Le chêne et le roseau
Nous sommes d’autant plus résistants, et vivants, que nous sommes confrontés au désordre, à l’instabilité, à la volatilité, tels des roseaux. Au lieu de nous détruire, l’environnement chaotique nous renforce, nous contraint à développer notre capacité d’adaptation pour croître : il nous rend meilleurs, dans tous les sens du terme. Pour 2018, hiboo souhaite donc à chacun de vous une riche et heureuse année avec beaucoup de beaux investissements dans des sociétés « roseau ».
J’ai passé les vacances de Noël chez moi, à la campagne, entouré de ma chère famille.
Le temps était doux pour l’hiver. Tout était calme.
Après Noël, le vent s’est levé. Au fil des jours, il a forcé progressivement jusqu'à devenir assez fort à l’approche du nouvel an.
C’était l’après-midi, juste avant le week-end de fin d’année. Nous étions tous à lire, dormir ou travailler dans la douceur d’une maison chaude avec des feux qui crépitent. Soudain le vent est devenu violent, les fenêtres, les portes et presque toute la maison ont tremblé. Dehors il y a eu des craquements et de grands bruits, comme des meubles lourds qui tombent. Puis des crépitements sur les vitres comme si on y projetait des graviers. Cela a duré trois minutes au plus, puis tout est redevenu normal, serein.
Intrigués, nous sommes sortis pour comprendre ce qui s’était passé : autour de la maison, une dizaine de grands arbres centenaires gisaient à terre, d’autres étaient décapités et des branches avaient été projetés sur le toit, endommageant des ardoises dont de nombreux morceaux avaient été projetés à des dizaines de mètres comme autant de couperets volants. Heureusement personne n’était dehors quand cela s’était produit.
Un peu plus loin, rien, aucun arbre n’était atteint : une tornade s’était formée et avait emporté sur son sillage tous les grands arbres. Seuls les plus jeunes, les plus petits avaient résisté.
Le Chêne un jour dit au Roseau :
[…]
Le moindre vent, qui d’aventure
Fait rider la face de l’eau,
Vous oblige à baisser la tête :
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d’arrêter les rayons du soleil,
Brave l’effort de la tempête.
[…]
- Votre compassion, lui répondit l’Arbuste,
Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci.
Les vents me sont moins qu’à vous redoutables.
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin. « Comme il disait ces mots,
Du bout de l’horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L’Arbre tient bon ; le Roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au Ciel était voisine
Et dont les pieds touchaient à l’Empire des Morts.
Cette fable de La Fontaine a été reprise au début de la décennie, avec moins de poésie et de synthèse, par Nassim Taleb dans un livre appelé « Antifragile ».
Nassim Taleb était célèbre depuis son livre « Le Cygne noir ».
Là son idée est qu’un chauffeur de taxi (le roseau) qui est habitué à des recettes erratiques est préparé à s’adapter à une crise économique. En revanche, le cadre d’une multinationale ou le fonctionnaire (le chêne), licencié à l’occasion de cette même crise, a beaucoup plus de mal à faire front : la stabilité dont il a bénéficié jusqu'à présent ne l’a pas préparé à affronter l’adversité.
L’idée développée par Nassim Taleb est donc que nous sommes d’autant plus résistants, et vivants, que nous sommes confrontés au désordre, à l’instabilité, à la volatilité. Au lieu de nous détruire, l’environnement chaotique nous renforce, nous contraint à développer notre capacité d’adaptation pour croître : il nous rend meilleurs, dans tous les sens du terme.
La stabilité, les univers protégés ne nous sont donc pas favorables : ils ne nous éduquent pas. On peut même dire qu’ils préparent notre destruction : quand un univers protégé dure, nos anticipations à long terme finissent par ne plus prendre en compte la cyclicité de la vie et ses inévitables tempêtes et notre prise de risque augmente : le chêne n’a pas anticipé une très forte tempête et a trop déployé ses branches.
