Quel est le meilleur remède contre le coronavirus ?
La pandémie qui frappe le monde depuis le début de l’année a plongé la plupart des pays dans la récession, réduit l’activité, bridé la consommation et fait planer sur les économies une incertitude qui persiste encore aujourd’hui et ne devrait pas se dissiper avant plusieurs mois voire plusieurs années. Pour faire face à la crise qui les frappe, l’Europe et les États-Unis, les deux blocs économiques qui nous intéressent dans cet édito, ont chacun élaboré divers mécanismes et plans de relance. Les deux approches montrent les différentes priorités d’un côté et de l’autre de l’Atlantique et chacune présente ses avantages et ses inconvénients.
Le mal est le même des deux cotés
Sans s’éterniser sur les causes de la crise économique actuelle, nous en sommes tous témoins, il convient de rappeler comment elle s’est matérialisée.
- Une crise de liquidité : suite aux mesures sanitaires prises par les gouvernements, de nombreux secteurs ont dû se mettre à l’arrêt ou en régime réduit, décimant ainsi les chiffres d’affaire des entreprises et portant un sérieux coup à leur liquidité (i.e. leur capacité à générer du cash). Si des grandes entreprises ont pu faire face tant bien que mal en renonçant à leurs plans d’investissements, non sans conséquences néfastes sur le PIB ou l’emploi, ou en adaptant leurs structures de coûts afin de réduire leur levier opérationnel (comprendre : rendre leur revenu d’exploitation moins vulnérable aux fluctuations de chiffre d’affaire), ce n’est pas une option pour tout le monde. En effet, les petites entreprises disposent en général de beaucoup moins de marges de manœuvre, et si l’entreprise et forcée de se mettre à l’arrêt elle ne peut tout simplement pas éviter les pertes.
- Une contraction du crédit : le risque de liquidité des entreprises n’est pas seulement augmenté par la réduction de l’activité mais aussi par la réduction du crédit, due à la crainte des marchés. Encore une fois, c’est un problème qui touche particulièrement les petites entreprises, moins solvables et n’ayant pas le même accès au crédit (notamment obligataire). Cependant, la dégradation des notes de crédit de grandes entreprises, passées d’Investment Grade à Speculative Grade (les anges déchus) complique également leur financement.
- Une baisse de la consommation: due aussi bien au bas niveau de la confiance des ménages qu’à la réduction des opportunités de consommer. Les ménages subissent une épargne forcée aux conséquences néfastes. Selon l’analyse keynésienne, cet excès d’épargne, d’autant plus qu’il advient alors que les acteurs privés renoncent à leurs plans d’investissements, peut entraîner une économie dans le liquidity trap, c’est à dire une situation où les taux d’intérêts sont à zéro et où toute politique monétaire de relance est impossible. Le taux de la Fed est depuis mi-mars à zéro et celui de la BCE l’est depuis 2016.
- Une menace pour les emplois de service : souvent parmi les plus précaires, ces emplois, sont durement touchés étant donné qu’ils dépendent grandement du niveau de consommation du reste de la société. Ainsi, selon Opportunity Insights, une équipe de chercheurs affiliés à Harvard, le nombre d’emplois payant moins de 27000$ par an a diminué de 16% aux États-Unis entre janvier et juillet, contre 2% pour les emplois payant plus de 60000$. Des chiffres de l’OCDE semblent indiquer une tendance comparable en Europe.
Le soutien à la liquidité des entreprises
Ici les différences dans les deux approches sont beaucoup moins évidentes. Dans les deux cas, l’action des banques centrales est au cœur des mesures de soutien à l’économie. Cette crise n’aurait pas plus mal tomber. Tout d’abord parce que le niveau de dette des entreprises était déjà inquiétant avant le début de la crise, d’autant plus que la qualité du crédit des emprunteurs avait déjà tendance à la baisse. L’OCDE s’inquiétait déjà en février du fait que les obligations BBB étaient majoritaires dans la catégorie Investment Grade, ce qui présentait le risque d’une arrivée massive d’anges déchus en cas de retournement de la conjoncture (risque qui s’est matérialisé). La crise est également d’autant plus malvenue que les moyens d’actions conventionnels des banques centrales étaient avant même le début de la pandémie très limités du fait des taux directeurs déjà historiquement bas (autour de 1% début mars pour la Fed et 0% pour la BCE), ce qui explique d’ailleurs l’appétit des investisseurs pour la dette d’entreprises qui ne le mériteraient pas en temps normal et le grand nombre d’entreprises zombies qui survivent grâce à cette dette presque gratuite (et qui risquent de gêner la reprise, tant elles grignotent des fonds qui auraient pu aller à des entreprises productives).
