Les jeunes en France
Les jeunes sont ici caractérisés comme les ‘ moins de 20 ans ‘. Le premier réflexe à leur propos est de considérer que l’éternel retour s’impose, que s’il y a forcément des modes qui les traversent, des comportements de ‘culture jeune’ qui valent signes éphémères de reconnaissance, les invariants dominent de toute leur puissance rassurante et d’abord ceux de l’école où les enfants et les adolescents passent une large part de leur fraiche existence.
Au sommet, continue de tourner la fabrique des élites dont l’antichambre est la crème des grands lycées républicains aux noms qui fleurent bon la monarchie (Louis le grand, Henri IV, st Louis..) et des écoles chics (Alsacienne, ‘Stan’, ‘Ginette’) pour ouvrir les portes des enceintes sacrées soit, outre Sciences Po Paris, l’X, Centrale, l’ENS, HEC, l’ ESSEC et l’ENA . Puis il y a, comme jadis, les écoles encore prestigieuses mais plus spécialisées, de st Cyr aux Beaux-arts, les facs de médecine et de droit, les ‘bonnes’ écoles d’ingénieurs … Ensuite les formations professionnelles supérieures toujours plus denses et prisées des couches moyennes, puis les filières ouvertes à la masse des enfants de milieu modeste : premiers cycles d’universités anonymes, enfin les lycées pro, les CFA … On peut ainsi vérifier la permanence des topos de Pierre Bourdieu : les héritiers, le capital culturel, la prime à l’habitus, le délit d’initié éducatif ou dénicher, si l’on veut, le destin ‘non statistique‘, du au seul mérite, comme les aimait Raymond Boudon. Bref tout change pour que rien ne change et que jeunesse se passe.
Bien entendu c’est là une profonde illusion car s’il est vrai que les rejetons des couches les plus favorisées et, opéré presque uniquement en leur sein, le renouvellement des couches supérieures de la Nation sont en ligne avec le passé, le substrat de la société est quant à lui travaillé de vraies mutations dont certaines tout à fait neuves.
La base démographique
Les jeunes ne sont pas très nombreux et leur pression est faible sur le corps social : à peine 24 % de moins de 20 ans font face à 21 % de plus de 65 ans qui ont la dynamique pour eux et un droit de vote dont ils usent de facto plus largement que les générations d’âge actif. Pour aggraver ce handicap, alors que les générations de 10 à 16 ans sont encore assez denses (780 à 800 000 par an), les plus petits enfants sont en chute libre (675 000 naissances en 2019 et recul encore pire en cours avec l’année Covid). Il est clair que la voix des jeunes aura donc plus de mal que jamais à se faire entendre dans les années à venir. L’évolution démographique a d’ores et déjà programmé cet état de fait durable.
Autre point crucial, la part des enfants dont les parents sont d’origine étrangère. En 2010, 15 % des nouveaux nés avaient leurs deux parents venus de l’étranger et 12 % un seul (total 27 %) et en 2019 c’était respectivement 15 et 17 % soit un total de 32 %. Autrement dit si un quart des ados sont enfants d’immigrés, c’est le cas d’un tiers des plus petits enfants. La question de l’assimilation et de l’intégration a donc un bel avenir devant elle et aura un impact politique inévitablement croissant. Le point de vue des jeunes sur ces problèmes risque fort d’être en net décalage avec celui des adultes et en particulier des plus âgés. On le constate déjà : quand les adultes les plus murs sont arque boutés sur la laïcité à la française et la mémoire nationale, la jeunesse adhère spontanément à une multi culturalité de type américain, c’est à dire à un retour du religieux, à la tolérance envers le repli communautaire, ainsi qu’à une culture largement matinée d’africanismes ( *).
(*) Sur les 100 prénoms les plus donnés en France aux nouveaux nés en 2019, huit sont typés juifs et huit autres typés musulmans. En 1990, aucun de ces prénoms ne figurait dans le Top hundred. On voit bien ainsi que ce n’est pas le fait de quelques fanatiques mais révèle une évolution de fond. A noter du reste que les prénoms typés catho sont eux en chute libre …
Le troisième point, tout aussi important, est le statut des familles. D’abord la taille. La famille de 3 enfants est assez rare (16 % des cas en général, 20 % chez les immigrés) et plus encore celle de 4 ou plus (5 %, 9 % chez les immigrés). Les enfants sont donc le plus souvent élevés seuls ou à deux, ce qui prédispose à un certain confort et au gonflement de leur ego. Cependant la monoparentalité a doublé depuis 1990 et, de ce fait, une famille sur cinq repose sur un seul parent qui, dans un tiers des cas, se situe lui-même au-dessous du seuil administratif de pauvreté. Cela signifie que 7 % des enfants sont élevés par un parent, en général la mère, à la fois isolée et misérable. Ajoutons que 10 % des familles sont dites ‘ recomposées ‘, avec un beau parent diversement accepté. En résumé, le cocon des petites fratries est certes une réalité dominante mais à tempérer par la fréquence inédite de l’instabilité des familles qui concerne un bon tiers des jeunes.
