Seule une réponse coordonnée des États-membres de l’UE permettra de dépasser la crise
La crise du Covid-19 n’est pas seulement une crise du capitalisme mondialisé mais aussi une crise de gouvernance qui appelle les États à un meilleur exercice de leurs missions fondamentales, en commun et dans le cadre d’une mondialisation régionalisée.
La résilience des économies nationales varie selon leur modèle de gouvernance.
La crise sanitaire est un choc exogène qui s’est propagé par les chaînes de valeurs mondiales à l’ensemble de l’économie réelle, aux marchés financiers et aux États.
L’épidémie de Covid-19 a frappé de manière hétérogène, les pics épidémiques présentant un décalage temporel de quelques semaines. Les chaînes de valeurs rapidement ont propagé le choc d’offre, localisé initialement à la Chine. Les mesures de lutte contre le virus ont entraîné un choc de demande, qui n’est cependant pas homogène : une demande importante continue d’être adressée à certains biens, notamment alimentaires ou sanitaires. Les marchés financiers ont été touchés par des canaux variés, entrainant une importante correction assortie de sorties de capitaux des pays émergents qui achevèrent de propager le choc économique à une vitesse bien supérieure à celle de la contagion.
Ce choc exogène conjoncturel bouleverse un modèle mondialisé basé sur la spécialisation géographique, entrainant une propagation des chocs le long des chaînes de valeurs mondiales, qui sont aussi des chaînes de paiement inversées (Pozsar et Sweeney, 2020) répercutant vers l’amont l’impact de l’arrêt des flux de paiements correspondant à l’arrêt des flux de marchandises.
La crise sanitaire peut être amplifiée par les caractéristiques structurelles de certains modèles de gouvernance.
Dans un précédent édito ont été traitées les faiblesses structurelles du modèle autoritaire chinois, où l’information circule mal. Un retard irrattrapable a ainsi été pris dans la réaction à la contamination initiale.
Un autre modèle de gouvernance, américain, présente des lacunes qui pourraient accélérer la propagation du virus.
Selon l’étude précitée du National bureau of Economic research, l’instauration d’un congé maladie obligatoire aux États-Unis réduirait de 11% par semaine les infections grippales dès la première année. La propagation du Covid 19 étant plus rapide que celle de la grippe, il apparaitrait que le congé maladie soit, à l’échelle de la société, une mesure barrière particulièrement précieuse : le jour de carence fut ainsi suspendu, en France comme en Angleterre, afin de lutter contre l’épidémie en favorisant le confinement des travailleurs contagieux.
La réponse étatique doit se limiter à un soutien contra-cyclique visant à maintenir le potentiel de croissance, si possible à l’échelle européenne.
La puissance publique doit se concentrer sur ses missions fondamentales d’allocation, de redistribution et de stabilisation.
Les politiques gouvernementales doivent poursuivre un triple objectif : garantir la continuité des secteurs essentiels et des services publics, assurer un minimum de ressources à leurs citoyens et préserver le potentiel de croissance (FMI, 2020).
Le premier objectif ne pose pas à ce stade de problèmes majeurs dans les pays développés, qui disposent si nécessaire d’outils juridiques tels que la réquisition permettant la continuité des services essentiels. Il n’en va pas de même dans les pays moins avancés, où l’affaiblissement d’infrastructures publiques déjà insuffisantes pourrait mettre en danger les populations.
L’objectif de redistribution, horizontale (au sein de la même catégorie, par exemple l’assurance chômage) comme verticale (entre différentes catégories, par exemple au moyen d’impôts progressifs) poursuit un objectif double. Il s’agit d’abord d’assurer aux personnes confinées de disposer des ressources nécessaires pour traverser la crise.
Il s’agit par ailleurs de s’assurer que la demande adressée par les ménages soit forte après la crise afin de soutenir la croissance. La consommation finale des ménages, en 2018, assurait en France 52% du PIB. Elle est actuellement inférieure de 35% à sa normale en année glissante selon l’INSEE. L’objectif de stabilisation du cycle économique a pour objectif, en bas de cycle, de se prémunir des destructions de capital physique comme humain. A mesure que les capacités de production se retrouvent sous employées, l’output gap se creuse[1]. Selon l’INSEE elles seraient actuellement utilisées aux 2/3 avec des hétérogénéités sectorielles. Le coût du choc de production entrainé par chaque mois de confinement serait en outre de 3 points de PIB annuel. Si ces pertes n’entrainent pas de destructions de capital physique et humain, un effet de rattrapage pourrait être observé en sortie de crise. Une partie de la croissance perdue serait rattrapée, certaines consommations ayant été reportées. Certaines consommations ne pouvant l’être, ce rattrapage ne serait pas total. Les mesures de chômage partiel ou les aides à la trésorerie des entreprises s’inscrivent dans un raisonnement de ce type.
