L’industrie située en France
J’appartiens à la génération qui a connu le point culminant de l’industrie dans l’économie française (1). Enfants puis étudiants, nous étions abreuvés de statistiques à usage des écoles, détaillant par le menu les glorieuses ‘productions nationales’, tonnes de fonte et d’acier, de ciment, jauges des chantiers navals, nombre, sortie d’usine, d’automobiles, de camions, de machines agricoles, de locomotives, d’avions, métrage de coton et de laine, de fibres synthétiques, cubage de produits chimiques, de papier carton, dénombrement des matériels électriques et des machines-outils.
On se devait de connaitre non seulement les régions industrielles censées être durables dans leur prospérité polluante et leur noble laideur, bassin du Nord, sillon lorrain, plaine d’Alsace, basse Seine, Rhône lyonnais, rives de l’étang de Berre, mais aussi célébrer nos inventeurs et nos capitaines d’industrie, qui constituaient autant de jalons de la saga du ‘progrès‘ national, conquis à force de travail et d’ambition. Politiquement, les deux forces dominantes, les gaullistes et les communistes, partageaient cette passion pour l’industrie et la célébraient sans complexe, en parfaite symbiose. Au cours des années 1960 et 70, sous trois présidents successifs, il y eut ainsi une vraie continuité de l’essor industriel, à un rythme régulier de l’ordre de + 5% l’an en volume, qui a correspondu à un plus que doublement (+120 %) sur vingt ans, de notre puissance manufacturière.
Cette expansion remarquable s’est ralentie par la suite, d’abord à un rythme moitié moindre, dans les années 1980 et 90, avant de devenir quasi nulle après l’an 2000 et cela jusqu’à nos jours. En effet, depuis deux décennies, la taille de notre industrie est comme bloquée à un gabarit fixe, qui équivaut à 3 fois celui de 1960 ou deux fois celui de 1970. Certes, elle est fortement exportatrice mais les importations de biens se sont développées encore plus vite dans un contexte d’ouverture extrême (européanisation, globalisation).
Depuis que notre croissance industrielle s’est ralentie, dans les années 80, puis mise à l’arrêt après l’an 2000, en parallèle de cette langueur nationale, les mutations mondiales de l’industrie se sont caractérisées par des expansions massives et souvent fulgurantes. Évidemment d’abord du fait de l’ascension étourdissante de la Chine (actuellement un tiers de l’industrie mondiale à elle seule, pour 17% aux Etats Unis, 7% au Japon, 6% en RFA et … 2% en France) (2) mais on aurait tort d’oublier celles de l’Inde et de la Corée du sud qui ont toutes deux dépassé désormais la taille française et, plus près de nous, d’anciens pays du Comecon soviétique (dont la Pologne, la Slovaquie et la Tchéquie). On doit remarquer aussi que la ‘désindustrialisation’ relative de la France n’a nullement été générale en Europe : à nos minces 12% de Pib industriel, on peut ainsi opposer les 25% de la Suisse, les 23% de la RFA et de la Suède, les 17% de l’Italie, et même les 15% de l’Espagne. Sans parler de l’hyper industrialisation asiatique : 25% du Pib au Japon, 3O% en Corée du sud, 33% en Chine …
En effet la France a, de façon assez singulière, tourné le dos à son industrie, dont la célébration, jadis martelée, a d’un coup disparu de l’enseignement scolaire comme elle a perdu toute centralité dans le discours politique. Il y eut à partir des années 80 et plus encore des années 2000 un alignement psycho culturel très puissant en France sur le discours anti –usines d’une bonne part des mentors intellectuels de l’économie anglo-américaine. Tout allait dans le même sens pour bruler le Dieu machiniste et rejeter l’art des manufactures (3). L’industrie c’est la pollution et les risques majeurs (sites Seveso) , le monde ouvrier massifié est la clé du danger communiste, et puis c’est ‘dépassé’ de toute façon, bon pour les pays émergents, pas pour nos jeunes plus éduqué qui aspirent naturellement à des activités ‘propres‘, de commerce, de finances, de gestion et de création dans un monde ‘post industriel‘.