Où va l’école ?
Elle n’a plus la fonction stratégique du passé pour de nombreuses raisons dont les plus évidentes tiennent à l’évolution de sa place dans la préparation à la vie adulte et à celle de son positionnement dans l’acculturation des individus.
Le mythe de l’instituteur de la IIIème République reposait sur une centralité bien réelle en son temps. Le hussard noir avait, en effet, une triple mission assignée alors, en toute logique, par l’État : souder l’unité nationale (encore fragile à tous points de vue ), donner une éducation complète (le travail démarrait vers 14 ans et c’était fini de s’ instruire, pour la vie), éveiller et distraire enfin faute d’autres médiateurs culturels (hormis les fêtes de village et quelques journaux, il n’ y avait RIEN, ni radio, ni télé, ni salles de spectacles, juste le curé ‘ homme du passé ‘ et ses propres animations).
Pour les générations d’après-guerre, l’éducation délaissait déjà le primaire qui se féminisa à toute allure, et la grande affaire fut désormais la généralisation du secondaire. C’était aussi le temps d’un point de bascule, celui du passage de la culture par d’autres canaux en pleine croissance, autant, voire plus, que par l’école : le transistor et le tourne-disque défiaient le tableau noir et la chorale puis la télévision haussa la mise …
Après 1990 et jusqu‘à aujourd‘hui, la donne change de nouveau pour les jeunes. Le secondaire s’est à son tour banalisé et affaissé, le bac a tout d’une simple formalité ; la culture est, de façon toujours plus écrasante avec les TIC, une matière non scolaire. L’enjeu majeur est cette fois le supérieur et la formation professionnelle, initiale et continue, l’entrée dans la vie active étant en général repoussée à un âge avancé, vers dix-huit à vingt ans et souvent plus.
Dans ce contexte le collège et même le lycée sont voués à une sorte de ‘ primaire prolongé ‘, informe et peu exigeant, oscillant du gardiennage à l’animation socio-culturelle. Bien entendu, les familles aisées et / ou cultivées jouent de stratégies immobilières (*) pour que leur progéniture échappe à ce nivellement par le bas et fassent leurs ‘humanités‘ dans les 5 à 10 % d’établissements encore’ sérieux’.
(*) Un facteur non négligeable de l’explosion des prix du logement dans les ‘bons‘ quartiers des ‘bonnes‘ villes. On investit en fin de compte dans la pierre (urbaine) non pas tant pour soi mais pour assurer la carrière de ses enfants.
Pour les autres, les années d’adolescence sont celle du tri dans la masse (entre 60 et 70 % des jeunes) pour trois types de destins de toute façon peu enviables, des assignations en douce et pourtant violentes car guère révocables par la suite : le fond de cuve (petits jobs et chômage) (*) , les emplois de base, la petite classe moyenne. Les plus rebelles résistent par la délinquance ou le rêve de destins d’exception dans le sport ou le spectacle.
(*) selon une étude du ministère du Travail de 2020, un jeune de 16 à 25 ans sur dix n’était en 2019 ni en études, ni en formation professionnelle, ni au travail et cela, pour la moitié d’entre eux (soit un jeune sur 20), depuis plus d’un an.
Quant aux 30 à 40 % de rescapés du secondaire, ‘tout‘ se joue en fait pour eux dans les deux ans qui suivent le bac, depuis les ‘stars ‘qui réussissent les grands concours post-prépas et ont ainsi ‘gagné au loto‘ pour la vie, jusqu’ ‘à ceux qui se perdent dans des filières obscures, sans valeur et sans débouchés, avec naturellement toute la gamme intermédiaire. Dans ce monde-là, celui des ‘diplômés‘, s’installe une stricte hiérarchie. L’endogamie est de rigueur, pas dans le vaste ensemble des 30 à 40 % qui ne veut pas dire grand-chose, mais par strates bien plus fines, assortie d’une cascade de mépris dont la férocité repose sur un implicite aussi discret qu’implacable. Ceux et celles qui donnent le ton, dès la vie étudiante, sont les 5 à 10 % d’‘everywhere‘, bac + 5 et au-delà, parfaits anglophones, multi-diplômés, gavés de séjours à l’étranger et à l’aise ‘ partout ‘, terreau des futurs 3 à 4 millions de français de l’étranger dont peu reviendront, devenus phobiques des piteux ‘some where‘ de la néo Gaule .
