Macron le réformateur (2/2)
Le programme du président Macron est probablement très efficace, mais ciblé sur l’économie productive. Or, pour sortir la France de la longue pente du déclin sur laquelle elle est entrée il y a maintenant 40 ans, ce train de mesures est insuffisant.
Dans la première partie de cet édito sur la réforme de notre pays, j’ai essayé de montrer que le programme du président Macron était probablement très efficace mais ciblé sur l’économie productive.
Or, pour sortir la France de la longue pente du déclin sur laquelle elle est entrée il y a maintenant 40 ans, ce train de mesures est insuffisant.
La réduction structurelle du poids des dépenses publiques est nécessaire au redressement de la France et au recul de la pauvreté et de la précarité.
Prenons un exemple très simple : si un salarié une fois embauché ne peut plus être débauché, les patrons n’embaucheront qu’en dernier recours : ils préféreront toujours le faire à l’étranger ou à durée déterminée.
Libérer les entreprises des contraintes quant aux licenciements permet donc d’augmenter la population employée : plus elle augmente, plus l’offre de salariés disponibles se réduit, plus les entreprises sont attachées à conserver leurs salariés, plus la précarité et le chômage reculent.
De la même manière, très simple, je vais essayer d’expliquer pourquoi plus le poids de l’état augmente, plus le pays décline.
J’aime beaucoup les meubles du 18ème siècle. Autrefois, on se les arrachait, aujourd’hui un meuble provincial du siècle des Lumières vaut à peine plus cher qu’un meuble Ikéa. Lorsque j’en trouve un qui me plaît, je l’achète. Mais le problème avec ces meubles, ce qui explique peut-être leur prix, c’est qu’ils ont besoin de temps à autre d’être restaurés par un ébéniste.
Ébéniste est un métier magnifique mais qui demande une sérieuse formation : il faut connaître les bois, la manière de les travailler et l’histoire de l’art.
J’ai donc récemment acheté un scriban et j’ai demandé à un ébéniste de le réparer, ce qu’il a fait avec talent. Je l’ai réglé pour ce travail 1 200 €.
Voilà comment se décompose cette facture :
TVA: 200€
Charges sociales sur salaire: 460€
Salaire net: 540€
Revenu imposable supérieur à 27 K€ => IRPP (taux marginal à 30%) à 116€
Solde disponible: 424€
Il reste donc à notre ébéniste 424€ qu’il pourra dépenser sur les 1 200 € que je lui ai versés, soit 35%. L’état a conservé 65% du fruit de son travail.
Mon ébéniste travaille beaucoup et n’a pas le temps de s’occuper de son jardin. Il a donc recours à un paysagiste de talent qui peuple et entretient ses platebandes. Pour cela il le paie 420 € par trimestre.
De la même manière l’état confisque 65% et il ne reste au paysagiste à dépenser que 147€.
Je ne m’étendrai pas sur la légitimité de la perception par un état de 65% du revenu d’un citoyen et ce ne sera pas l’objet de cet édito de s’interroger sur les décisions du conseil constitutionnel relatives à ces taux de perception au regard de la déclaration des droits de l’homme.
Attardons-nous simplement sur les conséquences pratiques de ces prélèvements. Elles sont de deux ordres :
- L’ébéniste peut se décourager : tous les efforts consentis dans ses jeunes années pour être bien formé, et tout son travail au quotidien - il va sans dire qu’il ne sait pas ce que sont 35 heures par semaine -, lui donnent un piètre pouvoir d’achat. Ce découragement peut déboucher sur la décision de travailler moins, le non engagement dans la formation des jeunes, le départ à l’étranger pour exercer sa profession dans de meilleures conditions financières.
- La croissance n’est pas possible : le mécanisme le plus important dans la propagation de la croissance est la vitesse de circulation de la monnaie. L’argent qui circule de main en main crée de la demande qui génère des investissements et de la formation etc. Or dans ce mécanisme, les prélèvements de l’état agissent comme si nous avions un trou béant dans la coque de notre économie. Sur 1 200€ de transaction au départ, il ne reste au bout de la deuxième transaction que 147€ dans le circuit économique : 88% de la somme a disparu. C’est comme si un moteur perdait tout de suite 88% de son énergie : cela rend toute croissance impossible, l’économie française s’étouffe et sa croissance n’est plus que de 1 à 1,5% par an.
Approfondissons ce dernier point car je sais que mes lecteurs, qui sont vifs et avertis, objectent déjà sur mon raisonnement et ils ont raison :
L’argent prélevé par l’état sur les transactions et les salaires, c’est-à-dire sur les flux, ne les tarit pas puisque l’état réinjecte lui-même cet argent dans l’économie par les investissements qu’il réalise, le salaire des fonctionnaires, le paiement des retraites, le financement de la santé.
La question qui se pose est donc celle de l’efficience des allocations de l’état par rapport à celles des autres agents économiques. J’avoue ne pas être en mesure de trancher sur cette question, car cela dépend de la rationalité des décisions des uns et des autres.
- La prise en compte des externalités et du long terme est plus à la portée de l’état.
- Mais en contrepartie il y a le risque de clientélisme, la difficulté à remettre en cause des dépenses ou des organisations obsolètes, c’est-à-dire de mettre en œuvre le mécanisme de destruction créatrice de Schumpeter, et donc la création de mille-feuilles dans les dépenses et la bureaucratie.
