S’alimenter en électricité verte, et pourquoi pas ?
Les offres « vertes » sont de plus en plus présentes sur le marché : de nouveaux acteurs français et européens prennent des parts de marché qui appartenaient auparavant à EDF et Engie. Cependant, êtes-vous sûr que l’énergie que vous consommez a été produite par une éolienne en France ? Êtes-vous prêt à payer plus ou moins cher pour ces offres et comment vont-elles évoluer dans le futur ? Entre greenwashing, production financée par l’État et ouverture au marché européen, démêlons les problématiques de l’énergie renouvelable.
Saviez-vous qu’il existe actuellement en France une quarantaine de fournisseurs d’électricité dont la moitié propose exclusivement des offres « vertes » ? Je vous l’accorde, Engie, EDF, Butagaz ou encore ENI sont les fournisseurs les plus connus, mais depuis les années 2000 et l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité, de nombreux acteurs régionaux ou européens les ont rejoints, s’appuyant sur des offres tarifaires proches des concurrents historiques mais mettant en valeur l’énergie renouvelable produite localement. Selon la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE), de 2018 à 2020, la part de marché des fournisseurs alternatifs (autres qu’EDF ou Engie) pour le marché résidentiel est passée de 18,9% à 26,9% - c’est un bond considérable. Que sont les offres « vertes » ? Comment peut-on s’assurer que ces offres financent bien les énergies renouvelables et non les énergies fossiles ? Enfin, pourquoi la part de marché des fournisseurs alternatifs évolue autant à la hausse depuis les dernières années ? C’est ce que nous allons voir dans cet édito.
Les offres vertes et les garanties d’origine (GO)
EkWateur, Ilek ou encore Urban Solar sont des fournisseurs d’électricité au même titre qu’EDF mais qui proposent des offres exclusivement vertes, c’est-à-dire des offres qui garantissent que votre consommation d’électricité sera réinjectée dans l’année (bientôt dans le mois) en énergie renouvelable (hydraulique, solaire, éolien ou autres). Cependant, le marché des énergies renouvelables ne s’arrête pas là et est bien plus compliqué à comprendre que l’énergie nucléaire ou fossile. En effet, comment feriez-vous pour distinguer les électrons qui circulent sur le réseau entre ceux qui ont été produit par une centrale nucléaire ou ceux qui ont été produit par une centrale hydraulique ? Enfin, comment être sûr qu’une offre que vous allez souscrire permet bien de rémunérer les producteurs d’énergie renouvelable et a posteriori, des producteurs français ? Ce système s’est complexifié à nouveau lors de l’ouverture à la concurrence européenne de la vente d’énergie renouvelable. Il est aujourd’hui possible, par exemple, qu’EDF achète de l’énergie renouvelable moins chère, ailleurs qu’en France, et vous la revende. Il faut donc se poser la question du greenwashing mais nous y reviendrons.
Nous avons défini ce que sont les offres vertes et nous avons vu quelques problèmes qui ressortent. Pour faire face à ces difficultés, une directive européenne a mis en place le système de garanties d’origine (GO) en 2009, suivi par des ordonnances de l’État français à partir de 2011[2]. Ces garanties d’origine sont des documents virtuels qui représentent une quantité d’énergie produite de façon renouvelable. Elles ont pour particularité d’avoir une certaine durée de vie (d’un an) et de garder pendant cette vie toutes les informations qui permettent de tracer l’énergie produite – pays d’origine, lieu de production, etc.
La vie d’une GO suit cette boucle :
- Création du GO lors de sa demande par le producteur ( 1 GO équivaut à 1MWh ).
- Vente du GO avec ou sans l’énergie qui lui est liée.
- Valorisation de la GO auprès du consommateur final ce qui la détruit, mais affirme que l’énergie consommée a été au moins injectée sous forme renouvelable dans le réseau.
Pour gérer ce nouvel outil, l’État français a délégué cette tâche a une compagnie privée : PowerNext (intégré à EEX). Cette société (qui a par ailleurs un passé et un présent dans les marchés de gaz naturel) est responsable du registre de toutes les GO. L’entreprise a par ailleurs la gestion de l’inscription de nouveaux fournisseurs qui demandent d’utiliser le système des GO. Enfin, depuis l’an dernier, PowerNext a mis en place un système d’enchères publiques pour revendre les GO et les revaloriser en France pour aider les ventes qui étaient jusque-là privées.
