Le ballet des robots (partie 1) : l’emprise sur l’homme
Vous êtes-vous un jour demandé combien de fourmis vivent sur terre ? Un milliard de milliard. Les robots vont-ils demain atteindre ce chiffre ? Au lendemain de révolutions industrielles qui ont déjà réformé en profondeur les pratiques et les rendements, à quoi peut-on s’attendre de la robotique ? Quels sont les enjeux dans les différentes industries et quelle est la mesure de l’impulsion des nouveaux acteurs ?
Pour nous rappeler l’ampleur de l’industrialisation et en particulier la robotisation, il faut commencer par faire la différence entre un automate et un robot. On définit un automate comme l’ancêtre du robot, dont le comportement est dicté par un mouvement préétabli. Par exemple, un orgue de barbarie, un métier à tisser ou encore l’éolipyle, l’ingénieux système de Héron d’Alexandrie pour ouvrir les portes du temple. Ce dernier publia le texte Αὐτόματα, les automates, qui a pour sens, lorsque l’on revient aux racines grecques de ce mot, le mouvement spontanée, l’objet qui se meut par soi-même et par analogie, par hasard. Loin de tout hasard, le robot, lui, est une machine dont les mouvements sont réfléchis grâce à un système de connaissance qui lui vient de capteurs en tous genres. C’est la différence entre automatique et autonomie. Il y a aujourd’hui environ un robot pour deux cent cinquante humains[6] mais ce chiffre ne fait qu’augmenter. Comment la robotique a-t-elle révolutionné les industries ? A-t-on encore beaucoup de chemin avant de ne plus aller travailler ? Commençons cette série d’édito en fixant certaines bases.
Retour sur la machination des différentes industries
Si l’on reprend rapidement le cours des technologies disruptives on retrouve les machines à charbon, les machines électriques et les moteurs thermiques, puis l’arrivée de l’informatique et de l’électronique de masse. Enfin, actuellement et nous y reviendrons dans les prochains éditos, nous voyons se démocratiser ces dernières années les technologies quantiques, l’industrie 4.0 - qui est régie par l’affluence des données -, le big data et l’automatisation temps réel. Nous redéfinirons tous ces concepts, leurs implications et leurs liens.
Au-delà des secteurs primaire et secondaire où l’automatisation s’est mise en place rapidement et a engrangé une très forte hausse de performance pour l’entreprise et de nouvelles théories sociales pour les employés, le secteur tertiaire commence tout juste à utiliser des outils puissants pour l’aider à gérer son marché. Si l’on regarde une étude de McKinsey de 2016, on peut tracer la place de la France en Europe en fonction des performances numériques des entreprises de plus de 10 salariés[4].
Ces chiffres ne sont plus tout à fait à jour mais tendent à montrer que la France n’a pas réussi à suivre l’émergence des nouvelles révolutions technologiques. Pire, nous frôlons péniblement le milieu de classe en Europe. Bien que notre réseau internet soit performant et que plus de 99% des entreprises y soit relié, les outils utilisés ne sont plus adaptés aux enjeux actuels. En particulier, lorsque l’on parle des outils traditionnels, le classement fait référence aux pages web sur lequel les acteurs du marché peuvent voir les produits de l’entreprise, une évidence vous me direz. Lorsque l’on parle d’outils sophistiqués, le rapport suggère l’utilisation de traitement automatisé de tâches redondantes, d’outil de gestion de client ou encore d’outils de gestion de la production. Enfin, dans les technologies émergentes, la note reflète en partie l’utilisation des technologies de l’usine 4.0.
Comme l’affirment ces chiffres, la copie est à revoir. L’enjeu n’étant pas seulement de se préparer au futur mais de rester dans le train des technologies du présent. Regardez ce que sont devenus les outils tels que MSN, Dailymotion et peut-être bientôt Facebook, s’ils n’arrivent pas à s’adapter, alors un concurrent plus rapide prendra le monopole. En tant que pays, la compétition est la même. Israël par exemple est actuellement un vivier technologique en regardant comme élément de comparaison le nombre de startups qui lèvent des fonds supérieurs au million d’euros[5].
La France est actuellement un bon foyer d’innovation mais les startups qui émergent avec de nouvelles technologies se font vite racheter par de grands groupes internationaux. Or, nous avons justement vu plus haut que toutes les entreprises doivent accélérer quant à la mise en place d’une interface efficace autant vers le consommateur extérieur, que vers leur propre organisation interne. Actuellement, un fossé existe entre possibilité de changement, volonté de changement et mise en place du changement.
