Le SCAF, pion dans la guerre numérique de demain
Le SCAF est l’avion de combat de sixième génération que l’Occident veut développer. Il devra être pertinent pour la guerre de demain et capable de s’adapter dans un contexte social difficile. En regardant les anciennes coopérations européennes, comment se compare ce prochain fleuron de l’industrie et quelles seront ses capacités ?
Le SCAF
Le SCAF est un projet d’avion de combat futuriste. Dans le terme « futur » il faut comprendre que cet appareil, ou plus communément, ce système, utilisera non seulement les technologies de guerre du XXème siècle mais sera apte à se battre dans un environnement multimodal du XXIème siècle, en particulier sur le plan digital. Lancé en 2012 avec l’injection par la France et le Royaume-Uni (alors encore présent dans l’UE) de treize millions d’euros, ce projet a pour but, après de nombreuses phases de prototypages, tests et industrialisation, de remplacer les différents avions de combat des pays occidentaux.
Par ailleurs, ce projet s’inscrit dans un programme plus vaste encore de développement d’une armée moderne grâce à la mise en place du MGCS pour Main Ground Combat System, le pendant terrestre du SCAF. Enfin, et nous reviendrons dessus en détail plus tard, ces différents systèmes se veulent être hyper-connectés, en particulier avec l’humain qui reste maitre de la situation. Le sigle pour désigner ces systèmes est HMI (Human-Machine Interface) ; la France, de son côté, souhaite rayonner par l’intermédiaire du programme Centurion[2], qui a pour but de renouveler la façon de concevoir l’infanterie. Il est en particulier géré par l’AID (Agence Innovation Défense), le fer de lance de l’innovation dans l’armée.
Comme nous l’avons dit, l’Angleterre a voulu, conjointement avec la France, mettre en place l’avion de demain. Manque de chance, le programme a été annulé pour diverses raisons et c’est l’Allemagne qui a alors signé avec la France pour continuer le chemin. Bien que le projet ait toujours été ouvert aux autres pays, l’avis des deux fondateurs divergeait quant à l’attribution rapide des responsabilités. En 2019, l’Espagne a officiellement demandé son rapprochement au projet et a été admis avant même de commencer le développement de prototypes avancés. On en est-on maintenant ? Depuis quelques temps, le SCAF a été segmenté en plusieurs technologies critiques, sept pour être précis. Voyons lesquels.
- Tout d’abord l’avion en tant que tel, surnommé le NGF (New Generation Fighter).
- Puis la partie moteur.
- L’ensemble des effecteurs et la connectivité regroupés sous le nom de : Remote Carriers.
- L’intégration du système dans un cloud de combat.
- Le pilier regroupant tous les capteurs.
- Et enfin la furtivité.
De tous ces piliers deux sortent plus particulièrement du lot : la connectivité et le cloud de combat. Validés dans le cahier des charges, ces deux points constituent une très nette adaptation au monde de demain à laquelle les appareils n’ont actuellement pas accès. Débutée dans l’espace et dans des racks de serveurs, la guerre connectée existe depuis le début d’internet mais prend toute son sens actuellement. La donnée est une ressource qui vaut parfois plus chère que l’humain ou le phénomène qu’elle représente et c’est dans un but de protection que ces futures armes devront – aussi – sévir sur ce terrain virtuel.
Voici actuellement l’état des armées européennes :
Le SCAF servirait donc à remplacer une partie des avions de chasse de l’Allemagne, de la France et de l’Espagne. Au total, environ 300 exemplaires devraient être achetés (à comparer avec les 212 rafales vendus depuis 2002) en ne prenant en compte que les pays fondateurs.
Défi géopolitique
Néanmoins, bien que le Rafale soit de construction 100% française, le programme débuté à la fin des années 70 voulait lui aussi être multinational. Les différents points de vue de l’époque ont stoppé net les discussions et au terme de 45 milliards d’euros d’investissements uniquement français, notre Rafale est né. Si l’on regarde la voie qu’ont suivie les autres pays nous remarquons que l’Allemagne, l’Angleterre et l’Espagne avaient alors opté pour des Panavia Tornado et des Eurofighters, deux avions qui sont nés d’un partenariat entre ces puissances en parallèle du rafale. Aujourd’hui, un nouveau face à face se dessine car l’Angleterre, sortie de l’ambitieux projet SCAF, souhaite maintenant financer avec l’Italie et la Suède leur propre projet : le Tempest. Ces avions de sixième génération feront leurs premières armes ensembles, accompagnés de leur pendant américain, russe, chinois, japonais et indien.