Enfin, il faut savoir que le marché des GO est un marché européen (réseau AIB). Comme nous l’avons dit plus haut, il est possible pour un fournisseur français d’acheter des GO norvégiennes, et, comme le marché dépend de l’offre et de la demande, certains pays produisent plus de GO qu’ils n’en consomment, faisant alors varier le prix local. La France, par exemple, produit environ un dixième des GO européens[5] mais nous produisons plus que nous consommons, ainsi, les prix des GO français sont très faibles environ 20c€/MWh sur le marché national pour les chiffres publics alors qu’aux Pays-Bas le prix approche les 3€/MWh. Cela peut être traduit par le fait que les Néerlandais sont prêts à payer plus cher leur énergie pour développer leur renouvelable.
De plus, nous n’en avons pas encore parlé mais à quoi servent les GO pour les producteurs ? Ces GO sont des compléments de revenus qui représentent environ 1% de bénéfice. Ainsi, c’est finalement un complément pour investir dans ces producteurs qui en ont besoin et rendre viables ces énergies. Cependant, la note augmente aussi pour les consommateurs finaux et c’est ce que nous allons regarder juste après. Par ailleurs, la production étant jusqu’alors bien plus chère que l’énergie de base, l’État a décidé depuis les années 2000 de mener une politique de soutien économique qui a été estimé en 2017 à 4,5 milliards d’euros. Si l’État arrête cette politique de soutien et que les prix de production (éolien, solaire en particulier) ne baissent pas, alors la France ne pourra pas assurer une production locale d’énergie renouvelable pérenne.
Finissons cette entrée en matière en revenant sur la possibilité pour un fournisseur d’énergie d’acheter en même temps ou non les garanties d’origine et l’énergie associée. Cette distinction est très importante car elle permet de savoir si l’entreprise fait du greenwashing ou non. Ainsi, Greenpeace, par exemple, a mis en place une terminologie telle que les contrats dit « standards » sont les offres pour lesquelles les fournisseurs n’achètent pas l’énergie en même temps que les GO. Dans ce cas-là, on voit que la plupart des GO achetées viennent de centrales hydrauliques européennes[1]. Les autres, celles qui combinent achat de GO et achat d’énergie en groupe, c’est-à-dire celles qui favorisent la production locale française, sont les offres dites « premiums ». Nous allons les comparer ci-dessous.
Qui propose des offres vertes ?
Pour toutes les offres que je compare ci-dessous, je me base sur un ménage avec une consommation moyenne dans un appartement récent en région parisienne. Les prix et les contrats varient bien sûr sur tout le territoire mais il sera déjà possible de déceler certaines tendances de fond.
Trouver un contrat d’électricité n’est pas une mince affaire car, entre les fournisseurs historiques que l’on n’a jamais voulu changer, les grands groupes qui se lancent dans la course comme E.Leclerc et les plus petites entreprises locales, faire un choix relève d’une analyse approfondie et pas toujours transparente. Dans ma simulation qui est mise en place gratuitement par le gouvernement [3], nous obtenons quatre-vingt-six offres de la part de trente-cinq fournisseurs avec toutefois des différences de prix jusqu’à 40% plus cher entre les premiers prix et les derniers.
Voici le graphique qui suit la répartition par tranche de prix des contrats que l’on me propose (sans réduction) :
Il y a beaucoup à dire rien que sur ce graphique et nous allons lister les points les plus importants :
- Premièrement, sur l’ensemble des contrats proposés, 70% des offres sont 100% renouvelable (nous reviendrons sur ce que veut dire 100% renouvelable plus tard), 27% sont 0% renouvelable et le reste correspond à un mix variable. Ces chiffres sont impressionnants car on ne pourrait pas penser à fortiori qu’il y ait autant d’offres 100% renouvelable. Pour comprendre cela, on remarque l’apparition d’une multitude de nouveaux fournisseurs qui se basent sur des offres exclusivement renouvelables.
- Ensuite, les prix des offres vertes sont les mêmes que les offres grises. On aurait en effet pu penser que les offres vertes soient plus chères car elles demandent un investissement fort et subissent des coûts fixes importants. Pourtant, il vient même que le prix moyen des offres vertes est de 736€ alors que la moyenne des prix des offres grises est de 739€ soit 0,4% plus chères (hors promotion). Pourquoi les clients restent-ils sur des offres basiques alors que, pour les mêmes garanties, les nouveaux fournisseurs proposent des tarifs plus intéressants ? Un des points capital est le manque de visibilité.
- Enfin, regardons les fournisseurs qui proposent à la fois des offres vertes et des offres grises comme EDF. Il vient que les offres vertes chez eux soient environ 2% plus cher. Il vaut mieux donc préférer un fournisseur qui ne propose que des offres 100% renouvelable.