Pour finir cette introduction sur le thème de la robotisation, nous voyons bien avec quelques chiffres que la France est sans cesse en confrontation entre son passé glorieux, la montée de ses concurrents et les enjeux auxquels ses secteurs doivent faire face pour rester demain dans la compétition économique, politique et sociale.
L’évolution de la robotisation, des robotisations
Cette série d’éditos s’appelle « le ballet des robots » car nous sommes dans une ère où la robotisation est omniprésente. Chez nous, dans l’espace public, sur les marchés financiers ou encore partout où on ne l’attend pas. Qu’ils soient humanoïdes comme au Japon dans les bars, virtuels (chatbots) ou bien tout simplement monotâches dans les usines, les robots sont devenus indispensables. I. Asimov avait d’ailleurs très bien compris l’avènement de cette technologie dans nos modes de vie en mettant en place les trois lois de la robotique puis en essayant de démontrer leur mal fondé au travers de nouvelles et romans. Par ailleurs en avance sur son temps, il n’est pas improbable que le métier de robot-psychologue voie le jour dans quelques décennies. Je recommande vivement la lecture de ses œuvres à tous ceux pour qui la robotique est une source d’inspiration.
Par ailleurs, je souhaitais parler d’un ballet car comme nous l’avons expliqué, les robots sont tellement présents que l’on peut parfois penser qu’ils agissent pour un intérêt que l’on ne comprend pas, et, par extension, pour un intérêt qui est le leur.
Où en sommes-nous ? Il y a assez peu d’études qui veulent démontrer les conséquences de la robotisation. Cependant il est possible de trouver certains chiffres pour nous mettre sur la voie. Nous devons tout d’abord rappeler que la robotisation est un phénomène totalement hétérogène. Si l’on regarde les chiffres de la Fédération Internationale de la Robotique (IFR)[6], on peut tracer le nombre de robots en fonctionnement dans le monde :
On distinguera les robots industriels, qui sont utilisés pour répondre à des tâches lourdes, et les robots de service qui sont principalement utilisés chez les particuliers par exemple.
On remarque sur ces graphiques plusieurs tendances. Tout d’abord, l’Asie a bien évidemment une connaissance très grande de la robotique industrielle et c’est grâce à celle-ci qu’elle peut effectivement rester première puissance économique mondiale. Elle produit à bas cout et peut exporter facilement et à toute heure. Cependant, l’investissement de base de la robotisation des usines a été très fort.
Parallèlement, si on regarde ces mêmes chiffres mais en fonction du nombre d’habitants, alors l’Europe est très bien placée. Cela peut exprimer par exemple le fait qu’une majorité d’entreprises a mis en place une robotique au contraire de l’Asie qui a encore un potentiel énorme de robotisation de ses industries. Il vient alors que de gros investissements sont à prévoir autant en R&D qu’en matériel en Asie et sur le continent américain.
Enfin, si on observe ce dernier graphique où est tracée la vitesse de robotisation des industries, on peut clairement montrer que l’Europe fait aussi bien que l’Asie :
En effet, il semble que l’utilisation progressive des nouvelles technologies continue d’être un enjeu de ces deux parties du monde et que les investissements y sont importants. N’oublions pas toutefois que ces chiffres sont moyennés par tous les pays et que bien sûr la Chine, le Japon et Singapour font la course en tête de ces problématiques.
Dans les prochaines années, l’agriculture, l’industrie et les services vont continuer à investir dans les technologies qui leur permettent d’engranger de meilleurs rendements en stabilisant le coût des actions répétitives. Bien que l’on puisse croire qu’un robot ne soit doué que pour réaliser une seule tâche, leur polyvalence est une importante mesure de la leur maturité. Enfin, le prix de telles machines décroît avec l’utilisation de microélectronique et l’émergence de nouveaux acteurs ce qui permet de changer facilement les modes de production. Thales ou ArianeGroup pour ne citer qu’eux ou encore Tesla que nous avons vu dans l’édito sur les batteries, font sortir de terre chaque année de nouvelles usines totalement digitalisées.
Bien que les grandes entreprises de la robotique soient encore leader de leurs marchés, de nouvelles startups émergent partout dans le monde pour fournir du matériel ou des services dont le but est de répondre à un besoin précis. Si on creuse plus loin encore l’analyse, on se rend compte qu’au-delà de la robotisation de toutes ces entreprises, ce qui peut être considéré comme une première étape essentielle, il faut dès maintenant définir les besoins des technologies qui sont aujourd’hui matures et celles qui le seront demain. En particulier l’utilisation de la 5G, de l’espace, de la quantique, de la réalité virtuelle, de l’impression 3D - l’utilisation de technologies disruptives. Mettre en place des schémas pour greffer de telles aides demande un investissement conséquent (d’autant plus pour les « vieilles » entreprises), mais permet de rester concurrentiel non seulement dans son marché mais aussi à l’international.
