Le Minotaure
Malgré sa croissance l’économie turque présente aujourd’hui deux fragilités, et ce que pourrait révéler la crise turque, ce serait d’abord la fragilité européenne. Et le problème n’est donc pas insurmontable, du moins sur le papier : le remède réside dans une politique budgétaire et monétaire plus restrictive.
L’économie Turque croît vivement : la croissance moyenne du PIB a été de 6,9% sur la période 2010-2017 (source : agence France Trésor).
Elle présente aujourd’hui deux fragilités : un niveau d’inflation trop élevé, attendue proche de 15% en 2018 et un déficit des comptes courants qui devrait être proche de 6%, toujours en 2018.
Ces deux fragilités sont liées : elles traduisent une épargne insuffisante. Comme aurait dit Raymond Barre, la Turquie vit au-dessus de ses moyens.
Le problème n’est donc pas insurmontable, du moins sur le papier : le remède réside dans une politique budgétaire et monétaire plus restrictive. Mais ce remède est contraire à la nécessité pour un gouvernement populiste de plaire à la population par une hausse continue du niveau de vie : La médication ne sera donc pas administrée.
Faute de remède, le malade développe donc une sérieuse fièvre, ce qui se traduit pour la Turquie par une chute de sa monnaie qui a deux conséquences :
- elle renchérit le coût des importations et par là l’inflation ; or la plupart des importations sont irréductibles puisqu’elles concernent essentiellement les hydrocarbures et les biens intermédiaires ou d’équipements nécessaires à la production industrielle. Comme le souligne la COFACE : « Au cours des quatre premiers mois de 2018, les exportations turques ont augmenté de 8,6 % par rapport à la même période de l'année précédente. Toutefois, comme les exportations dépendent d’intrants importés, les importations ont bondi de 20,8 % sur la même période .. »
- Elle fragilise le secteur productif, très endetté en devises étrangères et particulièrement en dollar : la dette à court terme du secteur privé non financier libellée en devises étrangères s'élevait à 50,5 milliards de dollars au premier trimestre 2018 (source COFACE).
Puisque la réponse du gouvernement turc n’est pas économique, elle sera politique :
- une aventure extérieure se profile : l’Europe ayant fermé sa porte à la Turquie, son destin pourrait prendre la forme d’un retour vers le califat : une montée de l’influence turque sur les populations sunnites syriennes et irakiennes d’une part et d’autre part une destruction du nouvel état kurde pourraient en être le premier acte ; si cette hypothèse devait se vérifier, il sera intéressant de mesurer l’efficacité de l’armée turque après les purges qu’elle a subies.
- Une chantage pourrait également être exercé à l’encontre de l’Europe : « vous soutenez mes finances ou je déverse mes 4 millions de réfugiés vers vos frontières ; si vous me soutenez et si vous n’intervenez pas contre l’extension de ma zone d’influence, alors au contraire je pourrai réinstaller les 4 millions de réfugiés en Syrie et vous libérer définitivement de ce risque. »
Au bout de la route, ce que pourrait révéler la crise turque, ce serait d’abord la fragilité européenne.
L’Europe dépend pour ses approvisionnements en pétrole et pour le contrôle des flux migratoires de la stabilité de l’Afrique et du moyen et proche Orient. Cette dépendance devient préoccupante à mesure du retrait progressif du shérif américain.
Voilà une histoire qui rappelle étrangement celle du Minotaure : l’Europe va devoir trouver un Thésée qui lui-même ne sera en mesure de libérer l’Europe de son tribu que s’il trouve une Ariane pour l’aider.
Mes chers lecteurs auront bien compris que Mr Erdogan devient le Minotaure et que l’Orient est le dédale. Je leur laisse deviner qui se cache aujourd’hui derrière Thésée et Ariane.
Pour revenir plus prosaïquement à la Turquie, s’il y a une réponse politique, le danger ne sera donc pas financier.
L’investisseur ne vendra donc pas ses actifs de bonne qualité sur les craintes actuelles des marchés concernant la Turquie, même si elles sont fondées.
En revanche, il devra être attentif à l’évolution de l’inflation aux Etats-Unis : les chiffres de juillet du département du travail américain révèlent une inflation annuelle qui croît au rythme de 2,9% et au rythme de 2,4% pour l’inflation sous-jacente (hors prix de l’énergie et de l’alimentaire), soit 0,1% de plus que le mois précédent.
A un moment, cette hausse de l’inflation pourrait engendrer une hausse des taux aux Etats-Unis : l’investisseur remarquera qu’il y a d’ailleurs une certaine proximité entre la politique économique de Mr Erdogan et celle de Mr Trump, mais que si la banque centrale Turque n’est plus indépendante, la FED l’est toujours. C’est donc bien d’une hausse, ou une anticipation de hausse, plus forte ou plus rapide qu’attendu des taux de refinancement de la banque centrale américaine que pourrait venir une réaction sur le marché obligataire US.
hiboo considère le marché obligataire US comme le marché directeur mondial et calcule le rendement des autres marchés obligataires à partir de primes de risque et non sur une base intrinsèque.
Si cette hypothèse de travail est correcte, alors une hausse du marché obligataire américain aura un impact d’autant plus fort sur le marché obligataire en euro que l’Europe, et donc l’euro, sera perçue comme faible : ce qui nous ramène à l’affaire turque.
Comme me le disait un cher ami, ancien dirigeant de l’une des plus brillantes sociétés de gestion et lui-même gestionnaire hors pair : un gérant ne doit jamais partir en vacances en août.