Au global, sans que cela soit démontrable ici, on voit bien que l’économie de l’URSS a été moins efficace de celle de l’Europe occidentale : la liberté économique doit bien avoir quelques avantages.
Mais surtout, on peut prendre le problème dans un sens autre que celui de l’allocation de la demande : celui de l’offre. Si l’état prélève 65% des fruits d’un travail qualifié, alors pour avoir un bon niveau de vie, correspondant à son niveau de qualification, le travailleur qualifié va augmenter ses prix jusqu’à ce que les 35% des revenus de son travail qui lui restent lui permettent d’obtenir ce niveau de vie. Donc, plus les prélèvements de l’état seront élevés, plus le travail qualifié sera cher … et tout le monde sait que ce qui est cher est rare. Le travail qualifié va par conséquent se raréfier car il y aura moins de demande en raison du prix, ou moins d’offre si le prix devait rester bas, car la quantité de formation et de travail ne serait alors pas rémunérée.
Les conséquences de ce phénomène sont multiples :
- Avec l’inflation des prélèvements de la sphère étatique, nous avons de plus en plus de fonctionnaires et une population active non qualifiée de plus en plus nombreuse.
- Le travail qualifié est remplacé autant que possible par l’industrie : nous avons de plus en plus de meubles Ikéa et de moins en moins de meubles de créateurs, artisanaux ou anciens. Et nous savons pourtant bien que la France excelle plus dans le bel ouvrage que dans l’industrie de base.
- La révolution de la connaissance, du savoir, du savoir-faire est à l’œuvre. La mise en œuvre des nouveaux outils de la valeur ajoutée, l’informatique, la robotique, les nanotechnologies, la créativité, est devenue la clé de la réussite d’un pays. Elle nécessite non seulement des hommes et de femmes de très haut niveau, que nous avons généralement et que nous savons conserver pour une partie importante grâce aux délices cachés de notre système méritocratique. Mais elle nécessite surtout une armée de gens qualifiés de niveau 2, dont nous risquons de manquer, d'autant que si nous les formons, ils risquent fort d’aller chercher dans d’autres pays de meilleures rétributions.
J’ai vécu personnellement ce paradoxe et cela m’a beaucoup frappé : j’ai installé dans ma maison, qui est à la campagne, un système de chauffage sophistiqué à base de pompes à chaleur et de gestion informatique des flux. Une fois installé, je n’ai trouvé pendant un certain temps personne d’assez qualifié pour l’entretenir. Quand enfin j’ai trouvé l’entreprise à même de le faire, ses tarifs étaient si élevés (ce qui est normal pour rémunérer correctement du personnel qualifié après prélèvements) que j’ai trouvé déraisonnable de persévérer. J’ai finalement changé de système de chauffage et installé un chauffage rustique au bois. Je pense que mon expérience est très symptomatique de la pente inévitable du déclin français si nous ne changeons pas de politique économique.
Pour conclure, il semble bien que l’excès de prélèvements obligatoires pénalise structurellement la France à un moment où elle dispose de nombreux atouts de par sa culture et sa population pour réussir.
Je renvoie d’ailleurs ceux qui voudraient approfondir cette question du lien entre le poids de la sphère étatique et la croissance potentielle, aux excellents articles et livres publiés par Charles Gave, dont beaucoup sont disponibles sur son site Institut des Libertés.
Mon analyse est qu’Emmanuel Macron est conscient de cette problématique structurelle et qu’il prépare le terrain pour y remédier, soit dans quelques années, soit plus probablement au cours d’un second mandat.
Je vois sa stratégie de la manière suivante : pour réduire les prélèvements obligatoires, il faut s’attaquer aux principaux postes de dépense, à savoir la retraite excessivement longue, le nombre de fonctionnaires trop élevé, les dépenses de santé trop croissantes.
- Il est difficile de se faire élire en promettant la retraite à 65 ans. Emmanuel Macron met donc en place un système de retraite à points ce qui a pour premier avantage de démonétiser les régimes spéciaux qui coûtent chers au pays et ne sont pas justifiés. Dans un second temps, la valeur du point sera calibrée pour que tout le monde ait intérêt à ne pas prendre de retraite avant 65 ans ; chacun sera libre d’agir autrement mais à son détriment et non à celui du pays.
- Pour résoudre le problème d’une fonction publique excessive, Emmanuel Macron doit augmenter sa productivité d’une part et réduire l’excès d’embauches par les collectivités locales d’autre part. Pour cela il souhaite instaurer progressivement un salaire au mérite pour les fonctionnaires et en coupant l’accès des collectivités locales à une hausse de la taxe d’habitation, il contrôlera mieux leur niveau de dépenses.
Comme j’ai essayé de l’expliquer dans la première partie de cet édito, l’actuel quinquennat est tourné vers la compétitivité de la sphère exposée de l’économie française.
Beaucoup d’indices montrent que la préparation de la réforme de la sphère non exposée de l’économie française est déjà en cours au travers de mesures qui agiront en profondeur mais qui sont moins visibles, comme la tectonique des plaques.
J’ai donc bon espoir qu’à terme une baisse structurelle des prélèvements obligatoires soit possible en France. Mais pour cela, il manque encore une réforme profonde du système de santé dont il n’y a aucun signe aujourd’hui.
Nous la guettons chez Hiboo comme le veilleur guette l’aurore.