Accord UE-UK : d’un ensemble d’institutions à un autre
L’accord commercial (1) conclu in extremis entre le Royaume-Uni et l’Union européenne permet d’éviter un brutal retour aux règles commerciales de l’OMC. Ce document, provisoire, doit désormais être ratifié par les États-membres de l’UE, le Parlement européen et le Conseil européen.
Cet accord, incomplet, établit une nouvelle mécanique institutionnelle sur mesure assurant le règlement des différends éventuels. Les négociations permanentes visant à le compléter renforceront l’influence de l’exécutif britannique au lieu de promouvoir celle du Parlement de Westminster comme le souhaitaient initialement les Brexiteers.
L’accord incomplet entre le Royaume-Uni et l’Union européenne établit une nouvelle mécanique institutionnelle.
L’accord commercial comporte 3 piliers : le libre échange des biens, le level playing field qui en est la condition et la question des droits de pêche.
L’absence de droits de douane pour les biens ne signifie pas pour autant l’absence de barrières non tarifaires aux échanges : le Royaume-Uni a bien quitté le marché unique. A ce titre, des manifestes douaniers devront accompagner les produits. La complexité des nomenclatures douanières, comportant plusieurs milliers de positions possibles, pourrait décourager les plus petites entreprises et constituera certainement un impôt papier en engendrant des couts administratifs supplémentaires(2).
Certains types de produits, notamment alimentaires, devront être accompagnés de certificats vétérinaires et d’analyses de composition, réalisées en laboratoire.
La sortie du Royaume-Uni du marché unique est susceptible de réduire la part de ses exportations à destination de l’UE. La création d’une union douanière suscite un effet dit de diversion(3), bien documenté dans le cas du marché européen(4) : les produits d’un producteur se trouvant dans l’Union douanière se trouvent favorisés par rapport aux produits d’un producteur externe, quand bien-même ce dernier proposerait des produits plus compétitifs toutes choses égales par ailleurs.
Les barrières non tarifaires que l’accord mettra en place seront en effet susceptibles de constituer un impôt papier à l’exportation et de faire en outre diminuer la part de marché export du Royaume-Uni vers l’UE en rendant ses producteurs moins compétitifs. Cet accord de libre-échange des biens constitue donc une situation sous-optimale par rapport au statu-quo ante.
La question du level playing field vise à éviter les distorsions de concurrence entre les producteurs britanniques et les producteurs de l’Union. Elle est nécessaire à la conclusion d’un accord de libre-échange.
L’accord couvre trois grands domaines dans cette matière : les aides d’État, l’environnement et le droit du travail.
Le régime d’encadrement des aides d’État européen est parmi les plus restrictifs du monde et repose sur une notification préalable à la Commission européenne au-dessus d’un certain seuil, le Conseil pouvant y déroger à l’unanimité des États-membres. Le régime que le Royaume-Uni mettra en place devra être équivalent, afin d’éviter une concurrence déloyale d’entreprises bénéficiant de conditions de financement plus favorables.
En 2018, le Royaume-Uni faisait partie des pays de l’Union versant le moins d’aides d’Etat (moins de 0,4% du PIB(5) soit moitié moins que la France).
Le traité commercial entre le Royaume-Uni et l’UE comporte des clauses restrictives s’appliquant à toute aide publique supérieure à 350 000 livres sur 3 ans proches de celles en vigueur dans l’UE, notamment un contrôle de proportionnalité des aides et une approche coût bénéfice à l’échelle du marché formé par les parties au traité.
Un chapitre du traité traite de l’environnement et vise à éviter toute tentative de concurrence par le moins disant en la matière.
Ce chapitre consacre des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre ainsi qu’une clause de non-réduction de la protection de l’environnement. Les outils de mise en œuvre de ces objectifs resteront à la discrétion des parties et un panel d’experts ad hoc sera chargé d’émettre des recommandations non contraignantes en cas de litige.
Dans le même esprit, un chapitre porte sur le droit du travail et la protection sociale. Il met également en œuvre une clause de non-régression et un panel d’expert ad hoc à même d’émettre des recommandations.
La question des pêcheries, sensible politiquement dans un pays dont l’insularité est un trait dominant, a fait l’objet d’un accord prévoyant une réduction de 25% des prises européennes au terme d’une période de transition de 5 ans.
Les négociations annuelles visant à attribuer des quotas cohérents permettant d’assurer la pérennité de la ressource se poursuivront.
L’accord introduit une nouvelle mécanique institutionnelle entre le Royaume-Uni et l’UE.
Outre les comités ad-hoc compétents en matière de protection des travailleurs et de l’environnement, l’accord prévoit également la mise en place d’un système de règlement des différends dans l’application de l’accord.
Les négociateurs européens n’avaient initialement pas souhaité la mise en place d’un tel mécanisme et auraient préféré maintenir la juridiction de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), que les britanniques refusaient.
Cette insistance trouvait sa source dans un principe jurisprudentiel de droit européen fondamental : le monopole d’interprétation du droit de l’Union dont jouit la CJUE afin d’assurer son unité. Pour vérifier l’équivalence de normes britanniques et européennes il faudra en effet les interpréter, afin de discerner l’équivalence de l’esprit au-delà des divergences de la lettre.
La mise en place de ce système de règlement des différends, classique dans les accords de libre-échange de nouvelle génération, traduit ainsi une réelle concession de la part du négociateur européen.
La construction d’un accord de libre-échange entre le Royaume-Uni et l’UE leur évite cependant de revenir aux règles commerciales standard de l’OMC pour le commerce des biens : c’est là son principal mérite. Il s’accompagne de la mise en place d’institutions chargées d’assurer la bonne application de l’accord et le bon déroulement de la relation commerciale post-Brexit.
