les débats qui tournent autour de ce thème.
Tout d’abord, parlons de l’intérêt géopolitique. L’an dernier, Ajit Pai, président de la Commission fédérale de la communication américaine disait : « Le leadership américain dans la technologie 5G est un impératif national pour la croissance économique et la compétitivité ». En parallèle de cette déclaration, nous avons vu Huaweï être expulsé du sol américain sur tous les services et produits non open-source. De plus, Google annonce qu’il ne livrera plus de services à l’entreprise chinoise. Depuis, Huaweï a son image ternie en Occident et colporte une réputation d’espion à la charge du gouvernement chinois. Dans ce débat, il est cependant indispensable de rappeler que Huaweï, entre autres fabricants, a particulièrement travaillé sur les technologies 5G et cherche à déployer ses solutions hors de Chine.
En réaction à ce litige, l’Amérique a mis en place une stratégie nationale autour de la 6G : la « Next G Alliance » regroupant en autres Google, Apple, Microsoft mais aussi LG, Nokia, Samsung etc. Alors même que la 5G n’est pas totalement déployée, on hume les brises d’une guerre technologique encore inconnue mais dont certaines escarmouches sont déjà en cours comme celle des constellations de satellites qui seront les vecteurs de déploiement.
Tournons-nous maintenant vers le secteur médical. Le débat est depuis quelques années très intense sur la possibilité que le corps soit sensible aux radiations émises par les différentes antennes. Cette question est la cour de jeu d’un marché de plus en plus lucratif permettant de se soustraire de toutes ondes. Nous n’allons pas ici prendre entièrement parti face aux risques d’une surexposition du corps aux ondes car la recherche ne montre pas encore de preuves unanimes. Néanmoins, regardons quelques clefs scientifiques. Si nous reprenons les fréquences dans lesquelles les réseaux se concentrent, nous tournons actuellement aux alentours du giga-hertz soit 109 Hertz. Comme nous l’avons dit précédemment, augmenter la fréquence permet d’accroître le débit d’information - ce qui est actuellement recherché dans les applications du big data - mais réduit drastiquement la portée du signal.
Pourquoi ? Simplement car un signal haute fréquence a plus de chances d’interagir avec son environnement. Cependant, ce principe fondamental de la physique est très bien connu et nous pouvons prendre comme bon exemple l’infrarouge (IR) émis par le soleil. Cet astre émet des ondes qui interagissent avec les corps en excitant les molécules d’eau, ce qui les réchauffe. Si l’on regarde l’ordre de grandeur de ces fréquences nous en sommes à 1012Hertz soit mille fois plus que les fréquences utilisées actuellement dans la 5G. Par ailleurs, on sait que l’IR solaire pénètre au plus profondément à 5 mm dans notre muqueuse. C’est ce que l’on appelle les rayons non-ionisants. La science montrera surement que certaines personnes sont plus sensibles à certaines longueurs d’onde que d’autres mais nous ne sommes pas sans savoir que nous baignons à n’importe quel instant dans un univers de rayonnements de toutes fréquences : la lumière, les ondes radio etc. Finalement, le plus important est de juger de la puissance du signal.
Retournons maintenant en France. L’Arcep ou l’autorité de régulation des communications électroniques et des postes est l’instance qui arbitre la distribution des fréquences aux opérateurs. On remarque que dès que la pression technologique dans les autres pays est grande, cette autorité se doit de proposer la mise sur le marché des différentes fréquences normées. À partir d’enchères, les opérateurs reçoivent une certaine part du gâteau. Pour la 5G cependant, un nouvel outil a été mis en place. Le gouvernement et l’Arcep ont proposé de vendre à prix fixe des blocs de fréquences mais en faisant signer aux opérateurs des obligations de déploiement sur tout le territoire. Par curiosité, le prix de ces blocs est fixé à 350 millions d’euros sur quinze ans[2].
Néanmoins, si nous regardons de plus près l’examen des candidatures qui permettent l’attribution des fréquences, nous remarquons que les opérateurs doivent d’une part adhérer à la bonne utilisation des fréquences, c’est-à-dire en particulier respecter les dernières normes en vigueur ; ils doivent aussi montrer une connaissance technique approfondie, souvent en se basant sur des accords avec des fournisseurs qui attestent du matériel et des expériences réalisées ; enfin, ils doivent montrer que leur capacité financière est suffisante pour mener à bien leur projet. Avec toutes ces informations en main, on comprend qu’il est impossible pour un fournisseur de trainer le pas face à la nouvelle technologie issue des normes instaurées. S’il arrive en retard lors de l’attribution des bandes, son modèle économique s’effondre.
