ESG, finance durable… Bientôt une nécessité ?
Depuis plusieurs années déjà, le secteur financier commence à prendre en compte un certain nombre de considérations extra-financières, souvent regroupées sous l’acronyme ESG (Environmental, Social and Governance). Cette préoccupation autrefois réservée aux values-motivated investors (les investisseurs motivés par des valeurs morales) est aujourd’hui partagée par les value-motivated investors (les investisseurs motivés par la performance financière). Au-delà de cette prise de conscience de plus en plus généralisée chez les différents acteurs du marché, l’ESG devrait aussi gagner considérablement en importance dans un futur proche du fait d’évolutions réglementaires et institutionnelles.
Les investisseurs de plus en plus sensibles aux considérations ESG
Il suffit de voir l’évolution du nombre de signataires des PRI (Principles for Responsible Investment), des principes établis conjointement par des investisseurs institutionnels et l’ONU en 2005 ayant pour but de rendre le système financier plus durable, pour se rendre compte que l’ESG est aujourd’hui loin d’être une considération marginale et qu’elle se répand rapidement. Entre 2005 et 2015, 1500 investisseurs ont adopté ces principes (ce qui représentait en 2015 60 trillions de dollars d’actifs sous gestion), et on dénombre plus de 3 000 signataires en 2020 pour plus de 100 trillions sous gestion. D’autres indicateurs de cette prise de conscience sont par exemple le nombre d’utilisateurs de Bloomberg consultant des données ESG (5 000 en 2012 contre plus de 20 000 en 2019) et la multiplication d’indices et de fournisseurs de données et d’analyses sur ces sujets depuis quelques années.
Les raisons de cet intérêt pour l’ESG ne sont pas uniquement désintéressées. Dans un sondage réalisé par le CFA Institute, 63% des répondants (qui intègrent l’ESG dans leurs décisions d’investissement) disent prendre en compte ces aspects pour mieux gérer les risques, 44% disent le faire à la demande des clients et 38% parce qu’ils considèrent une bonne note ESG comme gage de qualité pour le management. Chez les répondants qui ne considèrent pas (encore) l’ESG, 47% donnent comme raison le manque de demande des clients. L’importance de l’ESG dans la gestion des risques est donc aujourd’hui largement admise, en particulier pour ce qui est du risque climatique. Comme l’a dit Larry Fink, CEO de Blackrock, le plus gros gestionnaire d’actifs au monde, « Le risque climatique est un risque d’investissement ». De même, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau disait début juin au Financial Times « Si en tant que gérant d’une institution financière, vous ne prenez pas en compte le risque climatique […], vous manquez à votre premier devoir, celui de préserver la stabilité financière. ». Enfin, Fink comme Villeroy de Galhau notent que les efforts des entreprises et des institutions pour réallouer le capital vers des investissements plus verts avaient été, malgré la crise sanitaire, plus grands et plus efficaces qu’espérés.
Les principes de l’investissement ESG
- L’exclusion
L’exclusion consiste à éviter des titres ou entreprises afin d’être en concordance avec des valeurs morales ou des normes internationales. Ainsi, un investisseur adepte de l’exclusion s’abstiendra de placer son argent dans des secteurs comme l’armement ou le tabac, s’il considère cela contraire à sa morale, ou dans des entreprises ne respectant pas certaines normes, comme par exemple celles de l’Organisation Internationale du Travail.
C’est la plus ancienne méthode, précédant largement l’apparition de l’acronyme « ESG » (en 2005 dans un rapport de l’ONU). Elle était utilisée dès les années 1920 par des fonds dits « éthiques », qui excluaient de leurs portefeuilles les sin stocks. Aujourd’hui, l’indice le plus utilisé pour l’exclusion est le All Country World Index Select Global Norms and Criteria de MSCI, qui exclut les entreprises ne respectant pas normes internationales pour les conditions de travail, les droits de l’homme, la corruption, le contrôle des armes et la protection de l’environnement. Les secteurs exclus sont l’alcool, les jeux d’argent, le tabac, l’armement et la pornographie.
- La sélection des Best in Class
Contrairement à l’exclusion qui élimine certaines entreprises ou secteurs, la sélection Best in Classconsiste à choisir les « meilleurs élèves » au sein d’un secteur. Les entreprises dans l’univers d’investissement sont notées sur différents critères et se voient attribuées une note finale, qui peut refléter aussi bien la performance ESG absolue ou la progression. Ne seront sélectionnées que les mieux notées.
Le principe de cette approche est qu’une entreprise bien notée est en principe mieux informée sur un certain nombre de risques, a une meilleure réputation, des salariés plus épanouis et est plus transparente. De même, une entreprise en forte progression devrait être à terme mieux vue par le marché.
