L’euro numérique, futur ou arnaque ?
Nos modes de paiement ont beaucoup évolué au cours du temps mais le principe reste toujours le même : transférer de l’argent rapidement, à moindre coût et de façon sécurisée. L’euro numérique a-t-il les mêmes objectifs ? Nous allons étudier l’émergence de la blockchain et du bitcoin pour comprendre les enjeux de souveraineté des prochaines monnaies virtuelles.
Connaissez-vous la série Black Mirror ? Chaque épisode est unique et met en œuvre des dystopies des plus réalistes. Dans plusieurs d’entre eux, vous comprenez que les individus interagissent avec leur monde via des appareils digitaux. En particulier, les transactions ne sont plus tangibles : le virtuel est partout, d’un clignement d’œil. Bien que, outre-Atlantique, les billets verts sont toujours à la mode, depuis quelques années en Angleterre puis progressivement en France, les pièces cessent de sonner et trébucher sur les comptoirs. Sans contact, via le téléphone ou sa montre, il est très simple de sortir dans la rue en emportant son coffre-fort. Cependant, quoique la transaction soit en effet approuvée, comme indiqué sur le Terminal de Paiement Électronique (TPE), l’argent ne sera versé au commerçant que dans les trois jours ouvrés. Qui est le facteur limitant me direz-vous ? La réponse est simple, ce sont les banques. À l’heure du « tout-numérique », ces instances font face à l’émergence, depuis 2008, de la technologie blockchain. Décentralisée, instantanée, participative.
1- Présentation de la technologie blockchain
La technologie blockchain est née en 2008 grâce à un anonyme se faisant appeler Satoshi Nakamoto. Encore aujourd’hui, personne ne connaît sa véritable identité ou l’identité du groupe que ce nom représente. Pourtant, grâce au bitcoin, monnaie virtuelle qui a été la première à utiliser cette technologie, sa fortune est estimée à environ vingt milliards de dollars, le faisant alors grimper dans le top cinquante des plus grandes fortunes au monde.
Comment fonctionne cette monnaie ? Je n’entrerai pas dans les détails complexes du bitcoin mais gardons simplement les éléments importants. D’une part, M. Dupont souhaite envoyer de l’argent à Mme. Dupond. L’un sera donc débité et l’autre créditée. Cette transaction, pour qu’elle soit valable, va être transformée en bloc et sera ensuite rajoutée à un répertoire commun, global. Pour ce faire, des mineurs récupèrent le registre préexistant et résolvent un problème complexe. Le temps pour que la transaction apparaisse dans le registre est d’environ dix minutes pour le bitcoin.
Bon très bien, le fonctionnement à l’air assez simple mais plusieurs questions se posent. Nous allons y répondre simplement.
Le fameux registre est un agrégat de toutes les transactions (ou des blocs) depuis son origine et est décentralisé : à chaque nouvel incrément, il est distribué à tous les mineurs ce qui le rend inviolable car si une majorité de mineurs trouve un registre minoritairement différent, ce dernier est supprimé. (Il existe cependant le problème de l’attaque des 51%[5]). Le 20 octobre 2020, la chaine de blocs représentait plus de 550 millions de transactions, pour un poids de 300 Go. Les transactions sont donc sécurisées de proche en proche, depuis 2008, et chacun peut à volonté les consulter.
Tous les mineurs ont un seul objectif : rajouter un bloc à la chaine. S’ils y arrivent le premier, alors ils sont récompensés en monnaie virtuelle. Si un autre mineur finit le travail avant les autres, tout est à recommencer avec le nouveau bloc et les autres ne gagnent rien. Quel est le travail du mineur ? En tant qu’homme, aucun. Il gère simplement un parc informatique qui fait le travail à sa place ; lui ne paye que les factures d’électricité. La machine, elle, joue en quelque sorte aux dés pour trouver une réponse acceptable. Il faut savoir qu’il est impossible de trouver de meilleures méthodes pour miner « plus vite » donc chacun a les mêmes chances que les autres. Cependant, la différence se fait au niveau de la puissance que possède un mineur. S’il a dix ordinateurs, il aura bien sûr plus de chances de trouver la solution avant les autres. C’est le principe du « Proof of work ».