Continuons notre parcours après avoir regardé l’offre en faisant un zoom sur la demande. N’oublions pas que la 5G s’inscrit dans la mise en place d’un réseau destiné aux objets connectés et de la transmission de leur donnée. D’une part nous allons parler d’IoT (Internet of things – Internet des objets) et de l’autre du big data. Plusieurs études[1][2] convergent vers les prédictions ci-dessous :
En vert, le volume de données créées et en bleu le nombre d’objets connectés
Concrètement, le marché est gigantesque car il suppose d’un côté que le coût et la disponibilité de l’offre vont diminuer et que de l’autre, une plus grande partie de la population va avoir accès à ces outils. En particulier, les premiers objets connectés seront les voitures, représentant en 2025, 45% de la demande.
Vous l’aurez maintenant compris, la 5G, et plus tard ses successeurs, se voient tiraillés entre de nombreuses influences mondiales, nationales et locales. Les thèmes ne se résument plus à la simple acceptation de la technologie en tant qu’amélioration de notre vie. Tous ces débats forts intéressants n’arrivent jamais à endiguer la vitesse d’expansion de ces nouvelles normes et c’est en partie notre faute. Bien que le rêve d’un jumeau numérique de la Terre (6G) soit très intéressant, par exemple pour le développement d’une politique mondiale écologique, il n’est pas certain que nous n’ayons déjà plus les matières premières pour y arriver à la vitesse à laquelle nous les consommons.
Aberration totale et pari non risqué
Nous nous étions arrêté quelques instants en introduction sur ces questions d’enjeu : est-ce indispensable ? Pourquoi aller toujours plus vite ? Sommes-nous à ce point pressés ? Ou encore, nous faisons nous emmener contre notre gré ? Nous allons en plus rajouter une dernière question qui est de plus en plus importante dans la sphère médiatique : est-ce écologiquement responsable ?
Bien que nous ayons déjà donné quelques pistes, il est important que vous répondiez vous-même à ces questions. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse mais des réponses en contexte. En effet, si demain l’énergie de fusion devient viable, elle débloquera un nombre incalculable de problèmes et en particulier celui de la puissance électrique nécessaire à l’utilisation des technologies de communication. En effet, évidemment, tout appareil qui se connecte par ondes a besoin de dépenser de l’énergie soit pour chercher un signal soit pour en émettre un et si l’on prend les quatre-vingts milliards d’objets connectés en 2025, ils demanderont une puissance non négligeable.
La 5G promet certes une diminution de l’énergie consommée par débit mais il ne faut pas oublier que le nombre d’appareils connectés va largement augmenter. Si l’on regarde l’autre versant de la montagne, les analyses montrent que 50% de la facture énergétique totale va en fait venir du renouvellement de tout le parc informatique actuel.
Analysons, avant de conclure, l’impact géographique de l’arrivée de la 5G et de la 6G demain. En faisant le lien avec les enjeux médicaux liés à ces technologies, il est indispensable de parler des antennes émettrices placées sur tout notre territoire. Sur les toits, au sommet des collines ou camouflées dans un arbre électronique, ces modules sont maintenant monnaie courante sur nos photos. Avec les nouveaux standards, elles pourront se connecter à des millions d’utilisateurs en même temps tout en réduisant leur taille ce qui peut paraître être une bonne chose. Néanmoins, il vient que les murs ou autres obstacles peuvent appauvrir le signal et diminuer d’un facteur cinq leur rayon d’action. En conclusion, les opérateurs seront contraints d’augmenter le nombre d’antennes placées. Voulons-nous à ce point amocher encore plus nos paysages pour gagner en vitesse ? Est-ce nécessaire ? À nous d’y répondre.
Pour finir avec cet immense sujet, l’UE a mis en place un projet de développement de la 6G nommé « Hexa_X ». Il a pour but de réfléchir aux normes, moyens et utilisations de la 6G. Ce projet est mené par Nokia et Ericsson mais nous retrouvons aussi Orange, Atos, Siemens, le CEA etc. Comme nous l’avons dit dans la partie précédente, nous sommes tous menacés de ne pas aller aussi vite que le reste du monde et cette initiative a justement été mise en place pour ne pas perdre notre hégémonie. C’est donc un pari non risqué mais dont nous n’avons aucune idée du dénouement. Affaire à suivre.
Bibliographie :
[1] Statista Digital Economy Compass 2019, Big data : le volume de données crées va exploser, 2019
[2] République Française, Le Gouvernement lance la procédure d’attribution des fréquences pour la 5G, 17 décembre 2019
[3] Connect World, Growth of the IoT, 2019