Mais les milieux industriels français, très influents dans certains domaines au cœur de l’Etat (4) ne vont-ils pas mettre le holà ? Faire en sorte de nuancer ces jugements à l’emporte-pièce, bref contre- attaquer afin de garantir la pérennité du développement de l’industrie nationale ? Eh bien non, la ‘tertiarisation‘ économique et sociale s’avérant un véritable rouleau compresseur. La raison en était simple : nos industriels avaient alors l’esprit ailleurs, tout voué à un défi stratégique absolument nouveau qui les fascinait, absorbait la plus grande part de leur attention et de leur énergie : la très prometteuse croissance non plus nationale mais externe, c’est à dire hors de France, de leurs activités.
De fait, nos grands groupes prirent alors une dimension ‘globale‘ favorisée par le marché unique européen puis des désarmement tarifaires et techniques de plus en plus nets, l’essor des TIC et celui de ‘chaines logistiques’ de plus en plus puissantes, étendues et complexes, avec le décollage de nombreux pays émergents.
Même dans le cas d’entreprises françaises ‘historiques‘, cela fut évident : Michelin, ce n’est plus vraiment l’Auvergne et son bibendum, avec 55% de la production et deux tiers des ventes hors d’Europe, des usines dans 26 pays (et à peine 1/5 de la production restée française). Faurecia (ex Faure) ce n’est plus seulement le fournisseur parisien ancestral de nos constructeurs automobiles nationaux, mais un réseau global de 266 sites dans 35 pays. Peugeot ce n’est plus Sochaux, ses vélos, ses moulins à café et le club de foot à ses couleurs mais un groupe mondialisé ou les capitaux chinois équivalent à ceux des fondateurs éponymes et le tout désormais compris dans ‘Stellantis’, une alliance de taille mondiale avec Chrysler et Fiat.
Pour ces entreprises et ces marques, la soi-disant panne de l’industrie française n’avait guère de sens et était secondaire. Dans la réorganisation générale et mondiale de l’industrie, les ex ‘champions nationaux’, bien loin d’être mis en difficulté, ont grandi considérablement et sont devenus des leaders parfaitement acclimatés et compétitifs dans le monde ‘global‘ des technologies et des machines. Simplement, dans le sillage de cet essor sans frontières, le site France devenait plutôt mince par la taille et n’était pas, de surcroit, au nombre des plus attractifs. Emportés par l’immense vent du large, certains groupes jadis glorieux ont même été absorbés et sont passés carrément sous d’autres pavillons (Pechiney, Lafarge, Alstom branche énergie, Alcatel, Usinor Sacilor) mais était-ce si grave puisqu’il n’y avait plus, chacun le sait, qu’une seule communauté universelle des affaires, ‘one world’ ?
La globalisation de l’économie française est faite : de façon générale, la France compte autant d’entreprises multinationales parmi le top 500 mondial que la Rfa, soit 30 pour chaque pays. Cependant, elle est aussi spécifique. Le CEPII évalue ainsi la part de l’emploi industriel ‘délocalisé’ des groupes français à deux fois plus qu’en RFA, trois plus qu’en Italie ou aux EU. Bref la conclusion, largement ignorée, s’impose : dans aucun autre grand pays au monde, les milieux d’affaires n’ont à ce point et à la fois conquis le monde et tourné le dos à leur site national d’origineque dans le cas français à partir des années 1980- 90.
Alors, ‘Produire français‘, mantra ridicule, juste bon pour des syndicalistes attardés, des retraités nostalgiques, des politiciens nationalistes et démagogues, bref des ignorants. On se gaussait entre gens informés et compétents, dans l’élite dirigeante, d’autant plus facilement convaincue que ses revenus ont suivi l’ascension fulgurante de la globalisation. Face à ces billevesées, on ne concédait qu’un capital de sympathie à de ‘belles histoires‘ de développement local de Pme ou ETI qui, de toute façon, finissent toujours, elles aussi, par un rachat aux mains d’un groupe internationalisé et une réallocation stratégique. Il se trouva même un grand patron X mines, alors célèbre et nullement contredit, pour aller au bout de la logique et fixer le cap : le site France idéal serait ‘fabless’, vide d’usines, en anglais de salon.