Enfin, la difficulté pour trouver une solution est redéfinie après un certain nombre de blocs minés et dépend entièrement de la puissance totale de calcul de tous les mineurs réunis et du temps moyen statistique de minage de bloc voulu. Le bitcoin se base sur un ajout de bloc toutes les dix minutes pour ainsi améliorer la sureté des transactions : si deux blocs parvenaient à être minés en même temps, un plus long délai diminue alors la probabilité que deux chaines de même longueur se transmettent ensemble. La chaîne la plus courte sera abandonnée au profit de la plus longue. Par comparaison, d’autres monnaies comme l’Ethereum se minent en une quinzaine de secondes, le temps des transactions est par conséquent instantané.
Toutes ces particularités ont fait naitre l’économie du bitcoin. En particulier, ces dernières années, des fermes entières d’ordinateurs sont sorties du sol pour miner les bitcoins. On retrouve par ailleurs une très forte concentration de ces structures dans les pays où l’électricité coute très peu cher comme dans la province du Sichuan en Chine (pays où la possession de cette monnaie est cependant interdite). N’oublions pas néanmoins que le bitcoin représente aujourd’hui environ 0,20% de la consommation mondiale d’énergie[1] (le transport représente lui 1.2%).
Bien que le bitcoin ait connu une ovation médiatique sans précédent et un cours historiquement haut, d’autres devises ont suivi le géant en proposant d’autres particularités et/ou technologies.
2- Quel intérêt pour les particuliers ?
Vous n’avez toujours pas de portefeuille bitcoin ? Bon je ne vais pas vous montrer comment faire mais je peux vous assurer que vous ne serez pas les premiers. En effet, d’après le site Blockchain.com, plus de 55 millions de portefeuilles ont été créés. Comme vous pouvez le voir sur ce graphique, la croissance est exponentielle. En l’espace d’un an, 60% de nouveaux portefeuilles ont été ouverts et ce chiffre ne risque que de croitre avec les utilisations grandissantes de cette monnaie. Nous ne parlerons pas dans cet édito des utilisations malsaines de ces réseaux mais qui cependant existent bien sûr.
Mais alors que peut-on faire avec la blockchain et en particulier le bitcoin ? Certains investissent dedans comme une action à fort risque, n’oublions pas ses variations extrêmes : de $1 en 2012, à presque $20 000 en 2018, il s’échange actuellement à $12 000 sur les plateformes. Chaque pays a ensuite un droit de regard sur votre portefeuille et vous payez des impôts sur les plus-values.
D’autres, utilisent cette monnaie telle qu’elle a été créée : pour transmettre de l’argent, et de façon anonyme. Certes, comme nous l’avons vu, toutes les transactions sont stockées dans la chaine publique qui s’agrandit de plus en plus mais celles-ci sont définies par des clefs – des suites de nombres et de lettres – qui permettent de pointer vers un portefeuille et donc un utilisateur. Néanmoins, vous pouvez, à chaque transaction, utiliser une nouvelle clef, et donc de ne pas vous faire tracer pour toutes vos transactions d’achat de nains de jardin.
Cette anonymisation a forcément tous les avantages et les inconvénients subjacents. D’une part, les réseaux illégaux peuvent, sans possibilités d’être menacés, agir à leur aise sachant qu’aucune instance mondiale ne peut les bloquer. D’autre part, cette monnaie n’est donc pas soumise à un tiers de confiance et ne peut donc pas être influencée politiquement.