L’impact sur le monde agricole
Finissons ce premier édito en nous focalisant sur l’industrie agricole. Celle-ci est toute particulière car d’un côté elle représente un bac à sable technologique immense autant par la surface de production que par le nombre d’acteurs, et de l’autre, elle a vu passer de nombreuses révolutions technologiques.
D’après une étude menée par un institut français[7], le GPS par exemple a été une des innovations disruptives des dernières décennies. En effet, il a permis de conserver une production stable et précise, et de réduire le travail du chauffeur qui peut alors se concentrer sur d’autres aspects. En 2014, 40% des agriculteurs utilisaient un système de guidage par GPS ce qui a conduit à des hausses de rendements de 5%. Dans un même temps, d’après l’Insee, la population agricole a été divisée par six en cinquante ans ce qui a eu pour conséquence de créer une forte demande en technologie pour gérer à la fois des terrains plus vastes et un marché plus important. La robotique est donc considérée comme l’une des plus grandes révolutions agricoles, comparable à internet pour les services.
Aujourd’hui, si l’on regarde le panel des startups et en particulier les startups de service, une grande partie d’entre elles a atteint une maturité suffisante pour vendre un service aux agriculteurs : l’analyse satellitaire des parcelles. D’après Crunchbase, il existe actuellement dans le monde plus de deux mille startups qui ont levé plus d’un million d’euros dont le produit utilise les données satellitaires publiques ou privées et, grâce à l’intelligence artificielle, donne de précieuses informations au monde agricole. Earthcube, un incontournable français, en fait partie. Un des grands enjeux actuels qui se retrouve dans d’autres secteurs est de pouvoir traiter le nombre exponentiel de données que les capteurs récupèrent. Dans le monde agricole, il faut connaître à la fois l’hydrométrie de chaque mètre carré de terre, le degré de captation des minéraux et de l’eau par les plantes, l’ensoleillement moyen, etc. Toutes ces données permettent de prédire des situations et supprimer les variations dans la production.
Ainsi, toutes les entreprises proposant des produits pour ce marché vont bien sur être indispensables dans les pays agricoles. IBM par exemple l’a bien compris et a mis en place des solutions de connaissance de la météogrâce à l’interprétation des données satellitaires par des IAs. On parle alors d’agriculture 4.0. Connaître, analyser et agir au bon moment est un principe qui se renouvelle sans cesse. Hier en utilisant la méthode de la jachère, aujourd’hui en mettant en place des drones, des intelligences artificielles et des robots. Si l’on conçoit l’amélioration technologique comme une réduction du temps d’action sur l’environnement et une réduction de l’effort nécessaire à l’homme, alors on peut tout autant se demander si la mise en place de ces solutions ne va pas demander plus d’efforts pour n’apporter que peu d’améliorations. Est-il nécessaire de connaitre toutes les heures si une plante a reçu assez d’eau ? Pour cela, l’énergie électrique nécessaire à la mise en place de telles solutions sera forcément un facteur limitant.
Asimov comme d’autres prétendent que nous évoluons technologiquement très vite à cause de notre faible durée de vie. Si nous arrivions à vivre plusieurs siècles, alors le progrès se verrait ralentir. Comme nous l’observons tous les jours, la technologie est de plus en plus omniprésente tant bien qu’elle change progressivement notre rapport à l’environnement. Les nombreuses révolutions industrielles font bien sûr partie d’une course économique dont veulent profiter les différents continents. Nous avons vu que la France n’est pas encore prête à passer aux prochaines étapes technologiques et que l’Asie a un potentiel de développement encore très élevé. Pourtant, même si la technologie change très vite, il n’est pas certain que nous l’acceptions aussi rapidement. L’agriculture en est un bon exemple : nous souhaitons à la fois améliorer les rendements, réduire les coûts mais pour autant sommes-nous prêt à en assécher les terres ? Prudence est de mise sous l’impulsion toujours croissante de nouvelles technologies.
Bibliographie :
[1] INSEE, Evolution de la part des catégories socioprofessionnelles dans l’emploi total (%), 2019
[2] INSEE, Evolution de la part des ouvriers et des employés dans l’emploi selon la qualification (%), 2019
[3] International Federation of Robotics (IFR), IFR Press Conference, 24 septembre 2020
[4] Audition d’Eric Labaye, Président du McKinsey Global Institute, devant le COE le 8 novembre 2016
[5] Crunchbase, 3 décembre 2020
[6] IFR, IFR Press Conference, 24 septembre 2020
[7] Arvalis, Les utilisations du GPS en Agriculture, 17 décembre 2014