L’énergie : les choix cornéliens des décideurs
L’énergie est un très vaste sujet qui englobe de multiples aspects économiques, industriels, sociaux, environnementaux, géopolitiques…qui ont un impact sur notre vie personnelle et sur notre pays. La population n’appréhende généralement qu’une partie de tous ses aspects et, selon les convictions de chacun, les désirs des uns et des autres diffèrent grandement. Que doit-on faire pour gérer un pays dans un tel contexte ?
Ce n’est pas un scoop que de dire que le monde entier a pris conscience que notre mode de vie, et particulièrement notre consommation énergétique, a des conséquences néfastes sur notre environnement. Cette prise de conscience s’est accélérée depuis la COP21 qui s’est tenue à Paris en 2015.
Des pseudo-spécialistes en tous genres, des plus farfelus aux plus dogmatiques en passant par les plus rationnels, nous en font la démonstration très régulièrement. Leurs propos sont relayés par les médias, utilisés par les politiques, disséqués par les réseaux sociaux, commentés au café du commerce… et tout ceci, avec autant (voire plus) d’émotion que de raison. Ils ont le mérite de faire bouger les choses mais de façon souvent partisane, désordonnée voire outrancière, d’où il en ressort un ensemble difficile à comprendre pour le commun des mortels en manque d’une vue d’ensemble. Plus embêtant, beaucoup ont poussé les politiques à prendre des décisions dont certaines s’avèrent, avec le temps, plus néfastes que bénéfiques, y compris pour l’environnement !
Heureusement, depuis quelques mois, de nombreux ouvrages ont été publiés qui donnent une image beaucoup plus complète et beaucoup plus structurée de ce sujet complexe. De vrais experts (parmi lesquels on peut citer JM Jancovici qui a récemment publié un très bon livre-bd à ce sujet) font un travail remarquable pour clarifier beaucoup d’aspects et nous donner tous les éléments factuels nous permettant (1) de comprendre la problématique d’ensemble, (2) de nous forger une opinion équilibrée sur ce sujet, (3) de pouvoir critiquer à bon escient certaines décisions malheureuses qui furent prises soi-disant pour protéger l’environnement mais qui en fait ne le protègent pas vraiment et (4) de mieux promouvoir les actions à mettre en place immédiatement et arrêter de supporter celles qui ne servent à rien.
Mais au fait, pourquoi est-ce si complexe ? Tout simplement parce que modifier notre consommation d’énergie fait intervenir de multiples aspects et parce qu’il y a plusieurs objectifs à atteindre, dont certains sont incompatibles entre eux comme par exemple : Baisser notre consommation d’énergie ou protéger notre économie ? Fournir de l’électricité à prix raisonnable ou fournir de l’électricité verte aux consommateurs ? Protéger la faune et la beauté de nos paysages ou construire des éoliennes, ? Produire des biens agricoles pour alimenter la population avoisinante ou construire des fermes solaires sur nos terres arables ? Continuer à importer certaines de nos sources énergétiques ou bien vouloir être autosuffisant et donc devoir se concentrer sur le renouvelable ? …
Pour bien comprendre cette complexité, imaginons une grande table de mixage avec de très nombreux curseurs, chacun agissant sur un aspect particulier de ce problème complexe. De surcroit, il y a plusieurs opérateurs pour faire fonctionner cette table de mixage et aucun d’entre eux n’a les mêmes goûts ! C’est l’image que l’on doit avoir en tête lorsqu’on imagine un chef d’état gérant son pays. Il doit déterminer, pour chaque curseur, le bon dosage, quitte à modifier les dosages en cours de mandat afin de s’adapter à l’évolution rapide d’un monde qui ne cesse de bouger.
Les curseurs représentent l’emploi, la croissance, la démographie, la santé, la protection de l’environnement, le commerce international, les alliances géopolitiques, la sécurité des individus et des biens, la protection des institutions, … Il y en a des milliers et chacun d’entre eux est sous influence d’une partie de la population intéressée par le curseur en question, oubliant ou sous-estimant les autres et défendant, souvent férocement, ses objectifs.