De plus, une tempête sur des roseaux n’a pas de conséquence. Mais des grands arbres déracinés par des vents violents laissent un champ de ruine.
La sécurisation de l’environnement financier, aujourd'hui, par les banques centrales modifie certainement les anticipations à long terme des acteurs économiques et les incite probablement à une prise de risque, sous forme d’endettement, excessive. Aujourd'hui, rares sont ceux qui prennent en compte la possibilité d’une tempête.
Il en résulte que la dette est devenue excessive : cela concerne la plupart des acteurs économiques du monde entier. J’ai lu récemment que le montant de la dette mondiale était aujourd'hui 30% plus élevée qu’en 2007, à la veille de la crise financière.
Quelle leçon l’investisseur peut-il tirer de cela ?
1° : La première manière d’agir est de se comporter comme Warren Buffet : attendre patiemment une crise pour investir et, quand tout le monde panique et vend, acheter des actions de sociétés susceptibles de traverser la crise.
Mais l’avenir n’est écrit nulle part. Et puis nous sortons à peine de plusieurs crises majeures : l’Aise en 1997, la bulle internet en 2000, la crise des « subprime » en 2008 et la crise de la zone euro en 2012. Alors la prochaine tempête surviendra certainement, mais ce peut être demain comme dans 10 ans. Il est difficile de rester 10 ans l’arme au pied. Mais au moins peut-on éviter les zones de plus grand risque.
2° : Le triangle de Bermudes :
Les investissements dangereux se situent là où les actifs ont connu une progression forte, durable et avec une volatilité réduite : il y a une probabilité élevée que les anticipations haussières s’y soient exagérément développées.
Aujourd'hui, je repère trois zones dangereuses : l’immobilier, les obligations et le « private equity ».
La hausse de l’immobilier depuis la deuxième guerre mondiale, particulièrement dans les grandes villes mondialisées, est la conséquence, au début, de l’exode rural et de la hausse de la population, puis de la hausse du niveau de vie des classes moyennes et enfin de l’enrichissement des classes supérieures et de la baisse des taux d’intérêts.
Les obligations ont également connu une hausse considérable depuis 1980, les taux à long terme passant de plus de 15% à moins de 1% sous l’effet de l’effondrement de l’inflation.
En somme, la flambée de ces deux actifs résulte largement d’une part de la mondialisation et d’autre part de l’éviction de la courbe de Phillips :
- La montée des tendances populistes dans beaucoup de pays, c’est-à-dire la révolte des classes populaires et moyennes laminées par la concurrence des pays émergents, pourrait contraindre la mondialisation.
- La baisse du chômage et la nécessité pour les entreprises de recruter des compétences nécessaires à leur adaptation aux évolutions technologiques pourrait réveiller la courbe de Phillips, c’est-à-dire le lien entre chômage et inflation.
Pour ce qui est du « Private Equity », c’est-à-dire l’achat d’entreprises avec un niveau de dette important, c’est un domaine sur lequel il existe peu de statistiques. L’engouement actuel pour ce placement, parce qu’il n’affiche pas de volatilité apparente entre l’investissement et la sortie et parce qu’il est très rémunérateur pour ses promoteurs, me fait craindre le pire.
3° : Le roseau :
Si on n’a pas la patience de Warren Buffet et que l’on évite le triangle des Bermudes, alors l’investissement reste possible dès lors qu’il est cantonné dans des actions d’entreprises qui s’apparentent au roseau de la fable : des entreprises capables de s’accommoder, voire de profiter d’une tempête.
Ces entreprises ont deux caractères qui les distinguent des autres : elles sont flexibles et génèrent un fort Cash Flow.
La combinaison de ces deux éléments signifie que ce sont le plus souvent des entreprises qui ont besoin de mobiliser peu de capital et de personnel pour fonctionner.
Pour 2018, hiboo souhaite donc à chacun de vous une riche et heureuse année avec beaucoup de beaux investissements dans des sociétés « roseau ».