Vol au-dessus d’un nid de coucou
La Belgique a sélectionné, fin octobre, le F-35A de l’américain Lockheed Martin pour remplacer sa flotte d'avions de chasse. Cette commande porte un coup à l’Europe de la défense, dans un contexte où de nombreux pays européens ne sont pas favorables à l’extension d’une Europe diplomatique. L’attitude de l’Allemagne est donc aujourd’hui la clé de l’avenir de l’Europe. Si elle soutient les initiatives françaises, les autres pays européens, bon gré mal gré, s’aligneront. Si, au contraire, elle privilégie ses seuls intérêts nationaux, ils joueront leur propre partition et l’Europe se réduira à une union économique.
A l’issue de l’appel d’offres lancé en mars 2017, la Belgique a sélectionné, fin octobre, le F-35A de l’américain Lockheed Martin pour remplacer sa flotte d'avions de chasse F-16. Ce choix s’est fait au détriment de l'avion de combat européen Eurofighter Typhoon (Airbus, BAE Systems et Leonardo) et du Rafale (Dassault Aviation).
Le contrat, d’un montant de 3,8 Mds€, prévoit la livraison de 34 F-35A à partir de 2023, date de début du retrait des F-16 belges.
Parmi les critères jugés favorables au F-35, on note :
- La capacité à participer à la force de dissuasion de l’OTAN en embarquant la bombe nucléaire américaine B-61. Or, seul le F-35 est destiné à avoir cette capacité.
- Cinq autres pays de l’UE ont déjà opté pour le F-35, dont les Pays-Bas, ce qui était très important pour la Belgique dans la mesure où les Armées de l’air néerlandaise et belge sont traditionnellement proches : depuis 2017, elles assurent à tour de rôle la police du ciel de tout le Bénélux.
- Les retombées économiques pour la Belgique, en terme de participation au programme, sont estimées proches de 3 Mds€. De plus, les retombées pour le tissu économique high-tech sont réparties de manière équilibrée : 50% en Flandre et 50% en Wallonie et à Bruxelles.
En contrepartie, cette commande :
- Implique une dépendance vis à vis des Etats-Unis : la mise à jour régulière des logiciels et la maintenance sont sous son contrôle.
- Porte un coup à l’Europe de la défense, puisqu’aucune solution européenne n’a été retenue. Pourtant, une prise de conscience avait commencé à se faire jour sur la nécessité d’une plus grande autonomie de l’Europe, tant vis-à-vis d’une protection américaine, devenue incertaine, que face à la montée, devenue certaine, des menaces dans le monde.
Parallèlement à cette décision, la Belgique travaille à un partenariat maritime profondément intégré avec les Pays-Bas avec l’acquisition de nouvelles frégates et de nouvelles capacités de lutte anti-mines.
Enfin, un partenariat stratégique sera développé avec la France dans les engins blindés dont les retombées devraient favoriser la Wallonie, avec à la clé une commande de 1,5 Mds€ pour 60 blindés Jaguar et 382 Griffon, livrables à partir de 2025.
Que retenir de ces décisions belges ?
- La France est de plus en plus isolée. Il est déjà remarquable qu’aucun autre pays en Europe n’ait acheté de Rafales. L’arrogance française vis à vis de la Hongrie, de la Pologne, de l’Italie et maintenant de la Belgique n’arrange rien : les Belges retiendront que la France a refusé de se soumettre aux règles de l’appel d’offres pour le renouvellement de leur flotte d’avions de chasse en présentant un plan alternatif après la clôture officielle ; mais également en exigeant une confidentialité sur le prix contrairement à la transparence réclamée par les Belges et, à la fin, en accusant la Belgique de torpiller l’Europe.
- L’intégration européenne est remise en cause : Dans le domaine militaire, une forte intégration entre l’armée belge et batave se met en place : cela souligne la volonté des belges et des hollandais de mettre en place des coopérations européennes à géométries variables. Par ailleurs, la Belgique, comme beaucoup de pays européens, souhaite maintenir une double appartenance : à l’OTAN et à l’Europe. Si on ajoute à cela que l’Angleterre, le Danemark et la Norvège se sont dotés du F-35, on remarque que de nombreux pays européens ne sont pas favorables à l’extension d’une Europe intégrée au domaine militaire et donc diplomatique. Pour eux, l’Europe se limite à une intégration économique.
La question, déterminante, qui se pose désormais est l'attitude de l'Allemagne.
Depuis que de Gaulle et Adenauer ont ancré leurs deux pays dans un destin commun, l’Europe avance au rythme de leur alliance tant le poids combiné de leurs économies est important (près de 50% de l’économie de l’Union européenne, Royaume Uni inclus).
On sait la France, sous l’impulsion de son Président, favorable à une avancée de l’intégration européenne. L’attitude de l’Allemagne est donc aujourd’hui la clé de l’avenir de l’Europe. Si elle soutient les initiatives françaises, les autres pays européens, bon gré mal gré, s’aligneront. Si, au contraire, elle privilégie ses seuls intérêts nationaux, ils joueront leur propre partition et l’Europe se réduira à une union économique.
Et tout pourrait se jouer très rapidement :
- La Luftwaffe va remplacer sa flotte d'avions d'attaque de type « Tornado », avec les premières livraisons prévues à partir de 2025 : la décision est proche, et le F-35, dans ce cadre, est un choix possible.
- Le CDU va élire début décembre son nouveau président.
Angela Merkel avait tiré son parti vers le centre. Si la CDU devait faire, avec Friedrich Merz, le choix d’une orientation plus à droite, et quand bien même ce dernier est favorable à l’euro et aux initiatives de relances communes, son élection pourrait sonner le glas de la grande coalition, CDU-SPD, et mener à de nouvelles élections. Et là, tout serait possible, car un sentiment anti euro est en train se développer en Allemagne. Un de mes amis m’a transmis la Une de Cicero avec Mario Draghi caricaturé en Dracula : la thèse du journal est que la BCE suce l’épargne des Allemands avec des taux inférieurs à l’inflation, ce qui leur auraient coûté 320 Mds€ depuis le début de la crise de la zone euro. Quand on sait que Cicero est un magazine mensuel très lu dans les milieux politiques, économiques et intellectuels allemands, qui mise sur le pouvoir des idées et dont le positionnement politique est libéral-conservateur, on ne peut qu’être surpris.
En Allemagne, le retour aux urnes est possible et une majorité, sceptique sur l’axe franco-allemand et sur l’euro, pourrait émerger.
hiboo pense que les investisseurs doivent intégrer ces évolutions comme étant aujourd’hui possibles à défaut d’être déjà probables.
hiboo considère également que si elles devaient se réaliser, elles seraient favorables à l’économie française, et donc aux actions, car elles lui permettraient de retrouver la compétitivité qu’elle a perdu depuis 18 ans.
En revanche, la valeur de tous les autres actifs français, et particulièrement obligataires, serait menacée.