Le Covid-19 illustre le coût sanitaire pour l’économie mondialisée du modèle de gouvernance chinois
L’enchevêtrement des chaînes de valeur mondiales, au cœur desquelles se trouve la Chine, mondialisée depuis son admission à l’OMC en 2001, a entraîné la globalisation de l’épidémie qui a été encouragée par la structure de son modèle de gouvernance.
L’épidémie de Covid-19 qui sévit actuellement ne constitue pas seulement un risque pour la santé publique mais aussi un choc exogène récessif dont l’effet négatif sur la croissance de l’économie chinoise est à ce stade estimé à 0,7 points de PIB (S&P). Selon des prévisions du ministère des finances en date du 12 février, son impact négatif sur le PIB français serait supérieur à -0,1 point ; le développement de l’épidémie est cependant trop imprévisible et ses canaux de transmissions trop nombreux pour pouvoir finement quantifier a priori ses effets sur la croissance économique.
Obstacle à la production et à sa circulation, le virus met en tension les chaînes de valeur globales.
À court terme, l’affaiblissement de la demande, le sous-emploi des capacités de productions et les anticipations négatives des investisseurs provoqueront une baisse du rythme de la croissance par rapport à son niveau potentiel.
Au-delà de ces conséquences évidentes et immédiates, cette crise sanitaire pourrait avoir un effet plus pérenne sur la structure du commerce mondial. Elle intervient en effet dans un contexte de blocage du multilatéralisme tel que structuré par l’OMC, de tensions politiques marquées entre les États-Unis et la Chine et d’évolution de la structure de la demande dans les pays développés.
L’épidémie de Covid-19 souligne la segmentation de chaînes de valeur mondiales.
Le commerce mondial a pour cadre la division internationale des processus de production. 30% du commerce international, composé à 70% de produits manufacturés, a pour objet l’échange de composants qui seront assemblés par étapes en un produit fini.
Ce commerce est relativement concentré : la Chine, les États-Unis et l’Allemagne représentent 30% du commerce international en volume (OMC 2017). Les pays qui exportent le plus sont enfin ceux qui importent le plus, maillons essentiels de chaînes de valeur mondiales. A titre d’exemple, le contenu en valeur ajoutée étrangère des exportations françaises est de 30%.
La segmentation des chaînes de valeur traduit un haut degré de spécialisation géographique. La fabrication d’un produit donné requerra des proportions variables de capital et de travail à chacune de ses étapes. Certains territoires sont plus abondants en capital, d’autres en travail. Cela détermine le prix local du capital (taux d’intérêt) et du travail (salaires réels) et, par suite, la localisation des différentes étapes de production et la constitution de chaînes de valeur mondiales, selon le théorème HOS (1942).
Les étapes de fabrication d’un produit peuvent être représentées par la smiling curb (OCDE, 2018). Cette courbe en forme de sourire nous indique graphiquement que les activités à forte valeur ajoutée se situent en amont et en aval de la fabrication, au stade de la R&D d’une part, et de la vente accompagnée éventuellement de la fourniture de services d’autre part.
Le fractionnement du commerce international permet aux pays les plus dotés en capital de monter en gamme et de se concentrer sur les activités à forte valeur ajoutée. Il permet par ailleurs aux économies au travail bon marché de se développer par les investissements qui y sont procédés et par le progrès technique naissant de leurs activités industrielles.
La propagation du Covid-19 pourrait accélérer les évolutions structurelles du commerce mondial, tendant du fait d’évolution technologique à délocaliser certains services et à rapprocher certaines étapes du cycle de production industriel.
Le secteur des services est caractérisé par une concomitance de la production et de la consommation. Il semble particulièrement vulnérable au Covid-19 du fait de sa localisation géographique attachée au lieu de sa consommation. Concentrant l’essentiel des emplois dans les économies les plus avancées, sa localisation est un facteur de fragilité. Le progrès technologique permet de délocaliser certains services (par exemple les hotlines téléphoniques) et d’accroitre ainsi la concurrence et la redondance, offrant une résilience accrue en cas de choc localisé.
Une recomposition géographique des chaînes de valeur est à l’œuvre. Elle tient notamment à des facteurs endogènes.
La demande de renouvellement constant, de personnalisation des produits et de réduction des délais de livraison s’accommode mal de la production standardisée en grande série. Les salaires réels augmentent en Chine, et des coûts cachés liés au transport, aux malfaçons et à la coordination accroissent les coûts de production. Enfin, le progrès technique permet de robotiser certaines étapes de fabrication, substituant du capital au travail dans la fonction de production qui influe sur la localisation des maillons de ces chaînes globales.
En fonction du bien considéré, de ses caractéristiques et de la demande adressée, des incitations à rapprocher certaines étapes de production se font ainsi sentir et deviennent viables. La nécessité de diversifier l’exposition au risque sanitaire chinois pourrait accélérer ce mouvement.
Le virus renforce l’impératif de diversification des approvisionnements, par ailleurs à l’œuvre pour des raisons politiques, et rappelle la nécessité d’une juste évaluation du risque pays.
La recomposition des chaînes de valeur mondiales est accompagnée par l’évolution du cadre du libre-échange.
