Les batteries, une course perdue d’avance ?
Lorsque 69% du cobalt sont extraits en RDC et que la majorité du lithium est transformée en Chine, il est important de garder de bonnes relations pour fabriquer des batteries. De plus, avec le déclin progressif des technologies fossiles, les constructeurs automobiles se tournent lentement vers une alternative qui oblige un redimensionnement des capacités de production de ces unités de stockage d’énergie, et donc, créer une course à un marché émergeant.
En 1745, Alessandro Volta invente la pile électrique et n’imagine pas que son invention révolutionnerait nos comportements, nos modes de vie et notre interaction avec la nature. Pour faire simple, une pile chimique est l’assemblage d’une solution aqueuse et de plusieurs métaux. Ces derniers sont choisis de telle sorte que la pile ait des caractéristiques voulues : une meilleure tension, une durée de vie allongée etc. Aujourd’hui, les batteries chimiques sont composées d’une multitude de piles (une Tesla Model 3 par exemple est composée de 4 à 10 000 piles) et répondent à un besoin exceptionnel, décuplé par le développement de l’électronique et l’utilisation de nos technologies n’importe où et tout le temps. En 2019, un rapport publié par GSMA Intelligence développait que plus de huit milliards de téléphones portables étaient en circulation[1]. À ce chiffre titanesque, nous pouvons rajouter tout appareil qui est alimenté chimiquement : les télécommandes, les ordinateurs, les montres, les drones, les enceintes etc. Demain, il faudra en plus produire des batteries pour les voitures, les camions et même les avions. Comment le marché des batteries évolue-t-il et quels en sont les enjeux ?
Un besoin grandissant
Il existe de très nombreux types de piles et nous allons ici nous limiter aux batteries lithium-ion (Li-ion). Ces piles ont été commercialisées dans les années 90 et ont depuis envahi le marché. Les matériaux pour les produire sont évidemment le lithium et le cobalt, tous deux très rares. Elles ont de nombreux atouts : elles possèdent une forte densité énergétique (environ 150Wh/kg) - c’est-à-dire qu’il est possible de tirer plus d’énergie pour une masse plus faible -, elles n’ont pas besoin de beaucoup de maintenance et elles ne se déchargent pas trop vite toute seule. Néanmoins, ces piles ont l’habitude de beaucoup chauffer ce qui peut entrainer de graves accidents comme le crash du Boeing 747 de UPS Airlines en 2010.
Dans le cas de l’électronique (un smartphone par exemple), la masse de pile est faible et n’oblige pas les constructeurs à utiliser des batteries d’excellente qualité. Dans le cas des voitures, toutes les piles ne se valent pas : Benchmark Mineral Intelligence a ainsi réparti les producteurs de batteries en trois classes. Tesla (Américain - 2003), Panasonic (Japon - 1918), Samsung (Corée du Sud - 1938) et LG Chem (Corée du Sud - 1947) sont les seuls industriels de première classe, donc les seuls fournisseurs actuels de batterie à destination des voitures électriques[2]. Dans le deuxième tiers, on retrouve trois entreprises chinoises, une coréenne et une japonaise. Produire des piles devient si intéressant que Total, en 2016, avait racheté Saft (français).
Vous l’aurez compris, une guerre économique fait rage dans le but de conquérir le marché des véhicules électriques dont le cinquième du prix correspond à sa batterie. Si l’on regarde le graphique suivant, on remarque que la Chine est le premier marché mondial de voitures électriques suivis par l’Europe puis les États-Unis[3].
La progression des ventes est très importante et la vitesse accélère. Les consommateurs chinois espèrent ainsi améliorer leur santé en réduisant les importants rejets de particules et se basent sur une industrie nationale mature. Le gouvernement, parallèlement, impose un quota de vente thermique/hybride-électrique à hauteur de 14% (+2%/an). En Europe, les directives de réduction des émissions aident les consommateurs à convertir leur voiture thermique en voiture électrique.
Dernièrement, les constructeurs comme Tesla ont saisi leur chance de s’affranchir de l’achat des batteries en les fabricant directement dans leurs usines, aussi appelées Gigafactory, en affichant un partenariat avec Panasonic.
Une compétition mondiale avec différentes stratégies
Vous devez surement en faire l’expérience tous les jours, la batterie de votre téléphone portable se décharge de plus en plus vite avec le temps. Un des enjeux de recherche est de trouver des matériaux qui permettent d’augmenter le nombre de cycles charge-décharge qu’une batterie peut supporter dans sa vie. Par exemple, l’université de Dalhousie (Canada) est spécialisée dans ce domaine et cumule plus d’une centaine de publications scientifiques. Il n’est pas surprenant de voir Tesla tourner autour de ces laboratoires, souhaitant développer des batteries qui pourront résister à plus d’un million de kilomètres. Enfin, cette compétition commerciale se transforme aussi bien évidemment en compétition technologique et la Chine n’en démord pas avec ses multiples partenariats avec cette même université.