- L’engagement actionnarial
Cette méthode consiste à faire pression et dialoguer avec le management d’une entreprise pour l’inciter à améliorer sa politique ESG. Plutôt que d’exclure ou vendre des titres dont les performances ESG sont décevantes, l’investisseur exerce son influence pour pousser l’entreprise à faire mieux. Cela peut prendre la forme de l’activisme actionnarial, et donc souvent d’une confrontation publique avec le management, ou d’un dialogue plus discret.
Les actions suivantes relèvent de l’engagement actionnarial : l’exercice du droit de vote, le dialogue avec le management au moyen de courriers, rencontres ou d’une question en AG, le lancement d’une campagne médiatique, le dépôt d’une résolution ou la demande d’une AG exceptionnelle ou encore la recherche d’une place au conseil d’administration.
- L’investissement thématique
Tout comme l’engagement, cette méthode n’est pas propre à l’ESG. Elle consiste à identifier des tendances à l’échelle macro, qu’elles soient industrielles (e.g. l’énergie verte), démographiques (e.g. la grey economy) ou propres aux envies des consommateurs (e.g. l’alimentation durable), et investir en conséquence. Dans le cas de l’ESG, il s’agit d’investir dans des domaines qui relèvent de la protection de l’environnement ou qui présentent une utilité sociale, comme les clean techs ou le recyclage des déchets.
- L’investissement à impact
L’investissement à impact consiste à rechercher au-delà d’une performance financière des retombées positives pour l’environnement ou la société. L’investisseur cherche tout de même à avoir un retour financier positif ou neutre (le modèle économique de l’entreprise doit être viable, il ne s’agit pas d’une ONG) mais il souhaite également mesurer et maximiser les bénéfices environnementaux, sociaux et sociétaux. On parle parfois de double ou triple bottom line investing (investissement pour un double ou triple résultat), tant les performances sociales et environnementales rivalisent d’importance avec le résultat financier.
- L’intégration ESG
L’intégration consiste à systématiquement et explicitement incorporer les risques et opportunités ESG dans l’analyse préalable à une décision d’investissement. Cette méthode diffère de l’exclusion car elle ne suppose pas de critères a priori pour être inclus ou exclus du portefeuille, et se distingue de la sélection Best in Classen cela qu’elle ne nécessite pas de comparaison au reste du secteur. L’intégration ESG est de plus en plus répandue, à des degrés divers, ne serait-ce que dans un souci de gestion des risques.
Une probable évolution de la réglementation et des institutions
Aujourd’hui, de nouvelles règles sont en cours d’élaboration pour renforcer davantage la dynamique ESG. François Villeroy de Galhau révélait dans le Financial Times que des discussions étaient en cours entre des gouvernements et les principales banques centrales et qu’un accord pourrait être obtenu pour la COP26 de Novembre afin d’imposer aux sociétés cotées de communiquer de manière standardisée sur les risques climatiques auxquels elles sont exposées. Des plans similaires étaient déjà en cours d’élaboration dans l’UE et au Royaume-Uni, et le gouvernement américain et la banque centrale chinoise ont déjà fait part de leur intérêt.
Au-delà de cette évolution réglementaire, les banques centrales commencent également à adapter leur politique monétaire à l’impératif climatique. La Banque de France a par exemple publié cette année les résultats de ses premiers stress tests des risques climatiques pour les institutions financières, une pratique qui pourrait se populariser dans d’autres pays. On note également la création en 2017 du Network of Central Banks and Supervisors for Greening the Financial System (NGFS), qui regroupe aujourd’hui 75 banques centrales (dont la BCE, la Fed et les banques centrales chinoises et japonaises) et dont la mission est d’aider à coordonner une réponse du système financier au défi climatique en mobilisant des capitaux et en gérant les risques associés à la transition. À la BCE, on parle aujourd’hui de décarboner graduellement le bilan de l’institution, c’est à dire de se débarrasser des obligations émises par les entreprises les plus polluantes et ne plus accepter d’elles de collatéraux, ce qui voudrait dire rompre avec le principe de neutralité (i.e. acheter les obligations privées dans les mêmes proportions que le marché en général) et risquer de provoquer des distorsions dans le marché. Une idée qui est aujourd’hui encore loin de faire l’unanimité au sein du NGFS, mais qui fait son chemin.
Ainsi, d’une lubie assez marginale, réservée à certains investisseurs soucieux de se plier à une certaine morale, l’ESG est devenue au début du XXIème siècle une considération répondant à un impératif climatique encore peu répandue mais encouragée par les gouvernements et les organisations internationales, et est aujourd’hui sur le point de devenir un des aspects indispensables aussi bien de la construction de portefeuille que de la politique des banques centrales. Même en ne s’intéressant qu’à la performance financière, il serait malvenu de n’y prêter aucune attention. On ne peut que s’attendre à voir l’importance de ces considérations grandir davantage avec l’obligation et la standardisation du reporting sur ces sujets et l’action des institutions financières.