Les États doivent se garder de deux risques : le premier serait une extension du secteur protégé sous la pression d’une crise momentanée. Rapatrier des productions à faible valeur ajoutée, non rentables du fait des coûts de production français et subventionnées car perçues comme stratégique serait une erreur. Les activités du secteur protégé (par opposition au secteur exposé à la concurrence) ne génèrent pas de progrès technique, qui, seul, dans un État à la frontière technologique tel que la France, permet d’augmenter le potentiel de croissance. Le stockage de masques chirurgicaux en quantités suffisantes permettrait de répondre à une crise prochaine à bien moindre coût qu’en créant une capacité de production nationale comme certains le proposent. L’exemple de la gestion stratégique du pétrole, bien que nous ne pouvons produire mais que nous pouvons stocker et dont nous pouvons diversifier les fournisseurs, pourrait inspirer la future gestion des biens médicaux.
Le second écueil consisterait en le financement d’entreprises non viables, qualifiées d’entreprises zombies. Au mieux, ces dernières immobilisent inutilement du capital qui devrait être réalloué. Au pire, elles sont un facteur de risque systémique puisqu’elles feront défaut sur leur dette, qu’elles ne peuvent rembourser qu’en s’endettant à nouveau du fait de la faiblesse des taux, dès que ceux-ci croîtront à nouveau. La fourniture de liquidité gratuite par les banques centrales aux entreprises, entamée aux États-Unis, ne doit pas amplifier ce phénomène au risque de fragiliser les bilans des créanciers publics.
L’intervention étatique devra enfin durer le moins longtemps possible. Son amortissement devra être étalé dans le temps au moyen d’un remboursement progressif des créances détenues sur les acteurs économiques, qui permettra de minimiser les taux de défaut, et d’un endettement à long-terme des États si nécessaire auprès de leurs banques centrales. Les déficits massifs qui génèreront cette dette, permis par la suspension inédite des règles budgétaires européennes, devront être limités dans le temps au risque d’entraîner une dégradation des notations des obligations souveraines, comme l’illustre la dégradation en fin de semaine dernière par l’agence Fitch des obligations souveraines britanniques, en raison de la politique budgétaire expansive du royaume et des mesures de lutte contre les effets du Covid-19. L’augmentation de l’endettement souverain ne posera problème qu’en cas de hausse des taux. En Europe, la BCE semble à même de contenir la hausse du spread souverain comme elle s’y est finalement engagée au terme de déclarations contradictoires du président Lagarde.
Les États-membres de l’Union européenne doivent penser la sortie de crise dans un cadre d’endettement et de croissance européen.
La crise passée, ses effets sur le commerce mondial et sur l’endettement public dureront et deviendront structurels. L’échelle la plus pertinente pour les traiter sera européenne pour deux raisons.
Le cadre de retour à la croissance sera européen car un repli régional du commerce est à anticiper. Cette tendance n’est pas une nouveauté : 60% du commerce des États-membres de l’Union européenne était déjà intra-zone avant le choc. Cette tendance ne sera pas absolue et ne marque pas la fin de la mondialisation de l’économie réelle : la théorie des avantages comparatifs trouvera toujours à s’appliquer, seulement son cadre sera celui d’une mondialisation plus régionale, où les échanges régionaux s’intensifieront et les échanges inter-régionaux décroîtront. Le modèle de l’équation de gravité appliqué au commerce international (Isard 1954) pourrait représenter cette mondialisation régionale : les relations commerciales y dépendent de la taille des économies commerçant entre elles ainsi que de la distance les séparant. Ce modèle permet de dessiner des pôles régionaux, entre lesquels des flux continueraient à exister pour autant qu’ils soient justifiés par un avantage comparatif suffisamment déterminant. Ainsi, une recomposition et un rapprochement géographique des chaînes de valeur mondiales, n’entraînant pas nécessairement leur raccourcissement, pourrait avoir lieu mais en aucun cas leur disparition.
Le cadre d’endettement pertinent est européen car il existe une solidarité de fait entre les États-membres de la zone euro : aucun membre de cette zone économique fortement intégrée n’a intérêt à un défaut de son voisin. Le spread souverain doit par conséquent demeurer faible, proche du taux allemand dit sans-risque.
Le choc sanitaire engendré par le Covid-19 s’est rapidement propagé à l’économie réelle et aux États, qui sont structurellement plus ou moins biens armés face à cette crise. Leur action, qui doit être limitée et brève, aura un coût : le service d’une dette publique accrue par l’approfondissement des déficits. Afin de maintenir ce coût à des niveaux soutenables, l’adoption d’un mécanisme européen semble pertinente, d’autant plus que le rattrapage économique aura lieu dans le cadre européen d’une mondialisation plus régionale qu’avant crise.
[1] Cet indicateur mesure la différence entre la croissance actuelle de l’économie et le niveau de croissance soutenable sans tensions inflationnistes sur le marché du travail, son estimation permet de situer l’économie nationale dans le cycle.
Sources :
Crédit Suisse, Global Money Notes #27, Covid-19 and Global Dollar Funding, Pozsar & Sweeney 2020.
National Bureau of Economic Research, The Pros and Cons of Sick Pay Schemes: Testing for Contagious Presenteeism and Noncontagious Absenteeism Behavior, Stefan Pichler & Nicolas R. Ziebarth, 2016.
IMF Blog, Economic Policies for the COVID-19 War, Giovanni Dell’Ariccia, Paolo Mauro, Antonio Spilimbergo, and Jeromin Zettelmeyer, 2010.
VoxEU, Some micro/macro insights on the economics of coronavirus. Part 1: Impact assessment and economic measures, Gollier & Straub, 2020.