Mais avant de revenir sur la production et de voir comment la France espère tirer son épingle du jeu, travaillons en amont, au niveau des matières premières. D’après Roskill[4], les deux métaux principaux qui interviennent dans la fabrication des piles sont le cobalt et le lithium. Or, en regardant dans quels pays se situent les gisements et où sont transformés ces métaux, on s’aperçoit que le marché est soit un monopole, soit un duopole. Pour le cobalt, la République Démocratique du Congo extrait 69% du minerai mondial et 62% sont traités par la Chine (États-Unis <1%). Pour le lithium, l’Australie et le Chili produisent 73% du minerai et 51% sont traités par la Chine (États-Unis 7%)[5]. Ces nombres sont tout à fait inquiétant et demandent une réflexion plus approfondie sur les difficultés d’approvisionnement certain que les industriels peuvent redouter et sur la qualité de la production dont ils n’ont pas la direction. Une piste sera ouverte en fin d’édito.
Après avoir vu que ce maillon était faible, penchons-nous sur la production à proprement parlé des batteries de voitures électriques. En 2018, une quarantaine d’usines étaient recensées pour une production totale de 300 GWh[2]. En comparaison, la Gigafactory de Tesla au Nevada produit 20GWh. Cependant, les besoins colossaux des prochaines décennies obligent les pays à construire davantage de ces superstructures. En 2028, les usines devront produire plus de 1 500GWh de batteries soit l’équivalent de vingt-deux millions de voitures par an. L’enjeu est de taille et la France veut pouvoir être autonome pour qualifier et surveiller ses technologies. Ainsi, Total et PSA viennent d’annoncer un partenariat stratégique en créant une nouvelle entreprise française qui produira, à terme, 48 GWh de batteries dans son usine. De même, de nouveaux acteurs existent comme Verkor, une startup tricolore, qui s’est engagée à construire une usine de même taille.
Comme nous l’avons vu dans un précédant édito, l’hydrogène mettra beaucoup de temps à devenir mature, alors que l’électrique est déjà présent partout sur le territoire. Les batteries lithium-ion sont indispensables à ce développement mais de nombreuses autres technologies sont aussi à même de répondre aux besoins des prochaines années. Néanmoins, la plupart utilisent des matériaux rares dont nous avons vu que l’extraction est contraignante. Il faut donc trouver de nouvelles solutions.
Un cycle qui passe par le recyclage
Depuis 2014, la SNAM et le CEA ont lié un partenariat dans le but de récupérer tous les métaux stratégiques. Concernant les batteries, la spécification européenne oblige un recyclage à hauteur de 50% de toutes les batteries de véhicules électriques. Par ailleurs, les entreprises telles que Toyota ou d’autres constructeurs, ont choisi la SNAM pour collecter les batteries en fin de vie. Eric Nottez, son président, commente que le volume récupéré augmente de 40 à 50% par an et les techniques d’extraction permettent d’atteindre les 75% de recyclage.
Cette activité qui était non fiable auparavant arrive aujourd’hui à être rentable dans la revente et le raffinage de ces métaux précieux. En 2019, 15 000 tonnes de batteries sont à recycler mais ce sont près de 700 000 tonnes qu’il faudra accueillir en 2035 en France.
Lorsque l’on compare les usages mondiaux du lithium entre 2008 et 2018, les batteries sont devenues prédominantes, passant de 20% à 58%[6]. On comprend alors pourquoi le recyclage est un élément important de la chaîne de valeur. Enfin, ne pas perdre ces métaux constitue un maillon fort dans l’approvisionnement de nos entreprises dans les prochaines décennies et un atout géopolitique majeur.
Nous ne pouvons plus nous passer de l’immédiat et nous commençons déjà à mettre au placard les énergies fossiles ; dans combien d’années ne pourrons-nous plus circuler en ville sans une voiture propre ? Partant de ce constat, les batteries ont un bel avenir et tant que d’autres technologies n’auront pas autant de succès que les Li-ion, ces dernières seront potentiellement les moteurs d’une révolution des transports. Cependant, méfions-nous qu’elles n’explosent pas à cause de leur piètre qualité et donnons-nous l’autonomie nécessaire pour résoudre nos défis de demain.
Bibliographie :
[1] GSMA, The Mobile Economy 2020, 2020, https://www.gsma.com/mobileeconomy/wp-content/uploads/2020/03/GSMA_MobileEconomy2020_Global.pdf
[2] Benchmark Mineral Intelligence, The three tiers of battery megafactories, 13 septembre 2019, https://www.benchmarkminerals.com/the-three-tiers-of-battery-megafactories/#:~:text=Tier%201%3A%20Qualified%20to%20supply,track%20record%20of%20cell%20production
[3] IEA, Global EV Outlook 2019, mai 2019, https://www.iea.org/reports/global-ev-outlook-2019
[4] Roskill, Lithium-ion Batteries Market Development & Raw Materials 2018, 2018
[5] Benchmark Mineral Intelligence, Cobalt Raw Material Supply in 2018, Cobalt Chemical Supply in 2018, Lithium Raw Materia, Lithium Chemical Supply, 2018
[6] Infinity Lithium, 2019