Le GATT, puis l’OMC, ont ouvert le commerce mondial en abaissant les barrières aux échanges au moyen de négociations internationales dont la dernière fut menée à bien en 1995 (Uruguay round). Le Doha round, initié en 2001, se solda par un accord à minima après 12 ans de négociations infructueuses, le paquet de Bali, surnommé Doha light.
En 2001 la Chine adhéra par ailleurs à l’OMC et devint l’acteur incontournable du commerce mondial que nous connaissons aujourd’hui.
L’OMC est enfin doté d’un organisme de règlement des différends, l’ORD, qui sera bientôt inopérant car le quorum de juges n’y sera plus atteint : les États-Unis, en bloquant la nomination de nouveaux juges, paralyseront cet organe.
L’Union européenne répond à cette crise du multilatéralisme par la multiplication d’accords bilatéraux, par exemple en février 2020 avec le Vietnam, pays à la main d’œuvre bon marché. Ce texte répond aux enjeux d’augmentation des salaires réels en Chine et aux impératifs de diversification des sources d’approvisionnement rappelés par la crise sanitaire en cours. Son effet sera amplifié par l’épidémie de Covid-19 dès son entrée en vigueur, attendue à l’été.
L’épidémie de Covid-19 souligne enfin l’importance de bonne évaluation du risque pays par les investisseurs.
La survenue d’épidémies de type coronaviral en Chine tient à des caractéristiques structurelles expliquant leur régularité (SRAS en 2002-2003, SDAS porcin à partir de 2015, Covid-19).
Il existe en Chine une population variée et nombreuse de chauves-souris, porteurs sains de nombreuses variétés de coronavirus. L’ARN (code source génétique) particulièrement long du virus permet de multiples recompositions au gré des contacts entre chauves-souris, incubateurs de d’autant de formes possibles de maladies.
Une plus grande observation et régulation de ces populations pourrait être pertinente.
Les marchés d’animaux vivants des campagnes chinoises ont favorisé la transmission des coronavirus. Les chauves-souris y contaminèrent des animaux comme le pangolin et la civette. La consommation humaine de leur viande a été le vecteur de transmission du coronavirus, comme du SRAS, à l’homme.
Les règles d’hygiène insuffisantes régnant sur ces marchés et encadrant l’abattage artisanal des animaux qui en proviennent appellent une réponse des pouvoirs publics chinois.
L’organisation des pouvoirs publics et du système de santé constituent une troisième faiblesse structurelle.
Comme le théorisait Amartya Sen (Development as freedom), les États non démocratiques sont structurellement inefficients en matière de transmission de l’information et de reddition de comptes. Les fonctionnaires y sont incités au silence et à l’inaction : la première réaction des autorités chinoises face à l’émergence d’une nouvelle forme de coronavirus fut d’intimider les médecins ayant lancé l’alerte puis de les contraindre à des dénégations publiques. Selon The Lancet[1], il s’écoula près d’1 mois avant que l’épidémie soit reconnue officiellement et le confinement de Wuhan instauré. Entretemps, 5 millions de personnes avaient quitté la ville et le virus avec eux.
Le système de santé chinois se caractérise par une forte pénurie de médecins généralistes, qui explique le succès d’applications de consultations dématérialisées comme Good Doctor. Les patients doivent s’auto-diagnostiquer, avant de s’orienter vers des hôpitaux de qualité très variable qui, bien que publics, vendent consultations et médicaments. Ce système retarde l’orientation des malades vers les services adaptés à leur pathologie, et constitue une évidente faiblesse structurelle dans la prise en charge d’épidémies de grande ampleur, à laquelle le recours médiatisé au service de santé des armées et les prodiges du BTP hospitalier n’apportent qu’une réponse conjoncturelle.
L’épidémie de Covid19 constitue à tous égards un black swan (Taleb, 2004) : un évènement imprévu, aux conséquences économiques internationales et pouvant faire l’objet d’une rationalisation a posteriori.
Révélateur de la structure du commerce mondial et de ses dynamiques actuelles, le Covid19 souligne une fois de plus que la puissance de mobilisation des régimes autoritaires ne peut compenser l’inertie de leurs bureaucraties inefficientes, dont la raison d’être n’est pas de faire circuler l’information mais de la contrôler étroitement et le cas échéant de l’étouffer. Il nous rappelle que la Chine est une dictature dirigiste. Or, l’information préside à la prise de décision et sa libre circulation fonde la supériorité structurelle du capitalisme libéral.
L’accueil, dans une mondialisation fondée sur la liberté de circulation, de pays non démocratiques comporte un coût économique, illustré par exemple par les pratiques anticoncurrentielles de la Chine. L’épidémie de Covid-19 nous apprend que leur système de gouvernance génère lui aussi des coûts pour l’ensemble des États, mondialisés ou non (l’Iran est touché par le virus). L’impact du virus sur les économies européennes permettra de quantifier ces coûts et de les intégrer au calcul qui a été fait lorsqu’en 2001 la Chine communiste fut admise à l’OMC.
[1] https://www.thelancet.com/journals/lanpub/article/PIIS2468-2667(20)30030-X/fulltext