Enfin, bien que son développement soit lent, il est toutefois mondial. Le nombre d’entreprises acceptant le paiement en bitcoin explose sur tout le globe et se diversifie. Vous pouvez maintenant acheter de la nourriture, faire la fête, des courses, du sport, payer des transports etc. Sur ces cartes, je compare progressivement l’état des entreprises proposant des paiements bitcoin[3].
Rien qu’en France, environ deux cents commerçants proposent ce service. Dans le monde, la barre des vingt mille sera bientôt atteinte.
Mais analysons cette carte plus en détail. Les points en bleu représentent une faible densité de partenaires et les points en rouge une forte densité.
Deux ans après le lancement de la blockchain du bitcoin, l’Europe et la côte Est des États-Unis sont les deux plateformes d’échange du bitcoin. Puis, trois ans plus tard, on retrouve l’Asie de l’Est avec le Japon et la Corée, la côte Est de l’Amérique du Sud et une partie de l’Amérique centrale.
Tout d’abord, il n’est pas surprenant de voir que le bitcoin n’affecte pas tous les pays. En effet, bien que nous ayons vu que la majeure partie des mineurs soient en Chine, la possession de cette monnaie est illégale donc les commerces ne peuvent pas proposer de transactions.
Puis, il est intéressant de se demander pourquoi le Brésil et l’Argentine ont vu croitre leur offre. D’après une étude publiée cette année[6], la demande de bitcoin en Argentine a explosé de plus de 1000% sur les deux dernières années alors même qu’une loi interdisant l’achat par carte de crédit a été promulguée en 2019. Au vu des déboires politiques et de la crise économique. Depuis dix ans, le peso argentin a perdu vingt fois sa valeur face au dollar. Il est alors compréhensible que la population se jette sur une monnaie non nationale dont le cours n’est pas régi par les mêmes lois et est plus stable.
Enfin, attardons-nous une dernière fois sur cette carte en regardant l’Asie continentale. Entre 2018 et 2020, vous pouvez remarquer une corde qui se tend entre la Russie et la Chine. En agrandissant la carte, vous remarquerez que les pôles de densité correspondent à de grandes villes particulières, celles, par exemple, qu’un certain marchand vénitien a visité il y a près de huit siècles. Avez-vous deviné ? La nouvelle route de la soie dont nous avons déjà parlé dans les précédents éditos.
La conclusion est sans appel. L’utilisateur de la blockchain recherche de la stabilité financière qu’il ne trouve pas dans les instances nationales de son pays, souvent corrompues ou opaques. Il souhaite protéger son épargne et son besoin a donc fait naitre une toute nouvelle économie décentralisée, anonyme et non surveillée. Bien que le réseau de l’offre ne soit pas très mature, il n’est pas improbable que de nombreux acteurs franchiront le pas dans les prochaines années. Pour ne citer que quelques entreprises qui proposent des paiements en bitcoin :
- L’Unicef sous forme de dons
- Microsoft via le Xbox Live (plateforme de jeu) ou le Windows phone store
- Twitch (plateforme de streaming)
- Subway, Dominos, KFC dans certains pays
- Gyft (vente de bons d’achat pour Amazon, Ebay, Uber …)
Les banques sans peur et sans reproche
Enfin, à la différence des banques et des liquidités qu’elles impriment, le nombre de bitcoin est fixe. Il en existera au total environ vingt et un millions. Actuellement, 80% des bitcoins sont en circulation et les vingt derniers pourcents seront envoyés aux mineurs jusqu’en 2140, date où le dernier bitcoin sera miné[2]. Cette notion de maximum de liquidités, de masse monétaire fixe, est un des derniers points névralgique du bitcoin alors que l’injection de liquidités par les banques est monnaie courante en cas de crise.
Nous avons donc vu quel était le principe de fonctionnement de la blockchain bitcoin, qui l’utilisait, comment et dans quel but. Cependant, comment les banques ont-elles réagi ? Vous avez surement entendu parler des difficultés du Libra, monnaie virtuelle de Facebook, que les banques avaient en ligne de mire.