Premier bilan d’amertume
Pour un jeune ‘moyen‘ qui approche de sa vingtième année, on comprend, ne serait-ce qu’au travers des données de base évoquées ci-dessus, que le spleen menace si ce n’est le désespoir, avec l’impression globale d’avoir été floué et de ne pas pouvoir trouver une juste place. La raison profonde de ce sentiment fréquent de déception et d’abandon est assez simple : elle résulte de l’écart abyssal entre un discours lénifiant du monde éducatif confortant une pratique hyper protectrice, souvent laxiste ou lassée, des parents et l’irruption soudaine, sans filtre, d’une ‘réalité’ jusque-là soigneusement éludée. Au cocon familial, aux notes de complaisance, au charivari scolaire, aux loisirs sans fin et gratuits, succède presque du jour au lendemain, l’emploi rare, précaire et mal payé (ah, la vraie valeur de leurs modestes diplômes, proche de zéro …), le budget étriqué, la brutalité des employeurs et des supérieurs hiérarchiques, bref la vraie vie.
Il faut bien entendu y ajouter l’équation plus personnelle, intime, de l’apprentissage sentimental, de l’estime de soi mise en cause … La tentation du repli sur son smartphone, son canapé, ses vieux doudous ou une addiction est donc forte. Au final la ‘ TS ‘ (tentative de suicide), cet appel radical au secours, concerne un garçon sur 10, une fille sur 5.
Le développement inédit de la violence
C’est un fait nouveau qui, lui aussi, a sa logique.
Nous vivons dans une société plus qu’apaisée, carrément aseptisée, qui a une profonde aversion au moindre degré de violence affichée, même juste verbale. La cruauté, pourtant bien réelle, des rapports sociaux, ne doit donner lieu qu’à des échanges euphémisés ou mieux encore, à une résignation courtoise. Et cela marche : les humbles sont obséquieux, remercient à tout va pour échapper au chômage, si obsédant ; bref le Capital règne, tranquille du haut de ses tours, incontesté, comme pour l’éternité. Le trublion n’est qu’un barbare insignifiant. On ne voit pas pourquoi, bercés au préalable par leur scolarité émolliente, les jeunes ne continueraient pas à courber l’échine, une fois triés, comme les bêtes rangées pour l’abattoir.
Sauf que certains ont vu la faille – la peur des coups - et commencent à s’y engouffrer. Tous les signaux montrent en effet une montée récente et fulgurante de la violence et de sa valorisation chez certaines catégories de jeunes - jusqu‘aux filles - et cela dès un âge très tendre, vers 8 à 12 ans, parfois même en primaire.
Une vision qui se veut rassurante parle de ‘faits isolés‘ et propres de plus à quelques quartiers connus pour leur forte délinquance. Cependant les cas rapportés par voie de presse, nationale ou locale, ne sont que l’écume de la vague. C’est en fait par milliers que chaque jour des actes à bas bruit marquent le passage à ‘l’action directe ‘ de toute une partie des jeunes : insultes, menaces, harcèlement, coups, projectiles, vandalisme prolifèrent ( *). Dans les banlieues, mais aussi souvent dans le rural, les rixes éclatent pour bien peu de chose et les représentants d’une quelconque autorité (y compris par ex des médecins, des pompiers) sont pris à partie, voire blessés sans crier gare. Les altercations entre bandes vont jusqu’au meurtre. On note donc, sans surprise, que de plus en plus de jeunes, par simple précaution et pression du milieu, s’initient à l’auto-défense et au combat, presque à l’égal d’une formation de type militaire. Le club de boxe ou de karaté devient le point focal de l’animation. Les forces de police sont ainsi étonnées (et désemparées) face au niveau ‘technique’ confondant de leurs agresseurs, par ailleurs de plus en plus jeunes. Pour couronner l’édifice, les parents de ces petits monstres prennent en général à fond leur défense et parfois même contribuent à leurs exploits (ex : prof tabassé par le fils et re-tabassé par le père ou le grand frère pour ne pas avoir bien ‘compris‘ le sens de la première manche ).
(*) Un quart des jeunes disent avoir été victimes de violences à l’école ou dans la rue
Pour l’heure la mutation ‘idéologique‘ de ces violences du quotidien est rare (délinquants reconvertis via la case prison en islamistes radicaux, petits blancs nostalgiques du grand Reich et de ses alliés, black blocks par mimétisme côté gauche) mais l’hypothèse d’un véritable néo fascisme ( noir , vert ) ou d’un néo -bolchévisme des jeunes devient plausible si les circonstances , par exemple une crise économique brutale, y aidaient .