Le rachat d’obligations corporate est une nouveauté pour la Fed, qui s’y est mise en mars, mais la BCE est une habituée depuis 2016 (elle n’arrive d’ailleurs plus à s’en passer). Cependant, on doit remarquer que la Fed a établi une liste de critères beaucoup plus claire pour les titres qu’elle rachète. Là où la Fed innove, c’est en s’autorisant à racheter les titres d’anges déchus (donc en Speculative Grade) dès mars afin de les faire repasser en Investment Grade. La BCE, elle, dit l’envisager depuis avril mais n’est toujours pas passée à l’action. L’Europe préfère une approche plus indirecte, qui consiste « intensifier ses interactions avec les agences de notation », pour reprendre les mots du directeur de l’Autorité Européenne des Marchés Financiers, Steven Maijoor, pour que ces dernières tournent sept fois leur langue dans leur bouche avant de baisser la note d’une entreprise. Là où la BCE est plus agressive que la Fed, c’est en s’autorisant des maturités plus grandes que 5 ans et à détenir plus de 10% de la dette d’une entreprise.
Les gouvernements européens et américains viennent également au secours de la liquidité des entreprises qui se financent par le crédit bancaire. Aux États-Unis, le gouvernement a annoncé pour l’instant qu’il garantirait jusqu’à 900 milliards de dollars de prêts. Un chiffre qui peut faire tourner la tête, mais à mettre en perspective avec les 300 et 550 milliards d’euros (350 et 640 milliards de dollars) de prêts que sont respectivement prêts à garantir les États français et allemands, dont la somme des PIB n’équivaut qu’à un tiers de celui des Etats-Unis. Encore une fois, on peut y voir une stratégie différente des Etats-Unis qui tient à limiter la casse mais compte avant tout sur le dynamisme de son économie (notamment de ses marchés de capitaux) pour la reprise.
La différence fondamentale entre les deux approches : l’emploi
Il suffit de regarder les courbes du chômage en Europe (surtout dans la zone Euro, même si les deux suivent la même tendance) et aux États-Unis pour se rendre compte de la différence. Si en Europe, le taux de chômage a augmenté d’environ 1% depuis le début de l’année, aux États-Unis, il est passé d’environ 3,5% à presque 15% en avril pour retomber à environ 8% en septembre (le niveau de la zone Euro). C’est évidemment dû au recours aux dispositifs d’activité partielle en Europe (chômage partiel, Kurzarbeit), cofinancés par les États. L’avantage de cette méthode est qu’elle évite les licenciements et permet aux entreprises de garder leur capital humain.
Aux États-Unis, les entreprises n’ont pas bénéficié de ces mécanismes et ont donc dû licencier. Le gouvernement fédéral a en effet préféré, à travers le CARES Act, allonger la durée de l’assurance chômage de 13 semaines, l’étendre aux indépendants et accorder des crédits d’impôts et 600$ par semaine d’allocations chômage supplémentaires (de mars à juillet). Pour prolonger ce premier stimulus, la chambre des représentants a également adopté un second projet de loi (le HEROES Act), rejeté par le Sénat Républicain, qui lui préfère le HEALS Act, moins ambitieux (et qu’il semble avoir également abandonné jusqu’à l’élection). Sans tenir compte des impasses législatives, on comprend que l’approche américaine consiste à protéger non pas l’emploi mais le pouvoir d’achat, au prix de vagues de licenciements. Cette méthode a tout de même l’avantage de ne pas maintenir artificiellement les emplois d’entreprises vouées à la faillite ou à la restructuration. Enfin, l’économie américaine sait qu’elle peut compter sur un de ses atouts les plus précieux pour faire face aux licenciements : la flexibilité de son marché du travail.
Il y a également une différence de préparation entre l’ancien et le nouveau monde. Les mécanismes des différents pays européens sont pour beaucoup hérités de la crise de 2008, et n’ont nécessité qu’un approfondissement, tandis que les États-Unis doivent compter sur leur appareil législatif, très propice aux blocages en ces temps de polarisation politique intense.
Ainsi, sans grande surprise étant donné le conservatisme fiscal (de façade) du Parti Républicain, l’intervention du gouvernement américain, notamment pour limiter le coût social de la crise, est plus limitée qu’en Europe, d’autant plus que tous les espoirs d’un deuxième stimulus sont dorénavant balayés. La préférence est donnée au maintien du dynamisme de l’économie. Les banques centrales, cependant, sont toutes les deux très actives et n’hésitent pas à s’aventurer dans des terrains inconnus pour venir au secours de l’économie. Les taux de croissance annualisé du PIB au troisième trimestre semblent donner l’avantage à l’Amérique : 33,1% contre 18,2% en France et 8,2% en Allemagne. Il faut cependant rappeler que la contraction du PIB au deuxième trimestre était bien plus violente aux Etats-Unis (-31,4%) qu’en France (-13,7%) ou en Allemagne (-9,8%). De plus, la seconde vague de la pandémie va certainement rebattre les cartes et pourrait laisser des séquelles de long terme ici comme là-bas. Difficile en économie de faire des prédictions. Personne ne pourrait avec certitude dire qui, une fois la pandémie derrière nous, sera complétement remis sur pieds le plus vite. Comme le dit Jason Furman, ancien conseiller économique de Barack Obama, les approches étant tellement différentes, nous assistons à un essai comparatif randomisé en temps réel et à une échelle macro, ce qui dans tous les cas permettra aux économistes d’avoir une meilleure idée des effets réels des remèdes choisis par les différents pays.