On nous expliquait que les chiffres du commerce extérieur n’avaient de toute façon plus guère de sens, reflétant pour une bonne part des échanges internes à des groupes internationaux et/ou avec des fournisseurs et clients au long des chaines multiples et globalisées : un produit final pouvait compter des éléments venus de plusieurs dizaines de sites dispersés dans autant de nations diverses. De plus, la théorie macro-économique condamnait elle aussi les ‘préjugés’ nationaux pour prôner l’avantage comparatif qui, par une grâce quasi providentielle, ajustait en un cercle vertueux la montée en gamme des pays émergents et la baisse des prix des produits pour le consommateur dans les pays les plus avancés.
Et puis survint la pandémie. On savait bien que nous faisions venir de loin, souvent des antipodes, nos vêtements et nos chaussures, nos objets électro ménagers et les jouets des enfants, mais quelle importance et c’est si bon marché en fin de compte. Mais là, brutalement, nous avons découvert autre chose, troublant, jusqu’à la sidération : nous avons dû nous adresser à la Chine, en file d’attente, pour nous procurer aussi bien des masques sanitaires que la plupart des médicaments courants. Quant à nos prétentions de haut de gamme, justification supposée d’un partage planétaire des taches, nos leaders de l’industrie bio santé ne furent à l’origine d’aucun vaccin ou traitement de pointe. Nous étions donc dépourvus et humiliés tant pour le basique (aspirine) que pour l’innovation décisive (technologies à ARN messager), bref ridiculisés, comme à terre, en cette sorte de piteux juin 40 sanitaire de la recherche et de l’industrie.
Les chiffres de nos échanges extérieurs, aux 3/4 industriels, si peu significatifs nous rassurait on, sont, disons, plutôt ‘originaux’, même en Europe : en effet quand la Rfa dégage un excédent annuel de près de 200 MM d’euros, le Benelux de 100 MM, l’Italie de 60, la Tchéquie et la Slovaquie de 40, la Suisse de 20, que le déficit de l’Espagne, comme ceux du Portugal et de la Grèce, est limité à 10 ou 20 MM, nous plongeons vers … 80 MM, des abysses ou seul le Royaume uni ose, comme nous, s’aventurer.
Cela faisait déjà longtemps à vrai dire que de grands industriels, libres de parole car en fin de carrière, ne cachaient pas leur inquiétude. JL.Beffa, L.Gallois entre autres, montèrent au créneau dans les années 2000 et déjà, dans les années 90, les anciens ‘patrons‘ de l’essor national sous Pompidou (B Esambert) et VGE (A Giraud) avaient lancé dans le vide des appels prémonitoires.
Sitôt passé et assimilé le choc de 2020, qui valait tous les discours, la tendance s’est enfin pleinement inversée : selon l’indicateur de suivi Trendéo, alors que le solde pour la période de 2008 à 2015 avait été de -600 usines, il revint à l’équilibre sur 2016-20 et il est devenu nettement positif (+ 100) en 2021.
