Le marché international du spatial : frontières économiques, frontières géopolitiques – Partie 1
L’industrie du spatial est née il y a soixante ans. Son évolution a été très chaotique et suit autant la politique internationale que l’économie. Nous allons dans cette série d’éditos regarder quelle a été l’histoire de cette industrie de pointe pour mieux comprendre ses difficultés, ses fractures et son devenir. Un édito de Arthur Playe.
Aujourd’hui, 12 pays (dont 10 du G20) ainsi que L’Europe ont les moyens techniques d’envoyer des satellites dans l’espace. On les appelle les puissances spatiales. Cependant, ils ne sont pas les seuls à opérer des flottes de satellites. D’après les chiffres de l’Union of concerned Scientists (États-Unis)[1], 67 pays ont actuellement au moins un satellite qu’ils opèrent intégralement. Ainsi, ces derniers doivent comprendre et prendre part à l’économie du spatial. Nous allons commencer cette série d’éditos sur le spatial en débutant par le versant de l’économie. Comment ce monde à haute valeur ajoutée s’est transformé pour devenir actuellement, un enjeu économique majeur dans le monde ? L’industrie sous-jacente s’est-elle adaptée et prévoit-elle de futurs changements ? En quoi l’économie actuelle motivera l’accélération ou la décélération de l’investissement dans cette niche technologique ? Nous tenterons d’apporter quelques éléments pour en discuter.
1- Un enjeu commercial mondial
Le premier satellite, Spoutnik, a été lancé en 1957 par l’URSS, puis s’est désintégré en 1958. Son but était d’envoyer un signal pour être ensuite capté sur Terre. Cette prouesse technologique a montré la voie à six décennies d’évolution du monde du spatial.
Actuellement, plus de 2000 satellites dansent autour de nous, à des altitudes plus ou moins élevées, permettant pour la plupart de recueillir des données, de servir de relai, puis de les transmettre. D’abord pour des utilisations militaires, puis commerciales, gouvernementales et enfin civiles, il est intéressant de comprendre que l’économie est vite devenue le maitre mot des lancements.
Comme on peut le voir sur ce graphique, ces 20 dernières années, au moins un satellite sur deux est utilisé commercialement. L’histoire commence en 1964, année de naissance d’Intelsat, un consortium intergouvernemental associant 11 pays et ayant pour but de fournir des services de télécommunications internationales sur une base non discriminative. Le 6 avril 1965, Intelsat I est lancé, il pèse alors 34kg. Son rôle est de mettre en relation deux stations sol. Ce satellite a les capacités de transmettre presque instantanément, 240 liaisons téléphoniques. L’idée d’utiliser l’espace comme antenne relais est donc vieille et est prometteuse sachant que l’infrastructure sol requise est très faible (comparée aux câbles) et que la portée d’un satellite est incomparablement plus large qu’une antenne sol.
Aujourd’hui, on estime que plus de 3300 satellites seront lancés cette décennie ce qui représente 284 milliards de dollars, en hausse de 25% par rapport à la dernière décennie [6].
2- La transformation inévitable de l’industrie
Mais où sont donc construits ces satellites ? Si l’on regarde le groupe fermé des assembleurs de satellite (fin de la chaîne de production), on retrouve environ une vingtaine d’entreprises dont les 5 premières, en termes de marché, sont américaines et françaises (en 2006 : Lockheed Martin (4 G€), Northrop Grumman (2,6 G$), Boeing (2,1 G$), Thales Alenia Space (1,6 G$) et EADS Astrium Satellites (1,3 G$)).
Pour maintenir un flux de données important, et en raison des technologies de lancement, les constructeurs ont tout d’abord augmenté la taille et les capacités des satellites. Comme on peut le voir sur ce graphique, les satellites des 20 dernières années font en moyenne quelques tonnes. Cela implique évidemment une industrie de pointe du début à la fin. Imaginez le nombre de pièces qui sont assemblées. Toute cette économie ne se limite donc plus aux assembleurs mais aussi à tous les fournisseurs dans la chaîne de production.
Ainsi, en France, plus de 2 000 entreprises sont concernées par cette industrie, ce qui représente 50% de l’industrie spatiale européenne [4].
