Difficultés et enjeux des constructeurs aéronautiques
Boeing et Airbus sont les deux constructeurs aéronautiques historiques. Avec chaque année de plus en plus de voyageurs, la demande d’avions grandi alors que les chaînes de production tournent déjà à plein régime. Plus de deux avions de ligne sont construits chaque jour. Parmi les crises, les obstacles et les difficultés, comprendre comment se positionner demain sur le marché est un enjeu primordial. Un édito de Arthur Playe.
Un rapport de l’ICAO (l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale) daté du 21 avril 2020 projette que la crise du coronavirus va remettre à zéro huit années de croissance du nombre de passagers transitant dans le monde par avion[3]. Un chiffre à retenir : 1.2 milliards de passagers vont rester au sol cette année[1], soit environ 1 sur 4[2]. Bien qu’il soit évident que les compagnies aériennes vont connaitre de nouvelles difficultés, nous allons cependant nous intéresser au maillon précédent. Quel est l’impact de cette crise et des dernières années sur les constructeurs aériens alors que leur carnet de commandes semblait rempli pour les dix prochaines années ? Comment le marché de l’aéronautique a-t-il évolué entre enjeux, grandeur et obstacles ? Nous tenterons d’apporter quelques éléments pour en discuter.
1° Airbus et Boeing, deux géants indétrônables ?
Airbus, premier constructeur aéronautique mondial, né de multiples fusions a réalisé un chiffre d’affaires de 55 milliards d’eurosen 2019, en progression de 14% par rapport à 2018[6]. Boeing, son concurrent américain, a lui enregistré un recul de son chiffre d’affaires passant de 52 milliards d’euros à 30 milliards entre 2018 et 2019 soit une baisse conséquente de 42% (revenu de leur partie aviation commerciale).
Comme on peut le voir sur ce premier graphique, bien que les deux courbes aient toujours suivi une trajectoire similaire, le carnet de commandes de l’avionneur américain s’est écroulé en l’espace d’un an alors que celui d’Airbus s’est maintenu. Comment un pilier mondial s’est-il retrouvé aussi bas ? Aussi peut-on se demander si de telles variations peuvent s’immiscer dans notre industrie européenne.
Commande nette chez Boeing (rouge) et Airbus (bleu) entre 1989 et 2019
Boeing a subi de multiples crises internes et externes qui l’ont mis coup sur coup au tapis. En effet, avec les désastreux accidents du 737 max, encore aujourd’hui cloué au sol, les défauts de qualité et la crise mondiale actuelle, l’avionneur chute et entraine avec lui des centaines de fournisseurs. Comme le disait M. Chirac : « Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille ». Fragilisé dans l’aéronautique, le géant américain a aussi accumulé les échecs dans le spatial avec par exemple sa capsule Starliner qui devait emporter des astronautes en 2020. Cependant, Airbus n’est pas non plus à l’abri. L’Allemagne avait refusé l’an dernier la livraison de deux A400M qui présentaient des défauts techniques.
Pourtant, de son côté, le marché ne cesse de grandir. D’après l’ICAO, 7.6 milliards de passagers transiteront en 2036 dans le monde[2]. Aujourd’hui, il est estimé qu’environ 25 000 avions sont en exercice et Boeing projette que 40 000 avions de plusseront nécessaires pour répondre à cette demande. Après de nombreuses transformations, les deux entreprises s’étaient fixés un objectif de production de 2 avions par jour. En 2018, ils ont certes atteint cet objectif mais ont de plus considérablement tendu la chaine d’approvisionnement
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En conséquence, toutes les imperfections en début de chaîne se retrouvent amplifiées en fin de chaîne. Les flux étant tendus, les difficultés en aval se répercutent très vite en amont. Comme on peut le remarquer sur le graphique des cours de bourse, les deux géants sont soumis aux mêmes variations. Les fournisseurs étant souvent partagés, un géant en entraine facilement un autre.
On sent irrémédiablement que l’offre a du mal, ou aura du mal, à suivre le marché et sans nouveaux acteurs, les deux géants se forcent à s’améliorer dans des domaines où ils sont déjà au plus fort de leur capacité ce qui ne leur laisse que très peu de marge de manœuvre. Des acteurs comme Comac (Commercial Aircraft Corporation of China) par exemple n’arriveront pas sur la scène mondiale avant plusieurs années. Les prochains défis de cette industrie sont forcément liés à la compréhension du marché, à son évolution et peut-être à sa transformation.
2° Un marché incertain et de nouvelles anciennes idées.
Un avion actuel est mis sur le marché avec une durée de vie estimée de 25 ans. Anticiper le marché est donc un avantage certain pour se positionner sur les nouvelles technologies à adopter. Cependant, regardez la différence entre un avion de la Première Guerre mondiale et les avions actuels. Un enfant vous dirait qu’ils n’ont pas changé.