Le Covid comme révélateur des deux jeunesses : Orient et Occident
Il va de soi que La Civilisation est occidentale. Ou plutôt l’était, car 2020 a d’un seul coup marqué la concrétisation de ce que l’on pressentait, la fin de ce cycle démarré à la Renaissance via la conquête du monde et la première colonisation. La pointe avancée de l’humanité est désormais en Extrême Orient et on peut même dresser une liste de ses États membres : Chine, Japon, Corée, Vietnam et Singapour. Eux ont vite éradiqué l’épidémie. Et leur jeunesse obéit à de tous autres canons que ceux de la France comme, en général de l’Occident, dont les EU et la GB, tous pays qui se sont vautrés dans une épidémie peu ou pas maitrisée du fait d’une culture inadaptée, dont la faiblesse saute désormais aux yeux. Humilié, distancé voire ridiculisé, l’Occident aura beaucoup de mal à retrouver de la crédibilité. Le plus probable est une perte sans remède de leadership.
Nous français, avions intégré depuis 1945 l’idée de n’être plus qu’une puissance moyenne, mais avec de beaux restes + la garantie et l’amitié américaines. Cette fois c’est pire car c’est presque tout l’Occident, EU compris, qui dévale la pente.
On savait déjà avec l’étude annuelle Pisa de l’OCDE que, depuis 5 à 10 ans, les pays d’Asie précités s’envolaient en termes de performance scolaire moyenne (niveau de lecture, rédaction, calcul et logique). Au lieu de se concentrer sur les seuls futurs diplômés du supérieur et de plonger les autres jeunes dans la facilité et une ignorance crasse, l’Asie moderne entend bel et bien former intellectuellement (et aussi moralement, on en verra l’importance infra) à peu près tous ses jeunes.
A Pékin, Tokyo, Séoul, on est en effet persuadé que :
1 / la société a besoin d’une cohésion et de valeurs exigeantes partagées sur la base de sagesses ancestrales, dont le respect, la soumission aux ordres des ‘compétents’ âgés et l’effort intense dès l’école comme plus tard au travail.
2/ l’économie de demain sera à haut degré d’innovation et de technologies ; même les progrès de la sobriété dans l’utilisation des ressources passent par là. Il est donc logique d’y former tout un chacun et pas seulement les plus diplômés.
En Occident, on voit les choses autrement : une couche moyenne en réduction, 10 à 20 % de formés complets et une majorité de cerveaux qu’on laissera en friche, ceux des nouveaux ilotes voués aux taches humbles du tertiaire basique et, pour leurs loisirs, à une fange ayant les apparences de l’épanouissement.
A l’épreuve du Covid, on a vu quel type de société résiste et lequel ploie : l’ordre, la discipline, le primat du collectif, le tout couplé à la technologie la plus avancée et intrusive, versus le primat de l’individu, de sa liberté, la rumeur dépassant l’information, la technologie freinée du fait d’un savoir ‘réservé’ et du strict respect de la sphère privée. Cela ne peut que conforter les asiatiques dans leur choix du ‘néo- holisme numérisé ‘dont la dictature chinoise est plus une variante, quelque peu pathologique, qu’un véritable modèle.