L’accord, qui ne traite pas du commerce des services, est incomplet et source d’insécurité juridique : il devra être étendu.
L’accord ne traite pas du commerce des services, qui comptent pour l’essentiel du PIB britannique.
Les échanges de biens constituaient 58% des exports britanniques vers l’UE en 2019 contre 42% pour les services. La balance commerciale des échanges entre l’UE et le Royaume-Uni était en 2019 déficitaire pour ce dernier à hauteur de 79 milliards de livres et se composait d’un déficit de 97 milliards de livres pour les échanges de biens et d’un excédent de 18 milliards de livres pour les échanges de services(6).
L’effet de diversion des flux commerciaux précédemment exposé jouera à plein du fait de l’absence d’accord de libre-échange en matière de services, or le secteur tertiaire représente 80% du PIB britannique : la contraction des exports à destination du « continent » leur sera particulièrement dommageable et comptera pour beaucoup dans les 4 points de PIB que le Brexit aura couté à horizon 2030 au Royaume-Uni selon l’Office for Budget Responsability.
Le Royaume-Uni a déployé une énergie particulière à défendre la pêche, dont la contribution totale au PIB britannique est équivalente à celle du seule magasin Harrod’s. Ce capital politique aurait peut-être été plus judicieusement dépensé à négocier des clauses relatives au commerce des services.
Les services financiers, particulièrement sensibles du fait du rôle de premier plan qu’occupe la City dans l’UE, perdront leur accès aux passeports européens permettant aux banques et compagnies d’assurances d’opérer dans tout le marché unique. Une période de transition s’étendant jusqu’à 2022 s’applique aux activités de compensation en euros, dont 90% sont actuellement réalisées à Londres. Ce délai vise à permettre l’émergence d’alternatives dans l’Union.
Les États tiers au Marché Unique et à l’AELE (Association européenne de libre-échange) ne peuvent détenir les passeports que le Royaume-Uni détenait jusqu’à présent. Un système d’équivalences existe cependant, après un constat d’alignement des législations, mais ne permet pas d’accès aussi large que le système de passeport.
Un protocole additionnel devra ainsi être négocié afin de faciliter le commerce de services, notamment financiers.
Les négociations permanentes visant à compléter l’accord feront naître une nouvelle classe de fonctionnaires-négociateurs au lieu de renforcer le pouvoir du Parlement de Westminster, comme le souhaitaient les Brexiteers.
Un des arguments principaux de la campagne du Brexit en 2016 était de « take back control » et de renforcer le pouvoir du Parlement de Westminster.
Le référendum sur le Brexit de 2016 marqua tout d’abord une mise à l’écart du Parlement, où une majorité n’aurait probablement pas été dégagée pour soutenir un tel projet. Une telle pratique, ancrée dans la tradition politique française depuis le bonapartisme, ne fait pas partie de l’ADN du système politique britannique parlementaire.
L’accord sur le Brexit a de plus été ratifié par le Parlement après que ses 1200 pages aient été étudiés pendant une journée. De tels délais minimisent très fortement la portée du vote des députés.
Les négociations futures qui auront inévitablement lieu afin de parvenir à un indispensable accord sur le commerce des services seront enfin menées par l’exécutif, même si les commissions parlementaires seront impliquées. Si elles sont menées dans les mêmes conditions qui ont amené à la conclusion du récent accord, elles amoindriront encore le rôle du Parlement britannique.
Le mécanisme arbitral et le level playing field concernant les aides d’État, l’environnement et les droits sociaux maintiendront enfin un relatif alignement des législations britanniques et européennes. Les évolutions réglementaires européennes devront être suivies par les britanniques afin de conserver le libre échange des biens et de négocier celui des services. Dans de telles conditions, le take back control des brexiteers doit être relativisé.
Comme le concluait un récent article de l’hebdomadaire The Economist(7), un courant centralisateur et favorable à un exécutif fort est actuellement au pouvoir au Royaume-Uni. À la faveur du Brexit, initialement présenté comme un moyen de renforcer le pouvoir du Parlement de Westminster, l’exécutif a renforcé son rôle. L’accord récemment conclu entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, dans sa lettre comme dans les modalités de sa ratification, renforce cette tendance.
L’accord de libre-échange conclu entre le Royaume-Uni et l’UE demeure largement incomplet : il ne couvre pas le commerce des services, dont le surplus commercial contribuait à réduire le déficit commercial des échanges de biens entre le Royaume-Uni et le continent. Le secteur tertiaire compte par ailleurs pour 80% du PIB britannique.
Cet accord provisoire et incomplet est source d’insécurité juridique, tant formellement que substantiellement : il crée en effet des institutions nouvelles dont le fonctionnement nécessitera du temps. Leur place dans l’environnement juridique européen singulièrement complexe soulève de nombreuses questions en droit. L’accord institue de plus des barrières non tarifaires significatives qui imposeront aux entreprises exportatrices britanniques un impôt papier substantiel sous la forme de nouveaux coûts administratifs.
Les modalités de conclusion de cet accord ainsi que les nécessaires négociations à venir qui le complèteront s’inscrivent dans un mouvement plus général de rééquilibrage des pouvoirs favorable à l’exécutif britannique. Ce phénomène constitue une double rupture : avec la tendance observée depuis l’entrée du Royaume-Uni dans les Communautés européennes d’une part, avec le temps long de l’histoire politique britannique d’autre part.