Au-delà de l’effet de mesures fiscalo-sociales, amorcées depuis près de dix ans, baissant les couts salariaux et les impôts dits de production, ainsi que les nombreuses incitations à l’innovation (dont le crédit d’impôt recherche), c’est bien un changement mental profond qui semble vraiment en passe de s’opérer, une prise de conscience que le choc de 2020 a validée, une sorte de redécouverte de l’intérêt fondamental et stratégique de l’industrie à l’échelle de la Nation. Il était grand temps. Un objectif fort ambitieux car ce n’est pas moins de 40 ans d’anémie productive et innovatrice sur le site France qu’il s’agit d’effacer …
Les arguments décisifs en faveur d’une telle renaissance ne manquent pas. On sait l’accent mis souvent sur l’aspect social, la ‘casse’ des bassins industriels, la fin de la ‘classe ouvrière‘, le délaissement de la diagonale du vide mais cette nostalgie, si touchante et estimable soit-elle, éloigne de l’essentiel. Il est plus crucial, par exemple, de souligner à quel point notre maintien en tant que puissance, certes moyenne mais encore notable et respectée, dépend et dépendra de nos capacités à inventer et produire dans les secteurs de pointe dont les énergies nouvelles, les bio technologies, les puces surpuissantes, le spatial, les nouveaux matériaux, les nouvelles mobilités et l’économie circulaire. Or notre rang technique et industriel est clairement en retrait du potentiel qui résulte de notre niveau purement scientifique qui reste, lui, excellent (là encore cette configuration rejoint celle du cas de la GB). Il est tout aussi déterminant de pointer le lien majeur entre notre capacité autonome de Défense (sans laquelle il n’est pas de crédibilité internationale ni d’indépendance) et la puissance industrielle en propre. Sans ‘stratégie de l’arsenal‘ et ses succès (5), nous sommes mécaniquement relégués au rang de vassal et d’obligé, pour l’heure des EU mais aussi un jour, potentiellement, d’autres pays sur armés et nettement moins sympathiques. Enfin une industrie française qui resterait clouée au sol serait économiquement et politiquement un élément décisif de fragilisation structurelle de la zone euro. En effet le différentiel de performance industrielle entre les pays membres de la zone, en particulier entre le Rfa et la France, est si important qu’il a tendance à s’auto entretenir et toujours s’aggraver. Faute de possibilité de ‘dévaluation compétitive‘ comme de volonté de réarmement productif, notre pays ne peut que se réfugier dans des déficits chroniques, publics et privés, un phénomène de fuite en avant qui, à son tour, fragilise la monnaie commune (6). Le Conseil européen comme les instances de la BCE reportent sans cesse cette question de fond, si embarrassante, jusqu’à ce qu’elle devienne un jour explosive et insoluble.
La renaissance industrielle sur le sol français est donc, en fin de compte, un enjeu tout simplement vital et, c’est heureux, les signaux positifs précités commencent à faire système. La rapidité et l’efficacité avec laquelle, en 2O21, les entreprises ont su réagir, convertir leurs outils et reconstituer des productions de base nationales dès lors que l’État, pour la première fois depuis 40 ans, le leur a enfin demandé, montre à quel point c’est bien le mental, devenu ‘hors sol‘, et le cap stratégique (7), perdu de vue, qui faisaient défaut. Après quoi, la route sera encore longue…
Bernard Legendre
(1) 22% du Pib en1970, pour 10 à 12 % de nos jours, un demi-siècle plus tard
(2) C’est en 2011 que l’industrie chinoise a ‘dépassé‘ celle des EU, pour atteindre deux fois sa taille dix ans plus tard. On mesure donc le coté proprement extraordinaire de l’essor chinois. La Chine produit ainsi à elle seule de nos jours près de la moitié de l’acier mondial et 60% du ciment. Elle consomme 23% de l’électricité mondiale, pour 18% aux EU.
(3) Au moment du grand ‘tournant‘ de 1983 – 84, la gauche socialiste se gargarisa ainsi de sa propre modernité à label américain avec la fermeture de Renault Billancourt et le lancement du parc Eurodisney.
(4) Dont la défense, l’énergie, les transports, l’enseignement technique, la règlementation des relations de travail …
(5) L’aéronautique et le spatial, l’un des rares domaines ou la France a pu et su se maintenir sur les hauteurs, est un bon exemple de l’intérêt du ‘complexe militaro industriel ‘.
(6) le compromis permanent avec les pays du sud de l’euro zone, en particulier avec la France, à la fois désindustrialisée et fort déficitaire sur ses politiques publiques, a un cout pour l’ex-zone mark : l’euro a baissé de 1 ,40 dollars en 2014 à 1,14 actuellement et n’est plus que ‘semi fort‘. Confirmant ces proportions, le FMI évalue l’euro à - 10 % d’un mark implicite et à + 10 % d’un franc implicite.
(7) La reconquête de l’appareil productif – rapport du commissariat au plan - décembre 2021
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