Lors d’une interview donnée le 12 décembre 2019 par Christine Lagarde à Francfort, l’ex présidente du FMI a rappelé qu’au vu du développement accéléré des stablecoin, le FMI a tout intérêt à avoir une longueur d’avance.
Les stablecoin – à traduire par la monnaie stable -, sont l’apanage des instances banquières. Définis comme un actif numérique, ils répliquent virtuellement la valeur d’une monnaie réelle telle que le dollar et ont été créés, comme leur nom l’indique, pour protéger leurs propriétaires des fluctuations spéculatives. Cependant, ces monnaies virtuelles ne se basent pas toutes sur des technologies blockchain et peinent alors à gagner les avantages que le bitcoin détient, en particulier la décentralisation et la confiance envers une tierce partie.
Mais revenons à la blockchain et surtout, avant cela, aux banques et à leurs besoins de progresser sur cette voie. Les services bancaires que nous connaissons en France n’ont pas leurs pareils partout en Europe et dans le monde. En effet, les récentes études montrent que la moitié des adultes dans le monde n’ont pas de compte auprès d’un établissement financier[4]. Il devient donc important pour l’économie globale sujette à la mondialisation de développer l’accès à la banque en particulier via des monnaies virtuelles rapides et sécurisées.
C’est en partant de ce constat que les banques ont eu très peur pendant quelques années du Libra. Sachant que Facebook et ses produits associés (Whatsapp, Messenger, Instagram …) regroupent près de trois milliards d’utilisateurs, donc de clients potentiels, les banques classiques doivent s’adapter, ou tout du moins, innover à partir d’un système vieux de quelques siècles.
Dans cette optique, la banque de France souhaite la première mettre en place le e-euro, monnaie virtuelle se basant sur les technologies blockchain et servant d’intermédiaire de paiement entre les banques. Au travers des expérimentations menées, ces instances souhaitent acquérir des avantages tels que la rapidité de transfert et la réduction des couts et de pouvoir garder une souveraineté nationale face au développement des autres devises. Enfin, faites attention aux différentes monnaies virtuelles bancaires que vous trouverez dans la presse car elles ont chacune leurs spécificités. La Chine, la Corée, les États-Unis et d’autres pays ont ou sont entrain de lancer les leurs.
Je crois fermement en la technologie de la blockchain. En tant que telle, c’est une prouesse informatique et mathématique ; appliquée au secteur financier, c’est une bombe sociale, économique et technologique. Nous n’avons pas beaucoup parlé de tous les défauts que cette technologie apporte avec elle mais comme toute nouveauté, elle permet de remettre en question nos paradigmes. À force de s’appuyer sur un système qui a du mal à progresser, un vent d’air frais est soutenu par de grands et lourds acteurs économiques. Donnons sa chance à ce nouveau modèle pour en tirer le meilleur du passé et du futur de la monnaie.
Bibliographie :
[1] Bitcoin Energy Consumption Index, Digiconomist, 2020, https://digiconomist.net/bitcoin-energy-consumption
[2] Différents graphiques, Blockchain, 2020, https://www.blockchain.com/charts#mining
[3] Carte des commerçants acceptant le bitcoin, Coinmap, 2020, https://coinmap.org/
[4] Accès aux Services BANCAIRES, FMI, 2012, https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/fre/2012/09/pdf/picture.pdf
[5] Attaque des 51%, Wikipédia, 2018, https://fr.wikipedia.org/wiki/Attaque_des_51_%25
[6] Arcane Research, 23 avril 2020, https://twitter.com/ArcaneResearch/status/1253240673899286529?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1253240673899286529%7Ctwgr%5Eshare_3%2Ccontainerclick_0&ref_url=https%3A%2F%2Fazcoinnews.com%2Farcane-research-report-argentinas-population-has-dumped-an-ath-amount-in-pesos-for-bitcoin.html