Revenons rapidement sur l’état des actions menées par chaque pays faisant partie du programme SCAF. Bien que l’Allemagne et la France aient beaucoup avancé ces dernières années, les problématiques du retour géographique et de la propriété intellectuelle enveniment actuellement l’avancée du projet. Si l’on regarde les piliers et l’attribution industrielle de ces derniers (chef de file – aidant) :
- NGF (New generation fighter) → Dassault – Airbus Defence & Space (ADS)
- Moteur → Safran – MTU
- Remote Carriers → ADS – MBDA
- Cloud de Combat → ADS – Thales
- Capteurs → INDRA – Thales
- Furtivité → personne n’a encore été désigné,
On remarque qu’Airbus est présent sur quasiment tous les fronts. En effet, l’entreprise a de très nombreuses usines en France, mais aussi en Allemagne et en Espagne (production de l’A400M) en particulier. Malgré cette connaissance technique et globale, le groupe français vient de critiquer la décision récente prise par le projet impliquant l’INDRA comme maitre d’œuvre du pilier capteur. L’INDRA, deuxième entreprise européenne sur certains marchés d’électronique, a en effet été choisi par le gouvernement espagnol au lieu d’Airbus. L’entreprise française, une des entreprises employant le plus de personnes en Espagne, dénonce le fait qu’elle seule à la connaissance la plus pertinente en pensant le SCAF comme un système, c’est-à-dire qu’Airbus est le seul à avoir la vision d’ensemble et donc la capacité à comprendre les difficultés et les objectifs du projet. Cette nouvelle a ébranlé sur le front sud le projet SCAF.
Sur le front est, les parlementaires allemands souhaitent que Safran et MTU soient paritaires dans les décisions au lieu d’avoir un binôme maitre d’œuvre / aidant. Dans ces deux cas, et il est possible que de nombreux autres éclatent, le projet prend du retard et se normalise au lieu de se spécialiser. Face à ses concurrents, cette crise interne aura forcément des conséquences sur la vente de l’avion à l’étranger et donc, sur sa rentabilité. Le coût actuel estimé du projet est de cent milliards d’euros (45 milliards pour le Rafale, 70 milliards pour le Typhoon).
Il est évident que proposer un projet à de nombreux partenaires est un projet risqué, rappelons-nous que le Concorde en a énormément souffert rien que pour homogénéiser la métrique entre les deux pays. Dans le cas du Typhoon, le projet aura pris sept années de retard par rapport au Rafale et aura couté entre 60% et 200% plus cher.
Si l’on regarde maintenant le compétiteur du SCAF, le Tempest, nous sommes certains qu’il n’y aura pas de place pour les deux programmes. Du côté britannique, le projet est aussi difficile à avancer d’une part compte tenu du faible budget qui a pour le moment été alloué depuis dix ans (deux milliards de livres), et d’autre part à cause du positionnement stratégico-économique du produit. En effet, si le Tempest voit un jour l’aube, il est certain que l’Italie et la Suède ne commanderont pas suffisamment d’unités pour que le programme soit rentabilisé. D’autre part, le programme agressif américain (Next Generation Air Dominance (NGAD)), se vendra sûrement beaucoup plus dans le monde et prendra une part de marché conséquente. Pourtant, post-Brexit, ce projet est un atout non négligeable pour le Royaume-Uni qui cherche des partenaires stratégiques occidentaux.
Enfin, par rapport aux avions de chasse de cinquième génération on peut se demander quelles seront les évolutions indiscutables qui obligent les grandes puissances à mettre en place des projets titanesques. Si l’on prend le F-22 ou le F-35 américain, ces deux avions ont réussi à garder des partenaires européens et mondiaux sachant que l’investissement de base américain a été au moins dix fois supérieur à celui des projets occidentaux. Il vient que ces avions sont toujours vendus et mis à niveau grâce à une grande capacité d’innovation. En se réinventant, le système a pu mettre au gout du jour ses équipements pour préparer la transition vers leur prochaine plateforme.
Changer de génération ou évoluer pour tenir compte des nouvelles technologies ? Ici nous avons deux points de vue non contradictoires car ils cernent deux temporalités. Au XXIème siècle, les avions de combat devront évoluer et voici les défis qu’ils devront relever.