La vie d’adulte reportée
Au début du XX éme siècle, on commençait en général à travailler à 13 ou 14 ans, que ce soit à l’atelier, a la ferme, au bureau, au magasin. De nos jours, c’est jusqu’à parfois dix ans plus tard … Aucune évolution biologique ne justifie bien entendu un tel décalage qui trouve une bonne part de sa justification dans l’allongement de la vie scolaire. On l’a vu, près de la moitié des jeunes engagent des études supérieures. Un tiers des 20 -24 ans sont encore en formation initiale. Cependant cela ne suffit pas à expliquer que, par exemple, la’ décohabitation’ (le départ du cocon familial) ne se fasse en moyenne que vers 23 -24 ans ou que les jeunes femmes aient leur premier enfant en moyenne à près de29 ans (contre 24 ans en 1974). Il y a une sorte de ‘zone grise’ très prolongée faite d’emploi précaire, d’attachement au moins partiel au confort parental, si relatif fut-il, et de maturation psychologique ralentie de ce fait même. L’établissement complet (emploi stabilisé , logement personnel, couple durable) se fait au terme d’approches aussi multiples que lentes dans une période qui n’a pas reçu de nom au dictionnaire et que l’on pourrait appeler faute de mieux ‘post adolescence étendue‘, d’une durée brève pour certains et presque infinie pour d’autres selon les paramètres sociologiques et les équations personnelles.…C’est en tout cas un phénomène de masse, inconnu avant les années 1980 ou 90, devenu banal de nos jours. Les jeunes ont même le temps de devenir gros comme des demi-vieux : un quart sont en surpoids à 25 ans dont 10 % d’obèses, ce qui en principe réservé aux plus de 50 ans …
Le poids des hypothèques léguées aux jeunes
Si l’entrée dans la vie est donc compliquée plus qu’à l’ordinaire, que dire du comité d’accueil virtuel que constitue le passif laissé par les ainés ! Les jeunes en sont si conscients que cela les taraude jusqu‘à l’angoisse, plus ou moins justifiée, le ‘pire‘ n’étant jamais certain. Toujours est-il que l’accumulation des problèmes non réglés voire insolubles, laissés par les générations de sybarites ou de somnambules, aux commandes dans les années 1980 – 2020, a de quoi glacer le sang : un État criblé de dettes, des entreprises qui le sont presque autant (un des records d’Europe dans le genre pour ces deux pôles d’ emprunts), le climat chahuté, au bord du gouffre par dérèglement, les ressources non renouvelables dilapidées et l’horizon menaçant de leur pénurie, le financement ‘impossible‘ car massif et non préparé du grand âge, de ces vieux toujours plus nombreux (cf. rapport Libault récent sur le cas précis de la ‘dépendance‘), l’usure, là encore patente, dont les effets ont été mal (ou pas du tout) anticipés (le Plan ayant disparu et la vision de long terme avec lui) des grands investissements des années de 1960 à 1980 sur lesquels on s’est mollement reposé.
Le sentiment confus (ils sont loin de connaitre le détail…), mais dramatiquement lucide dans sa globalité, des jeunes leur suggère la fatalité du déclin d’un pays sans boussole ni ressort et la venue de catastrophes inédites dont le Covid ne donne qu’un avant-gout, une sorte de mise en bouche des apocalypses annoncées. Le doute porte juste sur la forme que prendront ces tragédies ainsi que sur le jour et l’heure. Ce sera, de toute façon, de leur vivant. Il y a ainsi des Greta Thurnberg dans beaucoup de chambres d’ados, des Cassandre confondues devant le prosaïsme jouisseur des grandes personnes.
Et Dieu ?
Il ‘existe quand l’homme s’y emploie’ notait jadis Edgar Morin (La méthode t. 6 l’Ethique -2004). Il ne peut donc que renaitre avec cette génération. Le phénomène se limite pour l’heure en France à un renouveau de l’islam minoritaire et une certaine affluence des pratiques sectaires ; il affleure également via un respect inédit chez les jeunes pour le fait religieux en général.
A cela, on peut trouver des éléments de causalité sociologique : les grandes angoisses évoquées ci-dessus, le quotidien dépourvu de sens d’une bonne moitié des jeunes notamment en début de vie active, une intégration trop lente assortie de nostalgie des origines, enfin une forme de réponse à la montée de la violence…Il est cependant clair qu’un revival religieux plus massif devrait passer par une renaissance catholique que rien n’annonce tant cette église majoritaire se referme sur de vieilles lunes (tel le ministère réservé aux hommes, qui plus est célibataires obligés..), ne parle plus au présent et se projette encore moins dans l’avenir.
À l’échelle de la planète on pointera aussi à ce propos, hors d’Europe, le grand écart entre les civilisations d’Extrême Orient qui prennent le leadership (cf. supra), sociétés ‘philosophiques’ mais nettement areligieuses (elles se passent du concept de divinité), versus les deux univers, plus que jamais fervents et se croyant portés par Dieu, celui du protestantisme anglo–saxon et celui de l’islam arabe et asiatique.
L’espoir de l’horizon 2040
Dans vingt ans, la génération si prégnante des baby-boomers sera en voie de disparation, les postes de pouvoir pour l’essentiel aux mains de celle née après 1980 et tous les jeunes et enfants d’aujourd’hui seront adultes, parfois même d’âge mur. Une page sera donc tournée et on pourra juger de la nature de la transmission opérée comme de l’héritage recueilli. On saura aussi si les grandes prévisions se seront réalisées quant au glissement vers un monde sino-centré, l’aggravation des dommages écologiques, le poids des déséquilibres financiers, la remontée des religions. La seule (mince) certitude est que la société sera assez nettement différente de celle de nos jours.
Bernard Legendre