Le rôle d’un chef d’état est donc de trouver des compromis pour chaque curseur entre les avantages et les inconvénients. Malheureusement, aucun compromis ne peut satisfaire l’ensemble d’une population ; d’une part parce que les désirs et les convictions sont différents d’une personne à l’autre, et d’autre part parce que beaucoup de gens ont du mal à avoir une vue d’ensemble ; ils sont souvent aveuglés par des considérations qui leur importent et oublient les autres.
Ainsi, au lieu de fustiger les décideurs, posons-nous des questions telles que : « Que devrais-je décider aujourd’hui si j’étais à sa place ? », « Quelles seront les conséquences de mes décisions sur les autres aspects de notre pays ? » ou bien « Comment mes décisions seront acceptées par mes concitoyens ? » ou bien encore « Que répondrais-je à mes concitoyens qui viendront manifester sous mes fenêtres car mes décisions ne leur conviennent pas ? ».
Concernant l’énergie, la majeure partie des gens reconnait que notre environnement s’est dégradé et qu’il faut le préserver. En revanche, les décideurs sont tiraillés entre des décisions contradictoires qui leur sont recommandées : les dogmatiques veulent arrêter immédiatement les énergies fossiles, les pragmatiques disent que c’est impossible et qu’il faut préférer un mix énergétique évolutif, les experts qui remettent en question les avantages et inconvénients de certaines énergies renouvelables, les industriels qui réclament de l’énergie pour faire fonctionner leurs industries, les chercheurs qui ne sont pas encore prêts à nous fournir des solutions économiquement, industriellement et écologiquement viables pour remplacer immédiatement toutes les énergies existantes, les agriculteurs qui doivent nourrir une population de plus en plus nombreuse, les particuliers veulent de plus en plus d’énergie pour leur confort, les commerçants qui veulent satisfaire les besoins de leurs clients français ou étrangers, les financiers qui doivent satisfaire aux besoins de financement des acteurs de l’économie et rentabiliser le patrimoine de nos concitoyens, les spécialistes de géopolitique qui ne souhaitent que nous soyons trop dépendants de certains pays producteurs/exportateurs et les politiques qui doivent satisfaire un maximum de gens, œuvrer pour le bien du pays et…se faire réélire !
Le secteur de l’énergie est donc confronté non seulement aux challenges décrits ci-dessus, mais aussi à une démographie croissante assortie d’une augmentation forte de la consommation d’énergie par personne. Imaginez le casse-tête… !
Malgré cela, des progrès importants ont été accomplis comme par exemple l’amélioration de l’efficacité énergétique de beaucoup d’appareils (pour rendre le même service, nombre d’appareils modernes consomment moins que les anciens), le développement de nouvelles sources énergétiques (renouvelables, biomasse, hydrogène…), la baisse du coût de production de certaines de ces nouvelles sources énergétiques…
Est-ce suffisant ? Non, mais pour être efficace, nous devons choisir nos batailles et convenir d’un ordre de priorité et tout ceci sur la base de considérations rationnelles plutôt qu’émotionnelles. Trop de décisions furent prises suite à de fortes pressions plutôt que sur la base d’une réflexion approfondie. Une bonne illustration de ceci est le débat actuel sur les éoliennes dont le développement fut tant prisé il y a quelques années par des écolos rêveurs et qui est tant décrié aujourd’hui par beaucoup d’opposants : enlaidissement du paysage, gêne pour la faune migratrice, bilan CO2 peu convaincant si on prend en compte la construction et le démantèlement, fondations difficiles à détruire après usage…
Et ne rêvons pas : continuer à vivre comme nous vivons, continuer à consommer de l’énergie comme nous en consommons pour satisfaire notre confort, continuer à nous alimenter comme nous nous alimentons et continuer notre croissance démographique pour assurer le paiement de nos retraites, … n’est pas possible si nous voulons protéger la planète. Nous devons donc accepter de perdre certains de ces avantages. Tant que nous ne l’acceptons pas, on ne fera pas de progrès. Etes-vous prêts à l’accepter ?
Matthieu LACAZE