Défi technologique et social
Le SCAF devrait décoller pour la première fois en 2040, pour supposons-le, 30 ans. Il faut donc s’imaginer ce que sera la guerre de demain qui n’aura rien à voir avec la guerre d’aujourd’hui. Dans 40 ans, comme nous l’avons vu dans le précédent édito, nous devrions croiser la huitième génération technologique, soit, un déploiement instantané de l’internet partout dans le monde. Ainsi, tout sera connecté et n’importe qui aura accès à n’importe quoi où qu’il se trouve. Ce sont donc neuf milliards d’êtres humains et des milliards de jumeaux numériques qu’il faudra virtuellement protéger. Les anthropologues prévoient que plus de 75% de la population sera concentrée dans les villes, des cibles de choix dans un réseau qui sera d’une complexité immense. De plus, si le réchauffement climatique continue son avancée, il y aura des millions (en France) de déportés de zones à risques vers des zones sûres. Au niveau mondial, ce sont des milliards de personnes qui se déplaceront car leur habitat deviendra hostile. Tous ces flux seront évidemment la cour de jeu des grandes puissances et les guerres technologiques battront leur plein.
Le SCAF s’inscrira dans cette multitude d’échanges qui couvriront le monde et devra donc lui-même se positionner en tant que pion sur cet échiquier. Ainsi, un tout nouveau paradigme sera mis en place : hier, le soldat était vu tout d’abord comme un humain, demain, il sera utilisé en tant que système. Ce point de vue n’a pas pour but d’être alarmiste mais de montrer qu’une adaptation radicale des forces armées de défense est indispensable pour rester souverain. Un double défi technologique et social rentre en compte dans nos industries.
En reprenant à nouveau les piliers du SCAF, la partie « classique » ne va pas radicalement changer bien que les nouvelles technologies - nanostructure, revêtement et communication - peuvent être mises dès à présent en place. Cependant, et c’est le point capital, le SCAF va être pourvu d’un nombre hallucinant de capteurs et d’effecteurs qui le placeront dans un maillage réseau. Dans les premières phases du projet, les parties ont réfléchi à la possibilité d’avoir une version du SCAF sans pilote, un drone. Mais cette idée a vite été mise sur le banc de touche à cause des législations et pour des raisons de sécurité. Cependant, l’idée du maillage réseau est incontournable.
L’avion, en tant que tel, devra être multifonction comme son homologue actuel. Il sera aussi doué pour les missions de reconnaissance, que pour les combats aériens, terrestres, maritimes et potentiellement spatiaux. Pour ce faire, il ne sera pas seul. Le but des différentes armées est d’utiliser le plein potentiel de l’entièreté de la force. Pour m’exprimer autrement, la Défense liera les avions aux soldats, aux satellites, aux hélicoptères, aux chars etc par des liens virtuels communicants.
Là est tout le défi technologique : faire en sorte que chaque entité fasse partie de la totalité et apporte son grain d’information. En ce moment, la DGA recrute énormément de data analyst en particulier pour satisfaire un manque quant à ces technologies de l’information. Galileo a été lancé pour que l’Europe soit maître de ses données. La Russie souhaite se séparer de l’internet occidental pour être maitre de ses données etc.
Enfin, et ne l’oublions pas, la question de la donnée, le jumeau numérique de tout individu, celle que la nouvelle flotte protégera, est intimement liée à l’éthique et de nombreux pays font des pas considérables sans prendre en compte cet aspect essentiel. La France a par exemple affirmé que le soldat augmenté de demain ne sera pas un soldat augmenté de l’intérieur, à l’instar d’autres pays.
Nous avons vu que le SCAF est un projet très ambitieux autant technologiquement, qu’économiquement. Ainsi, il doit à la fois réfléchir à la guerre de demain, être en accord avec des parties souvent en désaccord, et faire face aux projets concurrents qui ont parfois davantage de soutien. Cependant, la France a la chance de pouvoir compter sur des entreprises capables et innovantes. Espérons que les parlementaires s’accordent sur des termes justes pour vite mettre en place cette armée de demain qui sera indispensable. Einstein ne savait pas comment allait être la troisième guerre mondiale, mais il savait que la quatrième se ferait à coup de bâtons et de silex. Cependant, les prochaines guerres (et les actuelles) seront virtuelles et ayant des impacts non visibles.
Bibliographie :
[1] R. LE GLEUT, H. CONWAY-MOURET, Rapport d’information, 15 juillet 2020
[2] Projet Centurion, https://centurion-combattant.fr/