En effet, sachant que la sécurité a toujours été un des points essentiels de l’aviation moderne, le fuselage monocouloir a toujours été le maitre mot, avec ses avantages mais aussi ses inconvénients. Par exemple, des études algorithmiques[8] ont montré que le temps de remplissage de ce type d’avion est très mauvais.
Une nouvelle étape dans l’industrie serait de virer de bord : adopter de nouvelles structures tout en gardant une sécurité proche des 100%. Le 11 février 2020, au salon de Singapour, Airbus a fait voler pour la première fois Maveric, un prototype qui change radicalement de format[9]. Maveric est une aile delta qui offre plus de capacité d’emport et des couloirs plus larges. Airbus met ainsi un coup de pression à son concurrent en améliorant en particulier l’aérodynamisme de l’aile qui, théoriquement, réduirait la consommation de carburant de 20%. Boeing de son côté, avait travaillé pendant dix ans avec la NASA sur ce concept, sans toutefois concevoir un appareil commercial.
Innover radicalement est honorable, mais les entreprises de toutes tailles n’ont pas forcément cet objectif en vue. Quels sont donc les moyens pour qu’elles continuent à être compétitives ? Aujourd’hui, il est commun de tomber dans les usines sur un concept qui provient d’Asie (et qui y est mis en place depuis longtemps) : l’innovation pas à pas tel que le Kaïzen par exemple.
Si l’on revient sur la distribution du cout d’exploitation d’un avion, on retrouve évidemment en premier le carburant, puis la maintenance. Les constructeurs aéronautiques vont tout faire pour réduire ses paramètres. Aujourd’hui, la R&T se concentre par exemple sur les nouveaux matériaux composites pour alléger la structure, sur l’utilisation de technologies de réalité augmentée pour faciliter les maintenances ou encore sur les moteurs hybrides qui sont de plus en plus puissants. De multiples améliorations que vous ne verrez pas en tant que consommateur mais qui réduiront drastiquement les coûts de production.
Mais vers où se tourne actuellement le marché ? Un avion toujours plus grand ? Non. L’arrêt définitif des chaînes de production de l’A380 montre que les très gros porteurs n’intéressent plus les compagnies aériennes, les trajets sont destinés à être de plus en plus nationaux. Un avion toujours plus rapide ? Peut-être. En effet, la course à la vitesse était l’un des défis du projet Concorde. Actuellement, ni Airbus ni Boeing n’envisage de développer des avions supersoniques commerciaux. De plus petites structures pourtant, ont relevé le défi et voient dans leur produit une réponse face à un segment de marché pour le moment non satisfait (Boom par exemple).
Pour terminer cet édito, retenons simplement ce chiffre : 7.6 milliards d’êtres humains transiteront demain dans le ciel. Les avions ne pouvant pas grandir indéfiniment, de nouvelles solutions seront envisagées. Au-delà des difficultés techniques, les constructeurs historiques devront faire face à la concurrence qui monte, à l’arrivée de nouveaux acteurs aériens comme les drones et aux enjeux tels que la cybersécurité. Afin de répondre à cette évolution, toute la chaîne de production doit rester en constante transformation et innover d’autant plus.
Bibliographie :
[1] ICAO, L’OACI prévoit une diminution potentielle de 1,2 milliard du nombre de voyageurs aériens internationaux d’ici septembre 2020, 22 avril 2020, https://www.icao.int/Newsroom/Pages/FR/Potentially-billion-fewer-international-air-travellers.aspx
[2] ICAO, Solid passenger traffic growth and moderate air cargo demand in 2018, 31 décembre 2018,
[3] Wikipédia, Number of passengers (1973-current), 30 mai 2018, Hsye2361,
https://fr.wikipedia.org/wiki/Transport_a%C3%A9rien#/media/Fichier:Airplanepassenger.png
[4] Statista, Size of aircraft fleets by region worldwide in 2018 and 2038, juin 2019, https://www.statista.com/statistics/262971/aircraft-fleets-by-region-worldwide/
[5] Wikipédia, Compétition Airbus - Boeing : commandes nettes d'avions (1989-2014), 23 avril 2020, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Commandes_par_constructeur_(1989-2014).svg
[6] Airbus Financial Results 2019 – press release, 13 février 2020, https://www.airbus.com/investors/financial-results-and-annual-reports.html
[7] Boeing 2019 Annual Report, https://investors.boeing.com/investors/financial-reports/default.aspx
[8] Experimental test of airplane boarding methods, Jason H. Steffen, 25 août 2011, https://arxiv.org/pdf/1108.5211v1.pdf
[9] Airbus, Imagine travelling in this blended wing body aircraft, 11 février 2020, https://www.airbus.com/newsroom/stories/Imagine-travelling-in-this-blended-wing-body-aircraft.html
(1) Airbus – Orders and Delivery Reports, de 2006 à 2019
(2) Boeing – Annual Reports, de 2006 à 2019
(3) Calculs moyennés pour un avion de ligne