Vous remarquerez néanmoins facilement que depuis 4 ans, la masse moyenne des satellites a drastiquement diminué. Pour expliquer ce revirement, regardons économiquement et technologiquement ce qui a changé, tout en gardant en tête que l’industrie spatiale a 10 ans d’inertie.
3- Un marché en croissance et des technologies de rupture
2006, internet explose dans le monde, 17% de la population est connecté [2], en 2017, c’est 46% de la population mondiale qui a accès à internet. Cette augmentation forte des dernières années a cependant posé deux défis : connecter le plus de personne d’une part, et connecter à bas coût pour permettre l’explosion du marché dans les pays émergents d’autre part. Ainsi, est née la constellation de satellite.
L’idée n’est pourtant pas nouvelle, déjà en 1991, la constellation téléphonique Iridium faisait son entrée internationale mais l’entreprise fit faillite. En 2015, l’activité a repris et est maintenant excédentaire. De plus, de nouveaux acteurs se sont rajoutés dans la course : Oneweb (Angleterre), Space X (États-Unis), Beidou (Chine) etc. parce que le marché est très demandeur de ces solutions pour relier le particulier à internet.
La constellation de satellite permet en effet de proposer à faible coût un réseau mondial 24/7. Cependant, les assembleurs historiques n’avaient pour le moment jamais imaginé construire deux satellites par jour, eux qui en général en construisent deux par an. Les lignes de production sont entrain d’évoluer mais les difficultés sont multiples : retravailler les réseaux logistiques, qualifier la main d’œuvre, restructurer les lignes de production.
Oneweb, entreprise créée en 2014 et qui a levé plus de trois milliards de dollars en a fait les frais. La compagnie anglaise vient tout juste de baisser le rideau par manque de liquidités. Trouver un compromis entre le marché florissant, la concurrence internationale, le coût des projets spatiaux et leur inertie, telle est la barrière qui existe aujourd’hui pour ces entreprises.
Technologiquement, de nouvelles plateformes sont apparues en réponse à cette problématique. En 2003 est né le premier cubesat (plateforme satellite dénommée par son nombre d’unités de 10 cm3). Ces supports ont la particularité d’être totalement modulaires. Une unité pour la propulsion, l’autre pour le traitement et un dernier pour la communication par exemple, est un cubesat de 3U (trois unités).
L’avantage énorme de ces structures provient de leur rapidité d’assemblage et de leur masse finale. Ils sont donc peu cher à produire et à lancer. Technologiquement, de nombreux laboratoires, institutions scolaires et entreprises parient sur cette formule. Ainsi le marché des satellites de plusieurs tonnes est entrain ainsi progressivement de se tourner vers les satellites de quelques kilos.
Aujourd’hui, plus de 180 constellations de satellites [5] sont à l’étude, ces projets sont menés soit par des grands noms tels que Amazon, soit par des startups qui cherchent des investissements importants (plusieurs millions d’euros). Le marché accélère, mais seules quelques constellations verront le jour, les autres seront écrasées.
Ainsi, depuis 1957, le marché du spatial a connu plusieurs bouleversements technologiques, commerciaux et financiers. Aujourd’hui en totale fracture, le marché oblige les industriels historiques à se réorganiser pour travailler avec les structures innovantes qui veulent elles aussi avoir une part du gâteau. Une frontière économique se dessine dans l’histoire et la géographie internationale et est aujourd’hui très nette. Dans notre prochain édito, nous partirons sur le versant de la géopolitique qui, comme nous le verrons, a une place très importante dans ce domaine de haute technologie.
Source :
[1] Union of concerned Scientists – Satellite Database Updated Dec 16, 2019 - https://www.ucsusa.org/resources/satellite-database
[2] Union internationale des télécommunications, Rapport et Base de données sur le développement des télécommunications/TIC dans le monde, 2018
[3] Analyst Days de Pascale Sourisse President & CEO de Thales Aliéna Space, 16 Novembre 2007
[4] Rapport annuel 2018/2019 du GIFAS, 2019
[5] Liste des constellations de satellite, https://www.newspace.im/, 2019
[6] Euroconsult, SATELLITES TO BE BUILT & LAUNCHED BY 2028, 2018