Nous avons vu que les offres sont avantageuses pour les particuliers qui souhaitent passer à des offres 100% renouvelable, mais regardons de plus près en France et en Europe d’où provient cette énergie. D’après les chiffres publics donnés par les fournisseurs, nous pouvons construire le graphique suivant :
On remarque que la production est majoritairement hydraulique - ce sont d’ailleurs les GO produites par ces centrales qui sont majoritairement achetées par les fournisseurs d’énergie. L’Agence de l’Environnement et de la maitrise de l’Énergie (ADEME)[1] conclut que cette production hydraulique européenne est la première importation de GO en France, production qui a la particularité d’avoir été amortie depuis de nombreuses années. Ces importations sont par ailleurs l’atout qu’utilisent certains fournisseurs pour verdir leur production grise comme nous le faisions remarquer dans l’édito sur Total.
Greenwashing ?
Revenons alors sur ce que veut dire le « 100% renouvelable ». Comme nous l’avons dit en première partie, un fournisseur peut vendre de l’énergie renouvelable s’il a acheté l’équivalent en GO de la consommation de ses clients. Cependant, comme nous l’avons vu, il peut tout aussi bien acheter des GO en Europe plutôt qu’en France et c’est pour cela que la distinction entre des offres « standards » et « premiums » a été mise en place. Pour savoir à quoi correspond le 100%, il faut donc d’une part savoir quelle est la source de l’énergie, comme nous l’avons vu plus haut, mais aussi sa provenance. Cette dernière peut être tracée avec ces chiffres publics[3] :
On remarque que seuls la moitié des contrats d’énergie 100% renouvelable déclare utiliser de l’énergie française. On peut par ailleurs penser sans mal que les fournisseurs qui ne veulent pas donner d’informations quant à la provenance de leurs GO les achètent justement hors de France, ce qui rééquilibre à 50/50 les contrats qui utilisent de l’énergie française et ceux qui importent des GO d’autres pays que la France, ce qui implique donc que ces entreprises financent l’implantation des outils de production en Europe mais pas en France.
Dans le guide de l’électricité verte de Greenpeace[4], l’ONG met en avant les bons et les mauvais élèves du greenwashing. En particulier, depuis 2017, plusieurs évolutions ont été perçues : les efforts se sont accrus pour se tourner vers le renouvelable et les entreprises déclarent de plus en plus des politiques d’investissement volontaristes. Cependant, les grosses industries européennes : EDF, Iberdrola (Espagne), Vattenfall (suède) plombent toujours les efforts pour le moment.
D’après les recommandations faites par cette étude, nous avons voulu comparer le prix des offres des bons fournisseurs par rapport au mauvais. En conclusion, les offres « premiums », celles qui mettent le plus en avant le renouvelable, sont environ 4% plus chères, celles « en bonne voie » sont 1,3% moins chères et les offres « à la traine ou mauvaise » sont 1,5% moins chères que la moyenne. On peut donc en conclure que pour investir dans les ressources naturelles et durables, il faut environ rajouter 5€ par mois sur sa facture d’électricité, très peu face aux défis de la ressource.
Le marché des énergies renouvelables est donc pris en étau entre diverses problématiques : l’État épaule avec des subventions les petits producteurs pour rééquilibrer les coûts fixes qui diminuent mais très progressivement ; le marché étant européen, les fournisseurs utilisent des portes dérobées pour vendre des produits qui ne rapportent pas au marché français et qui causent un problème de transparence de communication ; pourtant, les études montrent que les Français sont prêts à payer plus cher leur facture pour améliorer sa provenance. Cette équation doit être simplifiée et plus transparente pour que les nouveaux acteurs dits « premiums » récoltent les fruits d’une production durable et locale.
Bibliographie :
[1] ADEME agence de la transition écologique, Les avis de l’ADEME – Les offres d’électricité verte, décembre 2018
[2] Journal Officiel, Ordonnance n° 2011-1105 du 14 septembre 2011 portant transposition des directives 2009/28/CE et 2009/30/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 dans le domaine des énergies renouvelables et des biocarburants, 14 septembre 2011
[3] Le médiateur national de l’énergie, 20 novembre 2020, https://comparateur-offres.energie-info.fr/
[4] Greenpeace, Le guide de l’électricité verte, novembre 2019
[5] ADEME, Étude sur l’évolution de l’offre et la demande en garanties d’origine en France, mai 2020
[6] Commission de Régulation de l’énergie, Le fonctionnement des marchés de gros de l’électricité et du gaz naturel 2019, juillet 2020